L'être-heureux
du sujet...
réside dans sa découverte, à l'intérieur de lui-même, de sa
capacité à faire quelque chose dont il ne se savait pas
capable. Tout le point est ici dans le dépassement - au
sens hégélien, Aufhebung - à savoir, passer outre la
limite apparente en découvrant qu'en elle-même se tient
la ressource de son franchissement. En ce sens, tout bonheur
est une victoire contre la finitude.
Il faut
introduire ici une distinction tranchée entre «
bonheur » et « satisfaction ». Je suis satisfait quand je vois
que mes intérêts d'individu sont en conformité avec ce que
le monde m'offre. La satisfaction est donc déterminée par les
lois du monde et par l'harmonie entre mon moi et
ces lois. En dernier ressort, je suis satisfait quand je peux
m'assurer que je suis bien intégré dans le monde. Mais on
peut objecter que la satisfaction est en réalité une
forme de mort subjective, parce que l'individu, réduità sa
conformité au monde tel qu'il est, est incapable de devenir
le sujet générique qu'il est capable d'être.
Dans un
processus d'émancipation, nous expérimentons le fait
que le bonheur est la négation dialectique de la
satisfaction. Le bonheur est du côté de l'affirmation, de la
création, de la nouveauté et de la généricité. La
satisfaction est du côté de ce que Freud appelait la pulsion
de mort, la réduction de la subjectivité à l'objectivité. La
satisfaction est la passion de chercher et de trouver
la « bonne place » que le monde offre à l'individu, puis
d'y demeurer.
C'est là
pourquoi tout ce texte parle de la relation étroite
qui existe entre le bonheur et la subjectivation d'un
processus post-événementiel d'émancipation (politique), de
création (artistique), d'invention (scientifique) ou
d'altération - au sens du devenir-autre-en-soi-même - (l'amour).
…
Donc
changer n'est pas obtenir un résultat. Le
résultat réside dans le changement lui-même.
Cette
vision peut sans doute être interprétée à un niveau
plus général : le bonheur n'est pas la possibilité de la
satisfaction de chacun. Le bonheur n'est pas l'idée abstraite
d'une bonne société dans laquelle chacun est satisfait.
Le bonheur, c'est la subjectivité d'une tâche difficile
: se débrouiller avec les conséquences d'un événement et
découvrir, sous l'existence terne et morne dans notre
monde, les possibilités lumineuses offertes par leréel
affirmatif, dont la loi de ce monde était la négation cachée.
Le bonheur, c'est de jouir de l'existence puissante et
créatrice de quelque chose qui, du point de vue du
monde, était impossible.
…
C'est
un choix, le vrai choix de nos vies. C'est le vrai
choix concernant la vraie vie.
Le
poète français Arthur Rimbaud a écrit : « La vraie vie est
absente. » Tout ce que je tente ici d'affirmer se résume
à ceci : c'est à vous de décider que la vraie vie est
présente. Choisissez le nouveau bonheur, et payez-en le prix !
Alain Badiou
Métaphysique du bonheur réel, pages 53 à 55 extraits
PUF, 2015
Métaphysique du bonheur réel, pages 53 à 55 extraits
PUF, 2015
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