Premier d'une série de quatre textes de Roger Garaudy sur la théologie du christianisme
Y a-t-il des "preuves" de l'existence de Dieu?
C'est Platon (1), au livre X de ses Lois
qui, le premier, croit possible une
Le raisonnement est simple ; ce
qu'en vertu de son dualisme fondamental
de l'âme et du corps il appelle la
« matière » ne peut que transmettre
le mouvement. Il faut un premier
moteur. Donc (?) l'âme seule
peut être source du mouvement
initial. Là encore nous demeurons au
niveau des mots et de leur
définition : âme = source de mouvement.
Le mouvement dans le monde ne peut
« donc » être attribué qu'à une
âme, l'âme du monde. L'on a
substitué à une explication, un mot : âme
du monde ou Dieu. Cet artifice
verbal s'appellera, dans la théologie chrétienne,
« l'argument cosmologique ».
Simple façon de dire : je ne sais
pas, et de donner un nom à
l'ignorance de la cause première.
Pour Aristote le mouvement n'est
pas changement de place mais passage
du possible au réel par cette
croissance des choses ou des êtres vivants
qui leur permet d'arriver à leur
plein épanouissement. Ici encore, ne pouvant
expliquer cette « évolution », on
lui donne un nom : un « moteur
immobile » appelant toute chose à
sa perfection. De même que, précédemment,
faute d'expliquer la cause
première, on lui donnait un nom,
ici, ne pouvant rendre compte de
la fin dernière on lui donne un nom :
ce désir qui meut les «
êtres » vers leur perfection s'appellera « moteur
immobile », « pensée de la pensée
» et, dans la théologie chrétienne
adoptant ce rationalisme purement
verbal : Dieu. Ce sera l'argument de
la finalité, baptisé « argument
téléologique ».
1.
Dans La République et le Théétète, il avait défini
Dieu comme s'identifîant
au
Bien, ce qui est pure affaire de choix de mots, et de substitution
de
l'un à l'autre : Dieu = le Bien.
Enfin toujours en vertu du
principe grec où le concept (c'est-à-dire le
mot) est tenu pour une réalité
correspondant à l'être, naquit l'idée de
déduire Dieu de l'idée qu'on s'en
fait.
Tout commence, comme chez les
Grecs, par une définition : Dieu, dit
saint Anselme, est « l'être dont
on ne puisse penser qu'il en existe de
plus grand » (idquo rnajus
cogitari nonpotesi). C'est, selon lui, un concept
irrécusable : « Même le sot qui
dit en son coeur: Il n'y a pas de
Dieu, a, même pour le nier, une
idée de Dieu. »
Or « un être existant est
supérieur à un être inexistant. »
L'existence de Dieu est « donc »
une vérité assurée puisque sa non-existence
ne répondrait pas à cette
définition de l'être le plus grand, dont
le sot même possède le concept.
Un moine, Gaunilon, montra la
vanité de cette prétention de tirer la
réalité du concept, c'est-à-dire
de sauter par-dessus son ombre.
Il s'agit tout simplement de
reconnaître, contre les prétendues « preuves»,
que la foi n'est pas de l'ordre
d'une réponse mais d'une question.
Des siècles plus tard Descartes,
dont Gilson a montré qu'il était le dernier
des scolastiques, répétera le même
sophisme, dans la quatrième partie
de son Discours de la
méthode, comme dans la cinquième de ses
Méditations,
ou
dans le premier de ses Principes de la philosophie (§ 14
à 18).
Ces contorsions verbales masquent,
au-delà des mots et du papier, une
expérience réelle ; celle de nos
ignorances et de nos dépendances. Nous
ne pouvons répondre ni aux
questions de nos origines premières, ni à
celles de nos fins dernières. Nous
avons conscience de n'être pas nos propres
créateurs, d'appartenir à un tout
plus grand que nous-mêmes.
L'angoisse de ces trois questions
vitales : D'où venons-nous ? Où allons-nous?
Que sommes-nous? ne peut être
apaisé par un habillage et un
babillage de prétendus « arguments
» ou « preuves » de ce qui exige en
réalité un acte de foi. Un
acte de foi au sens plein du terme. Un acte,
car il s'agit de l'engagement
d'une vie entière. Et un acte de foi car il
s'agît d'une décision responsable
ne s'appuyant sur aucune séquence de
faits, ni sur aucun syllogisme. Il
faut choisir. A tout risque. Le parachute
ne s'ouvre que lorsqu'on a sauté !
Le choix inverse reposerait également
sur un postulat sur lequel Dostoïevski
a jeté une lumière fulgurante : sans
Dieu (c'est-à-dire sans
affirmation du sens de la vie) tout est permis. Il
ne s'agit pas d'un Dieu qu'on
éclaire avec des cierges, ou qu'on redoute,
comme un tyran ou un juge, mais du
choix d'une vie où, au départ, rien
ne nous est promis et personne ne
nous attend.
Roger Garaudy
Annexe à
« Vers une guerre de religion ? », DDB, 1995, pages 139 et 140