03 février 2015

Y a-t-il des "preuves" de l'existence de Dieu?

Premier d'une série de quatre textes de Roger Garaudy sur la théologie du christianisme
Y a-t-il des "preuves"  de l'existence de Dieu?


C'est Platon (1), au livre X de ses Lois qui, le premier, croit possible une
démonstration1.
Le raisonnement est simple ; ce qu'en vertu de son dualisme fondamental
de l'âme et du corps il appelle la « matière » ne peut que transmettre
le mouvement. Il faut un premier moteur. Donc (?) l'âme seule
peut être source du mouvement initial. Là encore nous demeurons au
niveau des mots et de leur définition : âme = source de mouvement.
Le mouvement dans le monde ne peut « donc » être attribué qu'à une
âme, l'âme du monde. L'on a substitué à une explication, un mot : âme
du monde ou Dieu. Cet artifice verbal s'appellera, dans la théologie chrétienne,
« l'argument cosmologique ». Simple façon de dire : je ne sais
pas, et de donner un nom à l'ignorance de la cause première.
Pour Aristote le mouvement n'est pas changement de place mais passage
du possible au réel par cette croissance des choses ou des êtres vivants
qui leur permet d'arriver à leur plein épanouissement. Ici encore, ne pouvant
expliquer cette « évolution », on lui donne un nom : un « moteur
immobile » appelant toute chose à sa perfection. De même que, précédemment,
faute d'expliquer la cause première, on lui donnait un nom,
ici, ne pouvant rendre compte de la fin dernière on lui donne un nom :
ce désir qui meut les «  êtres » vers leur perfection s'appellera « moteur
immobile », « pensée de la pensée » et, dans la théologie chrétienne
adoptant ce rationalisme purement verbal : Dieu. Ce sera l'argument de
la finalité, baptisé « argument téléologique ».

1. Dans La République et le Théétète, il avait défini Dieu comme s'identifîant
au Bien, ce qui est pure affaire de choix de mots, et de substitution
de l'un à l'autre : Dieu = le Bien.

Enfin toujours en vertu du principe grec où le concept (c'est-à-dire le
mot) est tenu pour une réalité correspondant à l'être, naquit l'idée de
déduire Dieu de l'idée qu'on s'en fait.
Tout commence, comme chez les Grecs, par une définition : Dieu, dit
saint Anselme, est « l'être dont on ne puisse penser qu'il en existe de
plus grand » (idquo rnajus cogitari nonpotesi). C'est, selon lui, un concept
irrécusable : « Même le sot qui dit en son coeur: Il n'y a pas de
Dieu, a, même pour le nier, une idée de Dieu. »
Or « un être existant est supérieur à un être inexistant. »
L'existence de Dieu est « donc » une vérité assurée puisque sa non-existence
ne répondrait pas à cette définition de l'être le plus grand, dont
le sot même possède le concept.
Un moine, Gaunilon, montra la vanité de cette prétention de tirer la
réalité du concept, c'est-à-dire de sauter par-dessus son ombre.
Il s'agit tout simplement de reconnaître, contre les prétendues « preuves»,
que la foi n'est pas de l'ordre d'une réponse mais d'une question.
Des siècles plus tard Descartes, dont Gilson a montré qu'il était le dernier
des scolastiques, répétera le même sophisme, dans la quatrième partie
de son Discours de la méthode, comme dans la cinquième de ses
Méditations, ou dans le premier de ses Principes de la philosophie (§ 14
à 18).
Ces contorsions verbales masquent, au-delà des mots et du papier, une
expérience réelle ; celle de nos ignorances et de nos dépendances. Nous
ne pouvons répondre ni aux questions de nos origines premières, ni à
celles de nos fins dernières. Nous avons conscience de n'être pas nos propres
créateurs, d'appartenir à un tout plus grand que nous-mêmes.
L'angoisse de ces trois questions vitales : D'où venons-nous ? Où allons-nous?
Que sommes-nous? ne peut être apaisé par un habillage et un
babillage de prétendus « arguments » ou « preuves » de ce qui exige en
réalité un acte de foi. Un acte de foi au sens plein du terme. Un acte,
car il s'agit de l'engagement d'une vie entière. Et un acte de foi car il
s'agît d'une décision responsable ne s'appuyant sur aucune séquence de
faits, ni sur aucun syllogisme. Il faut choisir. A tout risque. Le parachute
ne s'ouvre que lorsqu'on a sauté ! Le choix inverse reposerait également
sur un postulat sur lequel Dostoïevski a jeté une lumière fulgurante : sans
Dieu (c'est-à-dire sans affirmation du sens de la vie) tout est permis. Il
ne s'agit pas d'un Dieu qu'on éclaire avec des cierges, ou qu'on redoute,
comme un tyran ou un juge, mais du choix d'une vie où, au départ, rien
ne nous est promis et personne ne nous attend.

Roger Garaudy 
Annexe  à « Vers une guerre de religion ? », DDB, 1995, pages 139 et 140