OMBRES ET LUMIERES SUR L'ARENE
ANDALOUSE
Le quart des
Andalous est au chômage. L'économie de la région autonome est marquée par la
récession et ne supporterait pas selon l'Union générale des
travailleurs (UGT), l'intégration européenne à marche forcée qu'implique le
traité de Maastricht
L'Humanité
17 Septembre 1992
17 Septembre 1992
A l'Exposition universelle de Séville, le grand pavillon de l'Andalousie, l'une des «nations de la nation espagnole», dresse sa gigantesque cheminée azur à l'intérieur de laquelle les visiteurs sont censés découvrir «un espace de progrès qui s'intègre au monde». Cette structure architecturale moderniste serait, en quelque sorte, le kiosque immergé d'un sous-marin bientôt bourré de haute technologie et de devises étrangères, qui ne demanderait qu'à faire surface sur les eaux «maastrichiennes» de la Méditerranée. Une superstructure chancelante et difficilement supportée par une économie rouillée et ensablée.
«Notre
situation sociale et économique, marquée par des niveaux inférieurs de
production, la faiblesse du secteur industriel jointe à un niveau des revenus
au rez-de-chaussée de l'Espagne, est d'une grande fragilité», estime Gabriel
Centeno, secrétaire de l'Union générale des travailleurs (UGT) pour l'Action
institutionnelle.
Le quart de
la population active d'Andalousie est au chômage. Ces 65.000 sans-emploi
représentent le quart des chômeurs officiellement recensés dans toute
l'Espagne. Le travail précaire, qui contraignait les paysans à la misère ou à
l'émigration, existe toujours. Il est quasiment devenu une règle d'embauche.
Les héritiers des «latifundistas» (gros propriétaires terriens) ou les managers
des multinationales recrutent cette main-d'oeuvre bon marché au coût horaire
inférieur de moitié à celui de la France. Le revenu familial moyen en
Andalousie est de l'ordre de 35.000 francs par an, un tiers de moins que celui
d'une famille catalane.
Pour Antonio
Ordonez, secrétaire UGT de la Communication et de l'Image, les travaux publics
et le bâtiment sont en pleine récession après l'embellie due pour beaucoup aux
investissements consentis pour l'Expo 92. Les équipements publics et logements
sociaux sont sacrifiés, alors que le journal catholique «Iglesia en Andalucia»
a recensé 5.057 taudis où s'entassent plusieurs familles.
L'agriculture
et l'élevage sont aussi en difficulté. Dans ce pays, de jeu aristocratique, la
corrida est devenue un art populaire majeur, et, dans l'émouvant petit musée
taurin de Cordoue, on vénère autant Manolete que le taureau qui l'envoya, en
1947, au paradis des matadors. La rancoeur ancestrale, dans les campagnes
andalouses, envers les grands propriétaires, n'est pas due à la dégénérescence
de la race taurine. Plus de quinze ans après la fin du franquisme, les
latifundiaires détiennent toujours l'essentiel du 1,2 million d'hectares
d'oliviers, du million d'hectares de céréales, des 500.000 hectares de fruits
et légumes de l'Andalousie - surtout tournée vers l'exportation. La réforme
agraire n'a pas eu lieu. «Le gouvernement socialiste a eu peur des grands
propriétaires», commente Antonio Ordonez.
La faiblesse
de l'industrie andalouse semble chronique. Pour les «décideurs», politiciens
socialistes qui administrent la région autonome, branchés sur Madrid et
Bruxelles, l'avenir de l'Andalousie passerait par une réorientation de
l'industrie du tourisme. «Touristes en gants blancs», comme les appelle
«Andalucia economica», qu'il faut attirer dans l'Extrême-Sud euro-méditerranéen
en développant golfs, immobilier haut de gamme ou lieux de congrès pour hommes
d'affaires.
L'UGT, qui a
souscrit au plan de développement économique de la région, considère cependant
que, «sans un secteur public andalou renforcé, complémentaire de secteurs privés,
la région autonome sera incapable de supporter les assauts de l'intégration
européenne; ce qui se traduira par son incapacité à s'opposer à l'achat de
terres et d'entreprises andalouses rentables par les multinationales, ce qui
sera très préjudiciable à la croissance productive et à la création de
richesses par et pour l'Andalousie».
La mise en
oeuvre du traité de Maastricht pourrait faire passer cette région à la
moulinette des grands patrons européens. Une région qui a, peut-être, comme
l'explique magnifiquement Roger Garaudy dans sa fondation de Cordoue, encore la
vocation d'être, comme avant la Reconquête par les Rois Catholiques, un pont
entre l'Orient et l'Occident.
Philippe Jérôme