Maria-Teresa de Bourbon Parme. Princesse rouge
Héritière d’une famille qui a fait l’histoire, cette octogénaire a milité pour le socialisme autogestionnaire et la monarchie.
http://www.babelio.com/auteur/Maria-Theresa-de-Bourbon-Parme/314105 |
Nous ne ferons pas semblant d’avoir réussi à comprendre qui est réellement Maria-Teresa de Bourbon Parme : au terme d’un assez long entretien et de la lecture de son dernier livre, cette princesse aux yeux bruns nous est restée une parfaite énigme. Voici les pièces du dossier, bonne chance.
Un pacte méphistophélique a dû être signé un jour
puisque la svelte et charmante femme qui nous accueille au pied de son
immeuble parisien a, selon l’état civil, déjà vécu 81 printemps. «Le ski et la natation»,
assure-t-elle dans l’ascenseur, avec un large sourire. Nous sommes
venus visiter son Altesse royale (sa famille prétend au trône d’Espagne
depuis 1830) pour tenter de comprendre comment une aristocrate, dont
l’arbre généalogique est fleuri de noms comme Saint Louis et Henri IV,
en est venue à se muer, dans les années 60 et 70, en militante du
socialisme autogestionnaire. Elle se dit de sensibilité chrétienne de
gauche. On l’appelle «la princesse rouge».
Elle a un contact franc et direct, parle avec la grande simplicité de la grande aristocratie : son interlocuteur oublie vite qu’il converse avec la nièce et filleule de la dernière impératrice d’Europe, Zita d’Autriche. Quelques mois avant sa mort, Arafat l’a reçue chez lui en tant que militante pro-palestinienne, ce qu’elle est aussi. «Il voulait savoir comment une personne issue d’un milieu aussi traditionnel que le mien avait pu évoluer de la sorte», se rappelle-t-elle. Le bouillant président vénézuélien, Hugo Chávez, s’est posé la même question, qui l’a invitée à son domicile, un soir de 2000. On ne sait ce que la princesse a répondu à l’un et à l’autre, mais avec le premier, elle a parlé laïcité, et avec le second des Frères Karamazov, l’ultime roman de Dostoïevski.
Arafat, Chávez, mais aussi Mitterrand, Malraux, Jean Guitton, Roger Garaudy et tous ceux qui l’ont fréquentée savaient au moins ceci : Maria-Teresa, ou Marie-Thérèse, est née française d’un père Bourbon Parme, François-Xavier, qui fut «roi carliste» d’Espagne. C’est-à-dire que papa ne régna pas mais lutta, toute sa vie, pour remettre sa dynastie sur le trône. Histoire complexe que celle du carlisme, dont ne parviennent en France que quelques échos confus. L’important est ceci : sous Franco, les carlistes se sont divisés entre pro et anti. Le père de Maria-Teresa, déporté à Dachau, a choisi, lui, de lutter contre la dictature et a instillé à ses deux fils et quatre filles un goût éperdu de la liberté. Le fils aîné, Charles-Hugues, et trois des filles (Maria-Teresa, Cécile et Marie des Neiges) ont entendu le message mieux que les autres.
Dès 1957, le frangin Charles-Hugues se met à dénoncer en pionnier «l’oppression du capitalisme financier». En 1972, avec sa femme, Irène de Hollande, il s’en va visiter Tito en Yougoslavie pour s’initier aux subtilités de l’autogestion. Puis, le couple poursuit son périple initiatique en Chine, à Cuba, au Japon. Ainsi se forge une singulière philosophie politique où se mêlent socialisme et fédéralisme, autogestion et défense de la dynastie carliste. Maria-Teresa devient une militante effervescente de ce carlisme de gauche, qui rêvait d’une oxymorique monarchie socialiste.
Rien ne prédisposait cette jeune fille, née à Paris, élevée dans un château du Bourbonnais puis chez les inflexibles sœurs du collège du Sacré-Cœur à Tours, à devenir une pasionaria. Rien, sinon le respect du père, l’amour du grand frère, et la conviction qu’elle avait, avec sa famille, un rôle à jouer dans l’avenir de l’Espagne (où elle n’a mis les pieds la première fois qu’à l’âge de 28 ans !). Elle possède la double nationalité depuis une vingtaine d’années. Son socialisme est tout en nuances. «Pour nous, l’idée socialiste, ce n’était pas la lutte des classes mais la recherche permanente du consensus.» Tito fut séduisant, certes, mais pas son parti unique. Chávez? «Il a fait des erreurs, mais aussi beaucoup de choses positives.» C’est peu dire que les familles royales européennes ont été choquées par cette bouffée gauchiste chez les Bourbon Parme. Réaction que cette intellectuelle analyse par le biais de la psychologie évolutive : «Quand une espèce est en train de s’éteindre, les individus qui la composent voient d’un mauvais œil ceux qui prennent des initiatives.»
L’utopie carliste de gauche n’ayant pas réussi à transformer son essai dans les urnes espagnoles, Maria-Teresa a repris, vers la fin des années 70, des études qui l’ont menée vers un doctorat en sciences hispaniques à la Sorbonne, puis un doctorat en sociologie à Madrid. L’un de ses sujets de thèse fut : «Surdétermination religieuse dans le domaine politique en Irlande». Elle s’est aussi beaucoup intéressée à l’islam. A vécu quelques années de clandestinité en Espagne, passé sept ans en Belgique, habite près de Madrid. Elle est, à notre connaissance, la seule altesse royale abonnée à Libération. Elle vit seule, a toujours vécu seule, ne s’est jamais mariée, n’a pas d’enfants (comme d’ailleurs ses deux sœurs Cécile et Marie des Neiges). «Par goût de l’indépendance», dit-elle. Pas même une liaison sentimentale ? demandons-nous à sa sœur Cécile. «Elle a une très haute exigence, répond celle-ci. Si une occasion s’était présentée, elle l’aurait saisie. Mais rien de conforme à ses aspirations n’est venu la distraire de son culte de l’indépendance.»
La descendante d’Henri IV (son aïeul préféré, car «il s’est attaché à la paix religieuse») est une femme hors normes, au point d’en être déroutante. Réduit à quia, quand on lui demande de se définir en trois mots, elle répond : «Engagement, liberté et amour de la musique populaire.» Bien, mais n’y a-t-il pas quelque contradiction entre son attachement au titre d’altesse et sa philosophie politique ? «Mon titre, c’est un don, il est précieux à condition d’en faire quelque chose.» Elle ajoute : «Je suis avant tout une démocrate de gauche, mais une monarchie, en donnant à la société une référence constante, me semble pouvoir être utile.» Tout est en ordre dans la tête bien faite de Maria-Teresa de Bourbon Parme, qui continue de vénérer la mémoire de son frère Charles-Hugues, disparu en 2010. Elle a dit un jour devant les carlistes : «Le jour où la marée de l’histoire balaiera le libéralisme décadent qui est le nôtre, nous nous rendrons tous compte que Charles-Hugues n’est pas mort.»
On aimerait être Proust et pouvoir distinguer dans la profondeur de son regard brun, comme dans celui du clan Guermantes, les siècles d’histoire qu’un beau nom charrie. Mais on ne parvient qu’à y détecter une sorte d’ironie amicale. On aimerait être spécialiste de la génétique moléculaire et mesurer au trébuchet de la spectroscopie le poids des chromosomes dans ce tempérament. Maria-Teresa évacue le sujet : «Nous recevons beaucoup de nos aïeux. Mais mon père nous répétait : "Vous héritez d’un nom et probablement de facilités d’empathie, n’en tirez jamais vanité".» On aimerait être limier pour découvrir qui se cache derrière cette princesse.
Elle a un contact franc et direct, parle avec la grande simplicité de la grande aristocratie : son interlocuteur oublie vite qu’il converse avec la nièce et filleule de la dernière impératrice d’Europe, Zita d’Autriche. Quelques mois avant sa mort, Arafat l’a reçue chez lui en tant que militante pro-palestinienne, ce qu’elle est aussi. «Il voulait savoir comment une personne issue d’un milieu aussi traditionnel que le mien avait pu évoluer de la sorte», se rappelle-t-elle. Le bouillant président vénézuélien, Hugo Chávez, s’est posé la même question, qui l’a invitée à son domicile, un soir de 2000. On ne sait ce que la princesse a répondu à l’un et à l’autre, mais avec le premier, elle a parlé laïcité, et avec le second des Frères Karamazov, l’ultime roman de Dostoïevski.
Arafat, Chávez, mais aussi Mitterrand, Malraux, Jean Guitton, Roger Garaudy et tous ceux qui l’ont fréquentée savaient au moins ceci : Maria-Teresa, ou Marie-Thérèse, est née française d’un père Bourbon Parme, François-Xavier, qui fut «roi carliste» d’Espagne. C’est-à-dire que papa ne régna pas mais lutta, toute sa vie, pour remettre sa dynastie sur le trône. Histoire complexe que celle du carlisme, dont ne parviennent en France que quelques échos confus. L’important est ceci : sous Franco, les carlistes se sont divisés entre pro et anti. Le père de Maria-Teresa, déporté à Dachau, a choisi, lui, de lutter contre la dictature et a instillé à ses deux fils et quatre filles un goût éperdu de la liberté. Le fils aîné, Charles-Hugues, et trois des filles (Maria-Teresa, Cécile et Marie des Neiges) ont entendu le message mieux que les autres.
Dès 1957, le frangin Charles-Hugues se met à dénoncer en pionnier «l’oppression du capitalisme financier». En 1972, avec sa femme, Irène de Hollande, il s’en va visiter Tito en Yougoslavie pour s’initier aux subtilités de l’autogestion. Puis, le couple poursuit son périple initiatique en Chine, à Cuba, au Japon. Ainsi se forge une singulière philosophie politique où se mêlent socialisme et fédéralisme, autogestion et défense de la dynastie carliste. Maria-Teresa devient une militante effervescente de ce carlisme de gauche, qui rêvait d’une oxymorique monarchie socialiste.
Rien ne prédisposait cette jeune fille, née à Paris, élevée dans un château du Bourbonnais puis chez les inflexibles sœurs du collège du Sacré-Cœur à Tours, à devenir une pasionaria. Rien, sinon le respect du père, l’amour du grand frère, et la conviction qu’elle avait, avec sa famille, un rôle à jouer dans l’avenir de l’Espagne (où elle n’a mis les pieds la première fois qu’à l’âge de 28 ans !). Elle possède la double nationalité depuis une vingtaine d’années. Son socialisme est tout en nuances. «Pour nous, l’idée socialiste, ce n’était pas la lutte des classes mais la recherche permanente du consensus.» Tito fut séduisant, certes, mais pas son parti unique. Chávez? «Il a fait des erreurs, mais aussi beaucoup de choses positives.» C’est peu dire que les familles royales européennes ont été choquées par cette bouffée gauchiste chez les Bourbon Parme. Réaction que cette intellectuelle analyse par le biais de la psychologie évolutive : «Quand une espèce est en train de s’éteindre, les individus qui la composent voient d’un mauvais œil ceux qui prennent des initiatives.»
L’utopie carliste de gauche n’ayant pas réussi à transformer son essai dans les urnes espagnoles, Maria-Teresa a repris, vers la fin des années 70, des études qui l’ont menée vers un doctorat en sciences hispaniques à la Sorbonne, puis un doctorat en sociologie à Madrid. L’un de ses sujets de thèse fut : «Surdétermination religieuse dans le domaine politique en Irlande». Elle s’est aussi beaucoup intéressée à l’islam. A vécu quelques années de clandestinité en Espagne, passé sept ans en Belgique, habite près de Madrid. Elle est, à notre connaissance, la seule altesse royale abonnée à Libération. Elle vit seule, a toujours vécu seule, ne s’est jamais mariée, n’a pas d’enfants (comme d’ailleurs ses deux sœurs Cécile et Marie des Neiges). «Par goût de l’indépendance», dit-elle. Pas même une liaison sentimentale ? demandons-nous à sa sœur Cécile. «Elle a une très haute exigence, répond celle-ci. Si une occasion s’était présentée, elle l’aurait saisie. Mais rien de conforme à ses aspirations n’est venu la distraire de son culte de l’indépendance.»
La descendante d’Henri IV (son aïeul préféré, car «il s’est attaché à la paix religieuse») est une femme hors normes, au point d’en être déroutante. Réduit à quia, quand on lui demande de se définir en trois mots, elle répond : «Engagement, liberté et amour de la musique populaire.» Bien, mais n’y a-t-il pas quelque contradiction entre son attachement au titre d’altesse et sa philosophie politique ? «Mon titre, c’est un don, il est précieux à condition d’en faire quelque chose.» Elle ajoute : «Je suis avant tout une démocrate de gauche, mais une monarchie, en donnant à la société une référence constante, me semble pouvoir être utile.» Tout est en ordre dans la tête bien faite de Maria-Teresa de Bourbon Parme, qui continue de vénérer la mémoire de son frère Charles-Hugues, disparu en 2010. Elle a dit un jour devant les carlistes : «Le jour où la marée de l’histoire balaiera le libéralisme décadent qui est le nôtre, nous nous rendrons tous compte que Charles-Hugues n’est pas mort.»
On aimerait être Proust et pouvoir distinguer dans la profondeur de son regard brun, comme dans celui du clan Guermantes, les siècles d’histoire qu’un beau nom charrie. Mais on ne parvient qu’à y détecter une sorte d’ironie amicale. On aimerait être spécialiste de la génétique moléculaire et mesurer au trébuchet de la spectroscopie le poids des chromosomes dans ce tempérament. Maria-Teresa évacue le sujet : «Nous recevons beaucoup de nos aïeux. Mais mon père nous répétait : "Vous héritez d’un nom et probablement de facilités d’empathie, n’en tirez jamais vanité".» On aimerait être limier pour découvrir qui se cache derrière cette princesse.