C'est une expérience
historique : les premiers mouvements révolutionnaires en Europe,
inspirés par les conceptions de Joachim de Flore, de Jan Hus à Thomas
Miinzer, se fondaient sur un appel à réaliser le Royaume de Dieu.
Frédéric Schlagel note : « Le désir révolutionnaire de réaliser le Royaume de Dieu . . . est le début de l'histoire moderne ». Le projet d'un Royaume de Dieu porte, certes, chaque fois l'empreinte de l'époque à laquelle il est conçu, mais il n'est pas un simple « bricolage » (comme dirait Lévi-Strauss) d'éléments du passé, il conçoit, même si c'est sous une forme utopique, un ordre social inédit.
Toute révolution naît de la conjonction d'une poussée de la misère et de l'oppression, d'une révolte et d'une espérance. Marx et Engels disaient par exemple du projet révolutionnaire de Thomas Miinzer, qu'il n'en a pas existé de plus avancé jusqu'au milieu du XIXe siècle (c'est-à-dire jusqu'au marxisme).
Ce messianisme est en avance sur l'histoire, comme tout véritable mouvement révolutionnaire, et comme tout travail spécifiquement humain, c'est-à-dire précédé de la conscience de ses fins, créateur. La faiblesse de l'utopie ce n'est pas de devancer l'histoire (c'est au contraire en quoi Marx l'admire et l'intègre à sa propre pensée révolutionnaire comme l'un de ses moments nécessaires) ; sa faiblesse c'est de ne pas comporter une analyse des conditions objectives de sa réalisation, ni une technique de cette réalisation. C'est ce qu'apporte Marx en définissant, pour son époque, les forces sociales capables de porter et de faire aboutir l'espérance révolutionnaire, et aussi les formes d'organisation, la stratégie et la tactique de la victoire.
Ceci n'est nullement en contradiction avec ce que Kierkegaard appelait « la passion du possible », car la caractéristique de cette tradition révolutionnaire chrétienne, de Joachim de Flore à Jan Hus et Thomas Miinzer, et des actuelles théologies de l'espérance et théologies politiques, c'est de concevoir le Royaume de Dieu non pas comme un autre monde, dans l'espace ou dans le temps, mais un monde autre , un monde changé, et changé par nos propres efforts. Le Royaume de Dieu était pour eux, non pas une promesse dont on attendait passivement la réalisation, mais une tâche à remplir .
Tout se joue dans notre histoire d'hommes : l'histoire est le seul lieu où se construit le Royaume de Dieu. L'Apocalypse (21, 1) ne dit pas que la terre sera remplacée par le ciel, mais que viennent un nouveau ciel et une nouvelle terre. Il ne s'agit ni de tourner le dos à la terre pour aller au ciel, ni de quitter le temps pour l'éternité. C'est Platon qui dit cela. Pas la Bible.
Pour désherber la transcendance peut-être faut-il d'abord ne pas la penser à travers les catégories du dualisme platonicien de la terre des hommes et du ciel des Idées (du temps et de l'éternité), qui sont totalement étrangères à la tradition biblique et qui ont perverti le christianisme pendant des siècles. Pour désherber la transcendance il faut aussi ne pas la penser à travers les catégories d'une eschatologie fixiste ; ne pas concevoir l'eschatologie comme une description de ce qui se passera — ce qui impliquerait une clôture de l'histoire, le retour au destin des grecs où tout est déjà écrit dans l'ordre divin. L'eschatologie ne consiste pas à nous dire : voilà où l'on va aboutir, mais à dire : demain peut être différent, c'est-à-dire : tout ne peut pas être réduit à ce qui est aujourd'hui. Ce postulat biblique de la transcendance est le premier postulat de toute action révolutionnaire.
Si j'ai écrit dans mon livre L'Alternative que la révolution, comme les arts, a plus besoin de transcendance que de réalisme, c'est qu'une révolution tout comme une oeuvre d'art, n'est pas seulement reflet de la réalité existante, mais d'abord projet de créer une réalité autre. Ce projet n'est possible et n'a de sens :
1) que si l'homme est pleinement responsable de son histoire, et non soumis seulement aux poussées du passé.
2) que si le travail de l'homme sous sa forme spécifiquement humaine comme dit Marx, c'est-à-dire précédé de la conscience de ses fins, prolonge la création continuée du monde et de l'homme, comme le rappelait le Père Chenu dans sa Théologie du travail. Plus je travaille, plus Dieu est créateur. I l n'y a pas d'extériorité de Dieu. Dieu est passé tout entier dans l'homme : Il se révèle et continue sa création en lui, par lui. C'est ainsi que je comprends le mot de Clément d'Alexandrie : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme se fasse Dieu- ».
3) que si l'imagination peut inventer le futur, à partir d'une multiplicité de possibles et de projets.
Ce postulat de la transcendance, qui est, comme l'espérance, un aspect de la foi , est au principe de toute défatalisation de l'histoire. C'est par là qu'il est libérateur.
Roger Garaudy, extrait d'un article publié en 1973 dans la revue dominicaine "Lumière et vie". Cet article est à lire dans son intégralité à http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/01/jesus-inaugure-un-nouveau-mode_6.html
Frédéric Schlagel note : « Le désir révolutionnaire de réaliser le Royaume de Dieu . . . est le début de l'histoire moderne ». Le projet d'un Royaume de Dieu porte, certes, chaque fois l'empreinte de l'époque à laquelle il est conçu, mais il n'est pas un simple « bricolage » (comme dirait Lévi-Strauss) d'éléments du passé, il conçoit, même si c'est sous une forme utopique, un ordre social inédit.
Toute révolution naît de la conjonction d'une poussée de la misère et de l'oppression, d'une révolte et d'une espérance. Marx et Engels disaient par exemple du projet révolutionnaire de Thomas Miinzer, qu'il n'en a pas existé de plus avancé jusqu'au milieu du XIXe siècle (c'est-à-dire jusqu'au marxisme).
Ce messianisme est en avance sur l'histoire, comme tout véritable mouvement révolutionnaire, et comme tout travail spécifiquement humain, c'est-à-dire précédé de la conscience de ses fins, créateur. La faiblesse de l'utopie ce n'est pas de devancer l'histoire (c'est au contraire en quoi Marx l'admire et l'intègre à sa propre pensée révolutionnaire comme l'un de ses moments nécessaires) ; sa faiblesse c'est de ne pas comporter une analyse des conditions objectives de sa réalisation, ni une technique de cette réalisation. C'est ce qu'apporte Marx en définissant, pour son époque, les forces sociales capables de porter et de faire aboutir l'espérance révolutionnaire, et aussi les formes d'organisation, la stratégie et la tactique de la victoire.
Ceci n'est nullement en contradiction avec ce que Kierkegaard appelait « la passion du possible », car la caractéristique de cette tradition révolutionnaire chrétienne, de Joachim de Flore à Jan Hus et Thomas Miinzer, et des actuelles théologies de l'espérance et théologies politiques, c'est de concevoir le Royaume de Dieu non pas comme un autre monde, dans l'espace ou dans le temps, mais un monde autre , un monde changé, et changé par nos propres efforts. Le Royaume de Dieu était pour eux, non pas une promesse dont on attendait passivement la réalisation, mais une tâche à remplir .
Tout se joue dans notre histoire d'hommes : l'histoire est le seul lieu où se construit le Royaume de Dieu. L'Apocalypse (21, 1) ne dit pas que la terre sera remplacée par le ciel, mais que viennent un nouveau ciel et une nouvelle terre. Il ne s'agit ni de tourner le dos à la terre pour aller au ciel, ni de quitter le temps pour l'éternité. C'est Platon qui dit cela. Pas la Bible.
Pour désherber la transcendance peut-être faut-il d'abord ne pas la penser à travers les catégories du dualisme platonicien de la terre des hommes et du ciel des Idées (du temps et de l'éternité), qui sont totalement étrangères à la tradition biblique et qui ont perverti le christianisme pendant des siècles. Pour désherber la transcendance il faut aussi ne pas la penser à travers les catégories d'une eschatologie fixiste ; ne pas concevoir l'eschatologie comme une description de ce qui se passera — ce qui impliquerait une clôture de l'histoire, le retour au destin des grecs où tout est déjà écrit dans l'ordre divin. L'eschatologie ne consiste pas à nous dire : voilà où l'on va aboutir, mais à dire : demain peut être différent, c'est-à-dire : tout ne peut pas être réduit à ce qui est aujourd'hui. Ce postulat biblique de la transcendance est le premier postulat de toute action révolutionnaire.
Si j'ai écrit dans mon livre L'Alternative que la révolution, comme les arts, a plus besoin de transcendance que de réalisme, c'est qu'une révolution tout comme une oeuvre d'art, n'est pas seulement reflet de la réalité existante, mais d'abord projet de créer une réalité autre. Ce projet n'est possible et n'a de sens :
1) que si l'homme est pleinement responsable de son histoire, et non soumis seulement aux poussées du passé.
2) que si le travail de l'homme sous sa forme spécifiquement humaine comme dit Marx, c'est-à-dire précédé de la conscience de ses fins, prolonge la création continuée du monde et de l'homme, comme le rappelait le Père Chenu dans sa Théologie du travail. Plus je travaille, plus Dieu est créateur. I l n'y a pas d'extériorité de Dieu. Dieu est passé tout entier dans l'homme : Il se révèle et continue sa création en lui, par lui. C'est ainsi que je comprends le mot de Clément d'Alexandrie : « Dieu s'est fait homme pour que l'homme se fasse Dieu- ».
3) que si l'imagination peut inventer le futur, à partir d'une multiplicité de possibles et de projets.
Ce postulat de la transcendance, qui est, comme l'espérance, un aspect de la foi , est au principe de toute défatalisation de l'histoire. C'est par là qu'il est libérateur.
Roger Garaudy, extrait d'un article publié en 1973 dans la revue dominicaine "Lumière et vie". Cet article est à lire dans son intégralité à http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/01/jesus-inaugure-un-nouveau-mode_6.html