Par une formidable mobilisation
médiatique, les
maîtres du chaos cherchent à
faire passer pour une
évidence que la seule issue, pour
échapper au goulag,
est de retourner à l a jungle.
C'est une fois encore oublier
le passé, « l'anarchie
industrielle et commerciale »,
comme disait Fourier, dont les
inégalités, les exploitations
et les violences (qui demeurent
aujourd'hui) ont
donné naissance au socialisme.
Ce n'est pas Marx qui, le
premier, a dénoncé le
Capital.
Gracchus Babeuf, en juin 1791,
flétrissait la loi Le
Chapelier qui interdit pendant
trois quarts de siècle la
formation de syndicats ouvriers,
comme « la loi barbare
dictée par le Capital ».
Ce n'est pas Marx qui a inventé
la « lutte de
classes ».
En 1833 (Marx avait quinze ans),
Pierre Leroux, qui
fut Saint-Simonien, écrivait : «
La lutte actuelle des
prolétaires contre la bourgeoisie
est la lutte de ceux qui
ne possèdent pas les instruments
de production contre
ceux qui les possèdent. »
Ce n'est pas Marx qui a
démystifié le premier les
mensonges de la liberté. L'abbé
Lamennais écrivait en
1838 : « Entre le fort et le
faible, c'est la liberté qui
opprime et la loi qui libère. »
Auguste Blanqui, au lendemain du
deuxième écrase-
ment du socialisme, celui de la
Commune de Paris, tient
le même langage : « On reproche
au communisme
d 'être le sacrifice de
l'individu et la négation de la
liberté. Et au nom de qui cette
arrogante supposition ?
Au nom de l'individualisme qui,
depuis des milliers
d'années, assassine en permanence
et la liberté et
l'individu. Combien sont-ils,
dans notre espèce, les
individus dont il n'a pas fait
des ilotes et des victimes ?
Un sur dix mille peut-être ? Dix
mille martyrs pour un
bourreau! Dix mille esclaves pour
un tyran! et l'on
plaide pour la liberté ! Je
comprends : quelque sinistre
escobarderie embusquée derrière
une définition. L'oligarchie
ne s'intitule-t-elle pas
démocratie, le parjure
honnêteté, regorgement
modération? »
Aujourd'hui, les mêmes
politiciens, semblables à
notre journaliste du 15 juillet
1789, font commencer
l'histoire de ce qu'ils appellent
« la révolution russe du
19 août 1991 » en 1991, afin
d'enterrer pêle-mêle la
perestroïka de Gorbatchev, la «
doctrine Brejnev » sur
la « souveraineté limitée », la
terreur stalinienne, mais
aussi Lénine, la révolution
d'Octobre, Karl Marx, et,
en bloc, le socialisme.
Non, cette histoire non plus n'a
pas commencé ainsi.
Historiquement, le socialisme est
né au 19e siècle.
Dans toute société où les
hiérarchies féodales du sang
étaient remplacées par les
hiérarchies de l'argent,
l'économie de marché devint le
seul régulateur des
rapports humains. Une jungle
proliféra où les plus forts
dévoraient les plus faibles.
De là naquit l'idée d'un autre
régulateur économique
et social, le plan, destiné,
selon Marx, « à donner à
chacun tous les moyens
économiques, politiques et
culturels de développer
pleinement toutes les possibilités
humaines qui sont en lui, afin
que chaque enfant
qui porte en lui le génie de
Mozart puisse devenir
Mozart ». Telle était la
définition du socialisme par ses
fins, la socialisation
des instruments de production n'en
étant qu'un moyen.
Ce critère est non-économique : il
s'agit de faire de
l'économie un moyen pour
atteindre cette fin et, pour
cela, de rompre avec la logique
du marché, qui est
principe de toute aliénation du
travail et de l'homme.
Marx ne réduisait pas le
mouvement de l'histoire à
celui de l'économie, qui en est,
avec le capitalisme,
devenu le moteur. Lorsque son
gendre Paul Lafargue
prétendait résumer sa pensée dans
un livre intitulé Le
Déterminisme
économique, il
répondait : « Si c'est cela le
marxisme, moi, Marx, je ne suis
pas marxiste. »
Le dépassement des contradictions
du capitalisme
exigeait en effet de rompre avec
le déterminisme aliéné
et aliénant de l'économie
libérale. Cela impliquait
qu'une révolution a plus besoin
de transcendance que
de déterminisme.
Le rôle social et politique des
religions, à l'époque de
Marx, alors que régnait encore
sur l'Europe l'esprit de
la Sainte-Alliance et la
conception dualiste de la
transcendance, celle des
théologiens de son temps, n'a
pas permis à Marx, devant ce réel
« opium du peuple »,
de voir qu'il était une
aliénation de la foi.
Cette limite historique, dans
l'oeuvre des épigones,
qui répétaient les formules de Marx
sans s'inspirer de sa
méthode, a pesé lourdement sur
toute l'histoire du
socialisme. Elle a fait parfois
de l'athéisme une composante
nécessaire du socialisme qu'elle
a presque toujours
privé de sa dimension
transcendante au profit
d'un prétendu « socialisme
scientifique », oubliant
qu'une révolution peut être
scientifique dans ses
moyens, mais qu'aucune science ne
nous donne des fins
dernières.
Dans un pays comme la Russie de
1917, économiquement
distancée par les pays de
capitalisme avancé,
comme l'Angleterre, les problèmes
de l'instauration du
socialisme ont interféré avec les
exigences du développement.
L'échec de cette tentative de
socialisme étatique, et
non autogestionnaire
(c'est-à-dire faisant participer
chacun, à des niveaux divers, aux
décisions concernant
le sens et l'organisation de sa
vie), ne découle pas
seulement de circonstances
conjoncturelles telles que
l'héritage d'une économie
retardataire ou un entourage
hostile — bien que cet
encerclement ait contribué à la
naissance d'une dictature, comme
en 1793 pendant la
Révolution française — mais d'une
acception fausse du
socialisme, née des conceptions
productivistes de l'Occident
depuis la Renaissance.
Aussi, ce qu ' il y a de pire
dans le développement de ce
socialisme, ce sont ses emprunts
aux postulats de base du
capitalisme, à la croyance
occidentale en un modèle
unique de développement confondu
avec la croissance
quantitative assurée par les
sciences et les techniques de
l'Occident. En Russie, le régime
nouveau présenta très
vite trois perversions
fondamentales.
Marx avait formulé les lois de la
croissance optima du
capitalisme le plus avancé de son
temps, le capitalisme
anglais, en établissant une
relation algébrique entre les
investissements destinés à la
production des instruments
de production et ceux consacrés à
la production des biens
de consommation. La seule théorie
de la croissance,
selon Samuelson, qui ait vécu plus
d'un siècle.
Des disciples dogmatiques firent
de cette loi descriptive
du développement du capitalisme
anglais du 19e siècle
une loi normative du
développement du socialisme russe
au 20e siècle. Erreur fatale qui empêchait
désormais de
penser le socialisme à partir de
ses fins, et faisait un
dogme de la priorité absolue de
l'industrie lourde,
reproduisant ainsi l'inhumanité
de l'industrialisation
sauvage du début du 19e
siècle en Angleterre et en
France.
Dans les conditions de retard
économique de la
Russie en 1917, puis de la
reconstruction après les
ruines de la Seconde Guerre
mondiale, la primauté de
l’impératif de croissance
industrielle put apparaître
comme une nécessité historique
pour n' être pas écrasé
par l'encerclement des puissances
économiques.
Les ravages humains ne devinrent
évidents qu'après
le décollage industriel (1937 et
les grands procès), mais
furent occultés par la nécessité
de faire face pendant la
guerre, et ne suscitèrent les
premières révoltes, en
Hongrie puis en Tchécoslovaquie
notamment, qu'après
la reconstruction.
La deuxième perversion consista à
confondre socialisation
et étatisation. Marx se moquait déjà de ceux qui
définissaient le socialisme par
les nationalisations.
« Bismarck, disait-il, serait le
plus grand socialiste de
l'Europe pour avoir nationalisé
les postes ! »
Lénine, dans son dernier article
dans la Pravda sur
« le mouvement coopératif»,
définissait la socialisation
comme création d'un réseau de coopératives
autogérées. A
la campagne, disait-il, le
passage durera plus de
soixante ans, et devra se
réaliser sur la base d'expériences
réussies, sans anticiper sur la
prise de conscience,
par les paysans, de la valeur du
système.
Lorsque Staline prétendit
collectiviser l'agriculture en
quelques mois et par voie
autoritaire, il porta à cette
agriculture un coup dont,
aujourd'hui encore, elle ne
s'est pas relevée.
La « socialisation des moyens de
production » dans
un pays de capitalisme
retardataire — en 1917, la classe
ouvrière ne constituait que 3 %
de la population
active — conduisait à réaliser
l'industrialisation non à
partir de coopératives autogérées
mais « par en haut »,
c 'est- à - dire par étatisation et centralisation. Le
« plan », au lieu d'être un
instrument d'humanisation
de l'économie, d'orientation de
la production en fonc-
tion des besoins humains et non
du profit, devint une
institution hiérarchisée de
manière quasi militaire, sans
« participation » de la base, où
technocrates, bureaucrates
et membres de l'appareil du Parti
détenaient tous
les pouvoirs et décidaient au nom
des travailleurs, qui
n'étaient pas consultés, ou de
manière purement formelle,
sans influence sur les directions
centrales.
Cette conception du rôle de
l'État est en contradiction
radicale avec celle de Marx. Marx
donnait en
exemple de « la forme enfin
trouvée » d'un État socialiste
la Commune de Paris, contraire
exact de l'État
soviétique. La Commune était,
dans sa visée, et sous
forme embryonnaire,
autogestionnaire, fedérative et
non centralisée, sans parti
unique : les proudhoniens y
détenaient la majorité absolue
mais les blanquistes y
étaient présents. On y comptait
un seul marxiste.
La troisième perversion majeure a
consisté à confondre
la planification, qui n'a qu'un
rôle d'orientation,
avec une méthode de gestion par
en haut, déterminant
les investissements, les prix,
les normes de production,
la distribution commerciale, les
dévolutions de pouvoir,
à partir d'une bureaucratie
centrale et des appareils
locaux désignés par elle.
Cette triple perversion a conduit
l'économie au
chaos, et la liberté au cachot.
L'une des plus grandes erreurs
des partis communistes
est d'avoir pris comme modèle
d'organisation,
sous le nom de « centralisme
démocratique », la brochure
de Lénine, « Que faire ? »,
qui préconisait une
organisation du parti de type
militaire. Mais ses
disciples ont oublié qu ' il la
concevait seulement pour la
clandestinité, face à une
répression tsariste féroce.
Maintenir ce « communisme de guerre
» dans le parti et
l ' Etat en temps de paix ne
pouvait conduire qu ' à la
déchéance.
En ce qui concerne le coup d 'État
criminel du 19 août
1991, on est en droit de se poser
quelques questions sur
sa signification politique et sur
ses auteurs, car sa
stupidité même est suspecte.
Le groupe des comploteurs est au
sommet de l ' Etat et
de ses moyens de répression,
dominant les ministères de
la Défense et de l'Intérieur, et
tout l'appareil du Parti.
Or, des 180 divisions que compte
l'armée soviétique, ils
n'en contactent que quinze, et
n'en mobilisent que cinq,
avec ordre de ne pas tirer. E n
même temps, comme
dans le plus extravagant scénario
d'Hollywood — sans
doute L'Empire du mal, comme
disait Reagan — ils
commandent à une usine de
Pskov... 250000 paires de
menottes !
Du côté du ministère de
l'Intérieur, aucune communication
téléphonique intérieure ou
extérieure n'est
coupée, sauf celle de Gorbatchev.
Boris Eltsine revient de vacances
quelques heures
avant le déclenchement du coup d
'État . Il n'est inquiété
ni à l'aéroport, ni chez lui . Il
se rend au Parlement russe
et entre en conversation
téléphonique avec le Président
Bush. Ses amis, les maires de
Moscou et de Leningrad,
ont le même privilège.
Debout sur l 'un des tanks qui
entourent le Parlement,
où peuvent à loisir le
photographier les agences internationales,
i l appelle à une grève générale,
que personne
ne suivra, et à des
manifestations qui ne dépassent pas
Moscou.
Ainsi naît un héros de la
résistance !
Également troublant est l'accueil
officiel du grand
duc Wladimir à Saint-Pétersbourg
(qui a repris son
nom allemand), par le maire
eltsinien de la ville, le
7 novembre 1991, jour
anniversaire de la révolution
d'Octobre. Eltsine, à Paris,
rencontre l'héritier des
tsars, qui l'assure de son
soutien.
Gorbatchev a repensé le
socialisme à partir de ses
fins * pour changer
fondamentalement les moyens. I l ne
s'agit pas d'un rapiéçage ou d'un
simple changement
des structures, comme le suggère
le mot perestroïka. Je
traduirais plutôt perestroïka
par renaissance : une société
qui se repense à partir de ses
principes.
Cette ouverture a rendu possible
la levée de peuples
entiers, en Pologne, en Hongrie,
en R D A , en Tchécoslovaquie.
Même si un si vaste mouvement
pour un
socialisme à visage humain est
inévitablement parasité
par des pêcheurs en eau trouble
ou des provocateurs, le
sens profond de la crise est
clair : il s'agit d'une révolte
déclenchée par Gorbatchev contre
la triple perversion
du socialisme.
I l a échoué.
Mais cet incontestable échec ne
doit pas nous
conduire à idéaliser pour autant
l a jungle du marché
sauvage.
Le monde de 1' « économie de
marché » compte, en
Europe, dix-sept millions de
chômeurs, et, aux États-
Unis, vingt millions d'indigents.
Les premières déclarations faites
par Eltsine, sans
consulter personne, sont
spectaculaires, encore qu'inquiétantes
pour les autres républiques et
gênantes pour
ses partisans de l'extérieur.
Elles indiquent que les
frontières des républiques
peuvent être révisées, que
toutes les armes nucléaires
d'Ukraine seront transférées
en Russie, que l'activité du
Parti est suspendue, et que
six journaux sont interdits.
Étrange début pour un ordre
démocratique !
A partir de là, certains objectifs
fondamentaux peuvent
être atteints. D'abord, en finir
avec la perestroïka
de Gorbatchev, qui tentait depuis
cinq ans (avec trop
de louvoiements et de lenteur,
c'est vrai) d'articuler,
dans l'économie, le marché et le
plan, afin de rompre
avec la planification centralisée
et despotique, sans
pour autant tomber dans la jungle
d'un marché sans
entrave. Le libéralisme sauvage y
rappelle l a théorie du
renard libre dans le poulailler
libre, avec polarisation de
la richesse par une minorité, et
chômage pour des
multitudes.
Boris Eltsine, depuis deux ans,
s'est prononcé pour
une économie de marché à
l'américaine. L'hallucinante
braderie de siècles d'histoire
révèle chaque jour davantage
l'ampleur de la trahison contre
un grand peuple.
A en juger par l'absurdité
dérisoire de l'entreprise du
« coup d'Etat » et par
l'immensité de ses conséquences,
à en juger surtout par ses
bénéficiaires, on est en droit
de se demander s'il s'agissait
vraiment d'un complot, ou
d'une mise en scène.
Quelle que soit la réponse à
notre question, le résultat
est là : une restauration du
capitalisme. Je dis « restauration
» du capitalisme comme on appelle
« restauration
de la monarchie » le mouvement de
1815.
La Révolution française avait
commis ses crimes : la
Terreur jacobine, les corruptions
des thermidoriens, la
dictature de Napoléon, mais la
monarchie restaurée ne
se contente pas d'abattre les
statues de Napoléon et de
Robespierre, elle abat aussi
celles de Rousseau, de
Voltaire, de Diderot. Elle veut
rayer de la mémoire des
Français le « siècle des Lumières
» et tous les aspects
positifs de la Révolution, comme
aujourd'hui l'on ne se
contente pas de renverser les
statues de la décadence
stalinienne, mais celles de Marx
et des fondateurs du
socialisme. On feint d'oublier
les orgies anciennes du
capitalisme, la tyrannie des
tsars de la Russie, qu'on
appelait alors « la prison des
peuples » à cause de la
persécution exercée contre les
minorités ethniques et
tout mouvement de liberté.
Car, pour mettre fin à la
perestroïka qui tentait de
restaurer le socialisme en
combattant ces perversions,
on veut restaurer le capitalisme
sous le pseudonyme
rajeuni d ' « économie de marché
».
Pour affaiblir les résistances
possibles, la méthode la
plus sûre était de désintégrer
l'ancienne Union soviétique
en déchaînant des nationalismes,
au risque de
réveiller de vieux démons.
La désintégration de l 'Union
soviétique s'est achevée
de telle manière, avec le complot
de Minsk par Eltsine
et ses deux compères, que tout se
passe comme si la
mise en scène du « complot » du
19 août était la
préparation de celui du 10
décembre, la réalisation en
deux étapes d'une seule
entreprise : en finir avec la
perestroïka — qui était une
tentative de réforme du
socialisme —, et hâter la
restauration du capitalisme.
Le déchaînement des nationalismes
est étroitement
lié à cette opération : lorsque
les projets d'avenir
refluent, le passé émerge et le
nationalisme resurgit. Il
est alors facile, et démagogique,
de désigner « l'autre »
comme le bouc émissaire de tous
les malheurs.
L'exemple typique est celui des
Etats baltes, dont
l'indépendance a été si
hâtivement reconnue. Les
politiciens^ et les médias à leur
service, ont fait croire
que ces Etats avaient été de
paisibles démocraties
dévorées en 1940 par Staline.
L'actuel président lituanien, M .
Landsbergis, a nié
jusqu'au début de septembre 1991
avoir réhabilité des
criminels de guerre nazis. Or les
centres Simon Wiesenthal,
à Los Angeles et à Jérusalem,
révèlent, le 5 septembre,
que ces fascistes lituaniens
étaient intégrés, en
unités spéciales, dans l'armée
d'Hitler. Ils se consacraient
à l'extermination des Polonais,
des Russes, des
Juifs et des Gitans. Un tiers
sont encore en vie. Ils ont
été réhabilités, même après avoir
avoué des meurtres
collectifs ( Le Monde , 7
septembre 1991), par M . Landsbergis
qui, dans le territoire lituanien
à forte présence
polonaise, a supprimé les organes
d'autogouvernement
et les a remplacés par des
gouverneurs dont l'action est
telle que les Polonais de ces
régions les appellent des
gauleiters, comme au temps
de l'occupation hitlérienne.
En Ukraine, à côté des
nationalistes modérés présidés
par le poète Ivan Drech, les
nationalistes traditionnels,
dirigés par Stepan Jmara, ont
décidé d'intégrer « tous
ceux qui ont combattu les Rouges
», y compris ceux qui
l'ont fait aux côtés des nazis.
Les populations du midi
de la France ont fait
l'expérience de la férocité, pendant
l'Occupation, des exactions de «
l'armée Vlassov »,
constituée par des Ukrainiens.
La Croatie n'est devenue un Etat
que par la volonté
d'Hitler, qui en confia la
direction au fasciste croate
Ante Pavelich, chef des oustachis.
Le mouvement nationaliste
croate, comme le révélait Le
Monde du 13 septembre
1991, sous le titre « La Légion
noire », utilise
des mercenaires français pour «
nettoyer les villages
serbes ». L' u n d'eux se déclare
« national socialiste et
fier de l'être ». On arbore dans
les campements les
portraits d'Ante Pavelich.
En Azerbaïdjan, à la frontière de
l'Iran, et, à un
moindre degré, en Ouzbékistan,
les gouvernements ne
parviennent plus à endiguer la
montée des courants
islamistes intégristes.
Les encouragements aux
nationalismes conduisent
ainsi, non à une démocratisation
de la vie des républiques,
mais à la formation de nouveaux
totalitarismes
dont la contagion en Europe
risque de déstabiliser tous
les Etats. En Espagne, les
nationalistes catalans et
basques invoquent déjà l'exemple
lituanien. Qu'en
sera-t-il, en Grèce, d'un État
macédonien ? En Italie, du
Tyrol et du Haut Adige? Ou encore
en Irlande du
Nord?
L'aveuglement des dirigeants
occidentaux nous
conduit une fois de plus au
chaos.
Politiciens et affairistes
occidentaux n'ont vu, dans
l'implosion du monde soviétique,
que l'ouverture d'un
immense marché. C'est penser le
monde avec un siècle
de retard et sans tenir compte de
leurs échecs, comme
au temps où l'Angleterre et la
France se partageaient la
dépouille de l'Empire ottoman.
Toutes leurs créations
d'alors portent à présent des
noms de massacres : Irak
et Palestine, Syrie et Liban,
Serbie et Croatie.
Le danger est aujourd'hui accru,
car l'occasion
historique perdue de renoncement
progressif au
nucléaire, proposé par Gorbatchev
lorsqu'il avait
encore le pouvoir d'en concerter
le contrôle avec les
Etats-Unis, peut laisser des
possibilités nucléaires apocalyptiques
aux mains d'irresponsables
tyranneaux.
ROGER
GARAUDY
LES FOSSOYEURS Un nouvel appel aux vivants
Copyright© L'Archipel, 1992.
pages 48 à 59