d'illusions menteuses, même dans
le mouvement
des femmes, que nous ne sommes
pas du tout
dans une période ascendante de
cette « féminisation
» des rapports sociaux.
La « promotion » des femmes, dont
chacun se
fait une bannière, n'est
nullement en voie de
réalisation. Il y a des
promotions individuelles,
parfois nombreuses, et des reculs
du pouvoir
masculin devant des exigences
difficilement évitables,
celles, par exemple, de la
maîtrise
consciente de la maternité par la
conception
volontaire et l'avortement.
Mais tout cela est intégré à un
ordre typique-
-ment masculin dans ses
concurrences économiques
de plus en plus féroces entre des
géants de
plus en plus puissants et cruels
comme les multinationales,
dans ses affrontements, à
l'échelle
mondiale, de blocs rivaux, dans
les coups d'Etat
militaires de tout le Tiers Monde
(et ailleurs) et
dans la volonté systématique et
férocement
égoïste des anciens colonisateurs,
et des pays
industrialisés en général,
d'utiliser ces armées et
leurs dictatures pour relayer
leur domination et
leur exploitation coloniale sous
d'autres formes,
dans sa course aux armements sans
cesse accélérée
pour créer, au seul profit des
firmes qui les
fabriquent et des politiciens qui
les protègent, des
symboles militaires, jouets
coûteux, en général
impuissants, et parfois
apocalyptiques1.
Jamais la violence et les «
équilibres de la
terreur » n'ont régné sur le
monde avec une telle
universalité et à une telle
échelle, les violences
des individus et des petits
groupes n'étant que la
transposition, dans les rapports
individuels, de la
loi qui régit les rapports entre
les Etats.
Nous ne cherchons pas à noircir
le tableau,
mais simplement à prendre conscience
des périls
et de leur ampleur pour essayer
de découvrir des
parades à leur mesure.
1.
Sur ces problèmes, notamment militaires, voir : Roger
GARAUDY,
Il est encore temps
de vivre
Dans une telle situation la
mutation fondamentale
nécessaire à notre survie et à
notre vie, et
surtout à celles de nos enfants
qui atteindront
l'âge adulte dans les années où
toutes les courbes
des dérivées actuelles convergent
vers une même
impasse de famine pour les deux
tiers du monde,
de tension maximale entre les trois
mondes,
d'accumulation d'énergies et
d'armements
nucléaires mettant en péril
l'avenir génétique de
l'espèce humaine, d'effondrement
des systèmes
politiques et religieux, ce
serait faire preuve
d'aveuglement que de pratiquer un
quelconque
« isolationnisme », fût-ce celui
des femmes :
nous nous sauverons tous ensemble
ou nous nous
perdrons tous ensemble.
Nous avons, chemin faisant,
évoqué les diverses
réponses partielles aux problèmes
féminins
qui sont les problèmes de notre
avenir tout
entier : sans cette «
féminisation » des rapports
sociaux, trois millions d'années
de l'épopée
humaine peuvent capoter.
La revendication d ' « égalité »
des femmes
prend aujourd'hui un sens nouveau
: il ne s'agit
plus seulement d'une égalité de
principe, égalité
juridique, économique ou
politique, car l'égalité
même est une injustice lorsque
les possibilités au
départ ne sont pas les mêmes, et
que l'ensemble
de notre système social prive
l'immense majorité
des femmes de ces possibilités.
Le problème est donc pour les
femmes non pas
de s'enfermer dans le ghetto de
revendications
strictement féminines, sans aucun
doute indispensables
et qui doivent être avancées avec
toujours plus de force, mais,
sans relâcher leurs
efforts sur ces fronts, de se
porter à la tête de
toutes les formes d'organisation
des luttes de
libération : des luttes contre la
politique militaire
qui est l'instrument ultime du
maintien de toutes
les autres formes de domination;
des luttes
contre un système politique de
centralisation à
outrance, depuis la
centralisation de l'énergie
imposée par la force policière,
jusqu'à la centralisation
des forces économiques par le
monopole
des multinationales, et à la
centralisation politique
et bureaucratique violant le
principe premier
de toute démocratie : résoudre
chaque problème
au niveau où il se pose ; des
luttes pour une forme
radicalement nouvelle d'éducation
mettant fin
non seulement à la discrimination
qui consiste à
préparer les garçons et les
filles à des fonctions
sociales différentes, mais à l'archaïsme
des programmes
et des structures qui fait de
l'école et de
l'université le meilleur
instrument du conservatisme
en cultivant dès le départ tout
ce qui
répond aux besoins d'une société
masculine
démentielle de concurrence, de
croissance économique
au détriment du développement
humain
d'exaltation historique du
chauvinisme, de la
hiérarchie des cultures, et du
maintien des dominations.
Les femmes constituent la
majorité de la
nation : si leur place n'est pas
majoritaire et
prioritaire dans tous les organes
de ces combats,
des syndicats aux Eglises, des
assemblées politiques
et des pouvoirs de contrôle et de
proposition,
des communautés locales et des
associations,
le vieil ordre sera maintenu et,
avec lui,
leur sujétion.
Cette mutation est devenue possible
car la
plupart des conditions
historiques qui ont été à
l'origine de la subordination des
femmes ont
aujourd'hui disparu.
Dans la division du travail,
comme le soulignait
déjà Simone de Beauvoir, la force
physique a de
moins en moins d'importance, et
moins encore
au niveau des fonctions
dirigeantes. Le développement
de l'automation et de
l'informatique
n'a cessé d'accentuer cette
tendance historique.
D'ailleurs le travail lui-même
est de moins en
moins le principe organisateur et
le moteur de la
société. La société n'est plus,
comme au temps
d'Adam Smith ou de Karl Marx, un
organisme de
travail. D'autres dimensions de
la vie sociale ont
pris une place croissante. Les
explosions de
mai 1968 en ont porté témoignage.
Il est devenu
possible de réduire massivement
le temps de
travail, condition première de la
liberté et d'une
amélioration de la qualité de la
vie en donnant à
chacun la possibilité d'investir
davantage de son
temps et de sa vie dans des
activités spécifiquement
humaines : l'art, la création,
l'amour et
toutes les autres formes de
l'épanouissement et
de l'enrichissement de la
personne.
Le recul de l'économie de marché
et la faillite
des sociétés de « croissance »
aveugle, c'est-àdire
le développement d'un socialisme
authentique,
si nous savons le concevoir, le
promouvoir
et le construire, permettra de
mettre fin au plus
vieux dualisme : celui de
relations extérieures
perverties par les concurrences,
et d'un
« foyer », ou bien refermé sur
lui-même et
véritable « clôture » pour la
femme, ou bien
devenant le « noeud de vipères »
de tous les
harcèlements et de toutes les
manipulations
d'une société de marché et de
croissance.
La « défense », sous sa forme
militaire, est
devenue un archaïsme absurde et
meurtrier et,
avec elle, non seulement la forme
traditionnelle
des relations entre les Etats en
fonction des
rapports de force, mais, à
l'intérieur de chaque
société, le bastion le plus
ancien et le plus
masculin des dominations : la
domination militaire.
Dans la culture enfin, nous avons
montré que
la notion même de rationalité est
mise en cause,
comme partielle, jusqu'ici
exclusivement masculine
c'est-à-dire contraignante,
réductrice et systématique,
inconsciente de ses postulats, de
ses
limites et de ses ruptures. La
conception unilatéralement
masculine de la raison est la clé
de
voûte du système de domination
masculine car elle
lui fournit ses justifications.
C'est donc une tâche
majeure de faire éclater
l'évidence de ses limites
à tous les niveaux, des sciences,
des arts, de la
philosophie, de la foi, de
l'éducation.
Ainsi seulement, par une bataille
généralisée
sur tous ces fronts, pourront
être atteintes une
complète réciprocité des
comportements, visée
première des femmes, et, en même
temps,
condition nécessaire d'une
métamorphose de
l'ensemble des rapports sociaux
régnant depuis
six mille ans : que chaque femme
ait la même
part d'initiative que l'homme
dans le choix ou le
rejet de son compagnon, dans
l'acceptation ou le
refus de sa maternité, ne sera
plus alors seulement
le signe d'une « égalité » réelle
de la
femme, mais d'une mutation
globale des rapports
humains, mutation qui seule
rendra possible à
l'humanité de franchir sans périr
le nouveau
seuil de son histoire, à un
moment où il lui
est devenu techniquement possible
d'y mettre
fin.
La femme n'est pas seulement,
selon la formule
annonciatrice d'Aragon « l'avenir
de
l'homme ». Il appartient aux
hommes de prendre
conscience, qu'au sens le plus
littéral, sans féminisation
de la société, l'humanité tout
entière ne
peut escompter aucun avenir.
Roger Garaudy
Fin de la conclusion de "Pour l'avènement de la femme", pages 169 à 176