Si j'embrasse aujourd'hui d'un regard la totalité de ma vie, ce qui en fait l'unité, dans la diversité de ses recherches, c'est ce passage d'une philosophie de l'être à une philosophie de l'acte.
En politique, la longue lutte contre le déterminisme de ce qui est, contre toute philosophie linéaire de l'histoire lui assignant d'avance une fin, depuis les perversions du marxisme concevant le renversement de Hegel, comme la substitution d'une dialectique de la matière à une dialectique de l'esprit. Ce faux déterminisme historique faisait du socialisme une étape nécessaire, après d'autres et découlant d'elles. (Sous une forme caricaturale les aberrations de Fukuyama proclamant fin de l'histoire le triomphe du monothéisme du marché). L'histoire n'est pas faite de faits, mais de choix humains et de créations humaines. Il importe donc de retrouver l'inspiration de Marx, de comprendre avec lui que les hommes font leur propre histoire même s'ils ne la font pas arbitrairement, mais dans des situations conditionnées par le passé. Sinon l'on fabrique trop de révolutionnaires faisant du sens de l'histoire un destin, et voulant tout changer dans le monde, sauf eux-mêmes.
En esthétique, ce fut la longue polémique, au cours de ma vie, (et notamment dans mes Soixante oeuvres qui annoncèrent le futur, Danser sa vie et surtout D'un réalisme sans rivage) contre le réalisme de la mimésis d'Aristote, dégradé en imitation d'un monde déjà tout fait, méconnaissant l'annonciation, par les arts, d'un avenir à naître et d'un monde toujours en naissance.
En théologie, la recherche angoissante et passionnée de Dieu qui n'est pas un être mais un acte, l'acte qui fait être, et auquel nous sommes chaque jour appelés à participer. S'il existait un Dieu qui ait fait le monde une fois pour toutes, si tout ordre et toute autorité étaient également son oeuvre éternelle, ce serait une impiété de prétendre changer cet ordre et ces autorités. "Obéissez à ceux à qui Dieu a donné le pouvoir ", c'est le principe de base de toute théologie de la domination, chez Saint-Paul comme chez le musulman Hanbal et leurs disciples d'aujourd'hui.
Dieu, comme le rappelle le Coran, ne cesse de créer le monde et de le recréer, et il confie à l'homme (tous les hommes) la charge d'être son Calife sur la terre pour poursuivre cette création.