18 août 2010

Manifeste pour une humanité libérée

Un Manifeste toujours d'actualité (1976)

L'humanité vit une crise profonde et globale; des peuples entiers en saignent et en meurent. Mais les sociétés riches, accaparées par leurs possessions, entravées par leurs appareils, enfermées dans leurs problèmes, se réfugient encore derrière la façade de leurs certitudes. Les sociétés industrielles « avancées » sont, en général, aveugles sur leur propre situation, dans une fuite en avant qui les rend incapables de remettre en cause les moteurs de leur type de développement et les finalités concrètes de leur existence. Elles ne s'aperçoivent pas qu'elles sont structurées pour développer des inégalités croissantes dans chaque pays et entre les pays. Dans leurs pratiques, ces sociétés sont sourdes aux cris qu'élèvent les hommes en détresse ou en révolte : peuples dominés, nations humiliées, jeunesse ignorée ou méprisée. Des responsables et des élites du tiers-monde veulent sortir leurs pays d'une situation d'infériorité et de misère. Ils proposent pour cela un nouvel ordre économique international qui récuse le droit des forts à exercer librement leur domination et qui requiert de tous des devoirs de solidarité. Mais à peine ébauché, ce nouvel ordre se trouve menacé par des divisions profondes ; une rupture entre les pays du Nord et les pays du Sud est même possible. Les conséquences en seraient incalculables pour les uns et pour les autres. Une telle coupure provoquerait des bouleversements, des désordres dans tous les pays et sans doute des conflits meurtriers dont les plus faibles seraient encore les victimes. Cependant, il serait tout aussi dangereux de répondre à l'exigence de la construction d'un nouvel ordre économique par des propositions hypocrites ou dilatoires. Les jeunes, les faibles, les démunis, les «sans voix » du monde ne peuvent plus accepter de vivre sans avenir et sans espoir. Aujourd'hui, l'appel de cette humanité pauvre et opprimée devient revendication, contestation, clameur, révolte, volonté révolutionnaire. Nous devons y répondre en adoptant collectivement une autre conduite et des pratiques différentes permettant le véritable développement de tout homme et de tous les peuples. Cela va exiger, à n'en pas douter, des transformations radicales et parfois douloureuses dans le comportement social des individus et des groupes. La résistance des structures et des mécanismes des sociétés industrielles sera grande et la réaction "des groupes sociaux privilégiés sera très forte.
C'est pourquoi, face à une telle situation, nous dénonçons : - un prétendu ordre social qui crée l'inégalité, l'injustice et le désordre humain ; - une amélioration de la qualité de la vie qui exclurait une répartition équitable des richesses du monde et serait un défi au droit à l'existence des peuples sous-développés ;
- un semblant de justice qui n'octroierait pas la dignité et la liberté à tout homme et à tout peuple ; - des idéologies et un nationalisme qui aboutiraient à constituer des rapports de forces contraires à la solidarité entre les peuples et entre les générations ; - un progrès technique et une croissance économique qui auraient pour conséquence d'accroître les inégalités de travail et de vie à l'intérieur des pays et entre pays ; - une société enfin qui manquerait du sens de la mesure, bloquée sur un type de rationalité, incapable de s'ouvrir à toutes les exigences de l'humain.
La construction d'un nouvel ordre économique international ne saurait s'identifier à une simple remise en ordre ou à un ajustement du modèle actuel de croissance. Une remise en cause profonde de ce type de société s'impose. Pour atteindre un nouvel objectif, nous proposons de constituer des forces et de soutenir activement les groupes capables de : - reconnaître les droits des nouveaux partenaires de l'économie mondiale, Etats ou groupes sociaux ; - être ouvert aux aspirations des autres peuples et des nouvelles générations; accepter que leur vision de l'avenir puisse se projeter d'une manière toute différente de la nôtre, même et surtout si cela dérange l'ordre des choses existant ; - admettre l'interdépendance des avenirs économiques en accordant une priorité aux besoins fondamentaux, individuels et collectifs, en tenant compte aussi des choix de développement et des choix de société des pays neufs et des jeunes du monde ; - faciliter partout la pratique et les objectifs de ceux qui veulent compter d'abord sur leurs propres forces, avec tout ce que cela entraîne en matière de choix de gestion et de responsabilité ; - contribuer à résoudre les grands problèmes globaux du monde : crise alimentaire, exode rural, racisme et recrudescence de la violence ;
- travailler à l'aménagement
de l'espace mondial et du temps de tous les hommes comme construction d'une grande oeuvre collective ; - considérer que les pays neufs et la jeunesse du monde sont les premiers partenaires avec lesquels doit s’établir une authentique coopération pour des solidarités entre régions du globe et entre générations.
Convaincus de la gravité de la partie qui se joue aujourd'hui pour le devenir du monde, estimant que la construction d'un nouvel ordre économique et social international est une oeuvre trop importante pour être laissée entre les mains des seules élites au pouvoir, percevant une résistance active et passive à la mise en cause du modèle de croissance qui a présidé aux choix des sociétés industrielles, souhaitant un véritable dialogue entre le Nord et le Sud et entre les générations, où les plus forts viendraient à douter de leurs certitudes pour faire place à l'imagination créatrice des faibles, nous en appelons à l'opinion publique et à tous les responsables quelles que soient leurs appartenances idéologiques, religieuses ou philosophiques, en leur demandant de prendre en compte dans leurs actions les sept points de la déclaration suivante :
1. Nous reconnaissons que l'humanité a besoin d'une nouvelle visée directrice, d'un nouveau vouloir commun pour remplacer la froide organisation rationnelle de nos sociétés par une qualité de tous les rapports humains et l'extension des solidarités à la terre entière.
2. Nous devons travailler à construire de nouvelles formes d'interdépendance et de solidarité, respectueuses de l'autonomie des groupes et des pays les plus faibles et capables de neutraliser les causes permanentes d'agressivité et de conflit.
3. Nous devons en particulier pour cela supprimer les causes d'infériorité et d'humiliation qui sont dues aux divers effets de domination, consciente ou non, que les groupes ou pays les plus forts exercent sur les démunis et les faibles.
4. Nous nous engageons à soutenir les efforts qui sont faits pour redécouvrir, comprendre et revaloriser l'héritage des savoirs pratiques, des outils et des structures de vie dont les formes actuelles nous écrasent, mais dont la mémoire retrouvée pourrait faire des moyens de libération parmi d'autres.
5. Nous nous efforçons de faciliter la pleine utilisation de l'expérience vécue et des capacités de création des travailleurs, des consommateurs et d'une façon générale des citoyens pour qu'ainsi se constitue le contre-pouvoir concret, nécessaire à la mise en cause du modèle actuel de société.
6. Nous luttons pour que s'organise la résistance active à l'aliénation et à la dépersonnalisation et pour que s'affirme comme pouvoir réel une volonté politique de contrôle sur les pouvoirs économiques et techniques.
7. Nous nous engageons à devenir les artisans exigeants de la construction d'un nouvel ordre économique et social international, en étant les promoteurs d'une véritable coopération entre les peuples et les générations, et les messagers d'une volonté de concertation qui ne se démente jamais.
La revendication de justice des pays de la faim, du sous-emploi et de la servitude ne peut plus être dissociée de l'attente même des sociétés industrielles pour un avenir mieux maîtrisé, plus juste pour tous, plus respectueux des hommes et des peuples. Le nouvel ordre mondial ne peut résulter que d'une nouvelle volonté politique commune. Ne pas démissionner devant une pareille tâche implique certes un grand effort collectif, mais cet effort est tout simplement le prix du futur. 

Les personnes suivantes avaient signé le Manifeste, à la fin septembre de 1976 : Paul ABELA, Jacques CHONCHOL, José ABREU-VALE ,  Vincent COSMAO , Jean-Marie ALBERTINI , Etienne CREMIEU-ALCAN , Charles ANTOINE , Guy CRESPIN , Gabriel ARNAUD Jacques DERCLAYE, Andrée AUDIBERT , Eugène DESCAMPS , Guy BELLONCLE , Gérard ESPERET Jean-Michel BELORGEY , Jacques ETEVENON , Mgr BERNARD , Francisco W. FERREIRA Olivier BERTRAND , Giulio FOSSI , Alain BIROU , Roger GARAUDY, Alain BLANCY , Johan GALTUNG Gilbert BLARDONE , Annick et Paul GENTNER , Geneviève BONNENFANT , Marcel GONIN , Paul BOREL Paul-Marc HENRY , Paul BOSSE-PLATIERE , André JEANSON , Maurice BUTTIN , Antoine KHER Bernard CARRERE , J. KING GORDON , Daniel CARRIERE , Jean LANNES , Georges CELESTIN Raymond LEBESCOND , Michel CEPEDE, A. LECLERC du SABLON , André CHOMEL, Yvon LE MOAL Pierre LIENARD , Hugues PUEL , Raymond LIGNON , Jules RAZAFIMBAHINY, Albin LUCHINI Jean ROUS , Bernard MATMY , Ignacy SACHS , Bernard MERLE , Hernàn SANTA CRUZ Bernard MILLET , Gustave STAHL , Pierre MOREAU , Bernard TARDY , Marc NERFIN , Joseph TEMPLIER Marc PENOUIL , Pierre TOULAT , Marc PERRIN de BRICHAM-BAUT, André TUNC Geneviève PRADY , Pierre VIAU, Patrick VINSON