A R G U M E N T
S N°24
KARL KORSCH
MARXISME ET PHILOSOPHIE (texte de 1956)
TRADUIT PAR CLAUDE ORSONI
PRÉSENTÉ PAR KOSTAS AXELOS
LES ÉDITIONS DE MINUIT 1964
THÈSES
SUR HEGEL ET LA RÉVOLUTION (pages 183-184)
Traduction empruntée à La Critique sociale (mars 1932) et reproduite dans la revue Arguments (n° 16, 1959).
Traduction empruntée à La Critique sociale (mars 1932) et reproduite dans la revue Arguments (n° 16, 1959).
I.
— On ne peut comprendre la philosophie hégélienne et sa méthode dialectique que
dans sa connexion avec la révolution.
1°
Elle est issue historiquement du mouvement révolutionnaire de son époque.
2°
Elle a rempli la tâche de traduire dans la pensée le mouvement révolutionnaire
de son temps.
3°
La pensée dialectique est révolutionnaire aussi quant à la forme :
a) Détachement des données immédiates, rupture radicale avec
ce qui existe, culbute, nouveau commencement;
b) Principe de l'opposition et de la négation ;
c) Principe du changement et du développement incessants —
du bond qualitatif.
4°
Concurremment avec le développement ultérieur de la société bourgeoise, la
tâche révolutionnaire disparaît inévitablement dans la philosophie et la
science bourgeoises.
II.
— On ne peut critiquer la philosophie hégélienne et sa méthode dialectique sans
la concevoir en connexion avec le caractère historique concret du mouvement
révolutionnaire de son époque.
1°
Elle est une philosophie, non point de la révolution en général, mais de la
révolution bourgeoise des xvIIe et XVIIIe siècles.
2°
Même comme philosophie de la révolution bourgeoise, elle n'exprime pas tout le
processus de cette révolution, mais seulement sa dernière conclusion. En ce sens,
elle est une philosophie, non de la révolution, mais de la restauration.
3°
Cette double détermination historique apparaît sous forme d'une double
limitation du caractère révolutionnaire de la dialectique hégélienne :
a) En dépit de la dissolution dialectique de tous les éléments
figés, la dialectique hégélienne aboutit à une nouvelle congélation ;
congélation de la méthode dialectique elle-même et, avec elle, de tout le
contenu dogmatique du système philosophique édifié sur elle par Hegel.
b) La pointe révolutionnaire contenue dans le premier élan
de la méthode dialectique, Hegel, dans la synthèse, la ramène artificiellement
au « cercle », au rétablissement du concept de la réalité immédiate et à la
réconciliation avec cette réalité, à la glorification de ce qui existe.
III.
— Marx-Engels d'abord, et Lénine après eux, ont « sauvé » la dialectique
consciente en la transférant de la philosophie idéaliste allemande dans la
conception matérialiste de la nature et de l'histoire, de la théorie révolutionnaire
bourgeoise dans la théorie révolutionnaire prolétarienne. Ce « sauvetage par
transfert » ( « Hiniiberrettung ». —
Guillemets dans l'original.) n'a
— historiquement et théoriquement — que le caractère d'une transition. Ce qu'il
a créé est une théorie de la révolution prolétarienne non point telle qu'elle s'est
développée sur sa propre base, mais au contraire telle qu'elle venait de sortir
de la révolution bourgeoise, donc une théorie empreinte à tous points de vue,
quant à son contenu et à sa méthode, des marques du jacobinisme, de la théorie
révolutionnaire bourgeoise.
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