1964 |
DIX THÈSES SUR LE MARXISME AUJOURD'HUI (pages 185
à 187de "Marxisme et philosophie) (texte de 1959).
(1) Traduites de l'allemand par Maximilien Rubel et Louis
Evrard et publiées pour la première fois dans Arguments (n° 16, 1959).
1°
Il est désormais dépourvu de sens de se demander dans quelle mesure
l'enseignement de Marx et d'Engels est, à notre époque, théoriquement recevable
et pratiquement applicable.
2°
Toutes les tentatives pour rétablir la doctrine marxiste comme un tout et dans
sa fonction originelle de théorie de la révolution sociale de la classe
ouvrière sont aujourd'hui des utopies réactionnaires.
3°
Toutefois, pour le bien comme pour le mal, des éléments fondamentaux de
l'enseignement marxien conservent leur efficacité après avoir changé de
fonction et de théâtre. De plus, la praxis de l'ancien mouvement ouvrier
marxiste a donné de puissantes impulsions aux divergences
pratiques
qui opposent aujourd'hui les peuples et les classes.
4°
Le premier pas à faire, pour remettre debout une théorie et une pratique
révolutionnaires, consiste à rompre avec ce marxisme qui prétend monopoliser
l'initiative révolutionnaire et la direction théorique et pratique.
5°
Marx n'est aujourd'hui qu'un parmi les nombreux précurseurs fondateurs et
continuateurs du mouvement socialiste de la classe ouvrière. Non moins
importants sont les socialistes dits utopiques, du temps de Thomas Moore au
nôtre. Non moins importants sont de grands rivaux
de Marx, tels que Blanqui, et des ennemis irréductibles, tels que Proudhon et
Bakounine. Non moins importants, en dernier résultat, les développements plus récents
tels que le révisionnisme allemand, le syndicalisme français et le bolchévisme
russe.
6°
Particulièrement critiques sont, dans le marxisme, les points suivants :
a) Le fait d'avoir été pratiquement subordonné aux conditions
économiques et politiques peu développées, en Allemagne et dans tous les autres
pays de l'Europe centrale et orientale où il allait acquérir une importance politique
;
b) Son attachement inconditionnel aux formes politiques de
la révolution bourgeoise ;
c) L'acceptation inconditionnelle de prendre l'état économique
avancé de l'Angleterre comme modèle pour le futur développement de tous les
pays et comme condition objective préalable de la transition au socialisme.
A
quoi s'ajoutent :
d) Les conséquences de ses tentatives répétées, désespérées et
contradictoires, pour briser ces conditions.
7°
De ces conditions en effet ont résulté :
a) La surestimation de l'Etat comme instrument
décisif de la révolution sociale ;
b) L'identification mystique du développement de l'économie
capitaliste avec la révolution sociale de la classe ouvrière ;
c) Le développement ultérieur ambigu de cette première forme
de la théorie marxienne de la révolution par la greffe artificielle d'une
théorie de la révolution communiste en deux phases ; cette théorie, dirigée d'une
part contre Blanqui, d'autre part contre Bakounine, escamote du mouvement
présent l'émancipation réelle de la classe ouvrière, et la repousse dans un
avenir indéterminé.
8°
Ici se trouve le point d'insertion du développement léniniste ou bolcheviste ;
et c'est sous cette nouvelle forme que le marxisme a été transféré en Russie et
en Asie. Simultanément s'est opéré le développement du socialisme marxiste,
qui, de théorie révolutionnaire, est devenu pure idéologie. Cette idéologie
pouvait être et a été subordonnée à toute une série d'objectifs divers.
9°
C'est sous ce point de vue qu'il convient de juger avec
un esprit critique les deux révolutions russes de 1917 et de 1928, et c'est
sous ce point de vue qu'il faut déterminer les fonctions remplies aujourd'hui
par le marxisme, en Asie et à l'échelle mondiale.
10°
Le pouvoir de disposer de la production de leur propre vie ne résultera pas du
fait pour les ouvriers d'occuper les positions abandonnées, sur les marchés
internationaux et sur le marché mondial, par la concurrence auto-négatrice et
soi-disant libre des propriétaires monopolistes des
moyens de production. Ce pouvoir ne pourra résulter que de l'intervention
concertée {planmâssig) de toutes les classes, aujourd'hui exclues, dans
une production qui,
aujourd'hui déjà, tend sous tous les rapports vers la régulation monopoliste et
planifiée.