Parmi les documents du PCF remis aux
Archives départementales de la Seine-Saint-Denis, figurent
onze dossiers de la commission centrale de contrôle politique (CCCP),
l'instance chargée d'examiner les
demandes de sanctions internes. Ils ont été déclassifiés après que, en 1998,
les sanctions contre les "coupables" ont été
déclarées "nulles et non avenues" .
La plupart
de ces "affaires" portent sur les relations du PCF avec ses
intellectuels en conflit avec la ligne. La plus fameuse reste l'exclusion, le 9 juin 1970, de Roger Garaudy,
longtemps membre du bureau politique, directeur du Centre d'études et de recherches marxistes
(CERM) et considéré un temps comme le penseur quasi officiel du communisme
français. Le silence réprobateur qui accueille son ultime intervention filmée
, au XIXe congrès, en février 1970, à l'issue duquel il est
définitivement rejeté par sa cellule, est resté dans les mémoires.
A l'époque, le départ de Garaudy est apparu
comme le symbole de la désaffection de quelques intellectuels mécontents de
l'attitude du parti en mai 1968, tels les historiens Madeleine Rebérioux et
Jean-Pierre Vernant. L'écrasement du "printemps de Prague" est
également un élément important du contexte. Le "cas Garaudy"
va être pris en charge au plus haut niveau par Gaston Plissonnier
(1913-1995), numéro deux du parti et proche des Soviétiques. Mais Roland Leroy,
qui, à l'époque, s'occupe de la fameuse section "intellectuels et culture" (SIC) dont les fonds déposés à
Bobigny ne remontent qu'à 1960 , mettra, lui aussi, la main à la pâte. Les
documents montrent comment, même en période de dégel, les instances dirigeantes
fabriquent un "hérétique" en recherchant le moindre symptôme
de révisionnisme.
Dans les
cinq cartons qui ont été ouverts au Monde et à la sociologue politique
Frédérique Matonti, auteure d'Intellectuels communistes (La Découverte), c'est
un véritable dossier d'instruction à charge que l'on trouve : faits et gestes
du militant incriminé y sont méticuleusement pesés à partir de ses manuscrits, de correspondances privées qui,
on ne sait comment, sont arrivées entre les mains de la CCCP , d'interventions
extérieures du "camarade" , d'échos de discussions dans les cellules, etc.
On accuse
Roger Garaudy de se produire dans des associations culturelles "bourgeoises"
, de tisser des réseaux avec les "moutons noirs"
du mouvement communiste international, comme les Italiens ou les
Yougoslaves. Dans ce parti, obsédé par la peur du "fractionnisme"
, un entretien donné en 1967 à la revue Communist par cet intellectuel de plus
en plus critique et à qui l'on reproche de voyager un peu trop arrive traduit sur la table de la CCCP.
Un
secrétaire fédéral transmet même au parti, dont les relations avec la
franc-maçonnerie sont des plus problématiques, le texte d'une conférence sur "marxisme
et christianisme" prononcé par M. Garaudy devant une loge du Grand
Orient ! On engrange soigneusement aussi les lettres de soutien à M. Garaudy,
comme celle de l'historien Yves Benot (1920-2005).
C'est un
autre membre du comité central qui rapporte, article du Monde à l'appui, une
rencontre du "prévenu" avec Edgar Faure. Figurent aussi, parmi
les "pièces à conviction" , des documents du début des années
1960 où l'on reproche à M. Garaudy sa défense de l'historien Maurice
Bouvier-Ajam, successivement théoricien des corporations de Vichy puis auteur
d'un livre (en 1963) sur les classes sociales en France, préfacé par Maurice Thorez.
La suspicion
à l'encontre de Roger Garaudy, à propos duquel Maurice Thorez aurait, peu avant
sa mort, en 1964, exprimé quelques doutes, remonte, comme le confirment les
documents, au début des années 1960, et bien avant 1968. Ainsi, si le parti
s'intéresse à l'"antihumanisme théorique" de Louis Althusser
et tente d'élargir ses relations aux intellectuels, c'est en partie pour
faire pièce à l'"humanisme" prôné par un
Roger Garaudy de plus en plus proche des croyants. Bref, conclut Roland Leroy
dans une note au bureau politique, dès le début de 1970 "son exclusion
est inscrite dans les faits (...), la question est quand ?" .
Nicolas Weill