Syrie : les dés sont jetés
Article source: http://plumenclume.org/blog/ 36-syrie-les-des-sont-jetes- par-israel-adam-shamir
Lire aussi: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2011/12/le-role-de-la-russie-par-r-garaudy.html
Par Israël Adam Shamir, 3
septembre 2015
Nonobstant hésitations et
dénégations, la Russie s’embarque bel et bien dans une ambitieuse
expansion de sa présence syrienne, qui peut bouleverser les règles
du jeu dans le pays en lambeaux. La base navale russe de Tartous,
petite, obsolète, servant aux réparations, va être agrandie,
tandis que Jablleh, près de Latakia (jadis Laodicée) va devenir la
base aérienne russe et une base navale à plein régime en
Méditerranée orientale, au-delà des minces détroits du Bosphore.
Les multitudes djihadistes qui assiègent Damas vont pouvoir être
contraintes à l’obéissance et à la soumission, et le gouvernement
du président Assad connaîtra la délivrance, hors de danger. La
guerre contre Daesch (ISIS) fournira la couverture pour cette
opération. Voici le premier rapport sur ces événements décisifs,
sur la base de sources confidentielles russes à Moscou, des
sources habituellement fiables.
Le journaliste
d’investigation, dissident et bien informé Thierry Meyssan[1] a signalé l’arrivée de
nombreux conseillers russes. Les Russes ont commencé à partager
leurs images par satellite en temps réel avec leurs alliés
syriens, ajoutait-il. Un site d’information israélien a ajouté :
« la Russie a commencé son intervention militaire en Syrie », et a
prédit que « dans les semaines qui viennent des milliers
militaires russes se préparent à atterrir en Syrie »[2]. Les Russes ont promptement
démenti.
Le président Bachar Al
Assad y a fait allusion[3] il y a quelques jours en
exprimant sa pleine confiance dans le soutien russe à Damas. Six
premiers jets de combat MIG-31 ont atterri à Damas il y a deux
semaines, selon le journal officiel RG[4], et Michael Weiss dans le Daily Beast d’extrême-droite [5]a offert une description
saisissante de la pénétration russe en Syrie. Le journal Al-Quds
al-Arabi mentionne Jableh comme le lieu de la deuxième base.
Nous pouvons maintenant
confirmer que, pour autant que nous puissions le savoir, malgré
les dénégations (souvenons-nous de la Crimée), la Russie a fait
son choix et pris la décision très importante d’entrer en guerre
en Syrie. Cette décision peut encore sauver la Syrie de
l’effondrement total et par ricochet éviter à l’Europe d’être
noyée sous les vagues de réfugiés. L’armée de l’air russe va
combattre Daesch ouvertement, mais va probablement aussi bombarder
(comme David Weiss en fait le pari) les alliés des USA de
l’opposition al-Nosra (autrefois appelée al-Quaeda) et d’autres
extrémistes islamiques pour la simple et bonne raison qu’il n’y a
pas moyen de les distinguer de Daesch.
Le ministre russe des
Affaires étrangères Serguéï Lavrov a proposé d’organiser une
nouvelle coalition contre Daesch incluant l’armée d’Assad, les
Saoudiens et certaines forces d’opposition. L’émissaire US en
Russie ont dit qu’il n’y avait aucune chance que les Saoudiens ou
d’autres Etats du Golfe acceptent d’unir leurs forces avec Assad.
La Russie continue à projeter de bâtir cette coalition, mais, vu
le rejet américain, apparemment le président Poutine a décidé de
passer à l’action.
La Russie est très ennuyée
par les victoires de Daesch, parce que cette force combat et
chasse les chrétiens de Syrie, alors que la Russie se considère
comme le protecteur traditionnel de ceux-ci. La Russie redoute
aussi que Daesch mette en place des opérations dans les régions
musulmanes de Russie, dans le Caucase et sur la Volga. Et la
coalition anti-Daesch dirigée par les US n’a pas fait le travail.
US et Turquie combattent
ostensiblement Daesch, mais obéissent à leurs propres intérêts,
bien différents de ceux des Syriens, des Européens et des Russes.
La Turquie combat les Kurdes qui sont des opposants résolus à
Daesch. Les US utilisent la guerre contre Daesch comme écran de
fumée pour combattre le gouvernement légitime de Bachar al Assad,
qui a été récemment ré-élu par une large majorité de Syriens.
Daesch ne souffre pas beaucoup des raids US, face à l’armée
syrienne. Et surtout, les US ont envoyé des centaines de
terroristes entraînés en Syrie après leur avoir fourni une mise à
niveau militaire en Jordanie et ailleurs. Récemment, David
Petraeus a appele à armer al Nostra afin qu’ils combattent Daesch.
Cette idée simplette a bien fait rire [6] mais n’est nullement hors
jeu.
Les US et ses alliés ont
ravagé la Syrie. Les US sont loin et peuvent se délecter du
spectacle. L’Europe est perdante, déjà éliminée du fait de
l’inondation de réfugiés. La Turquie est perdante, directement,
puisqu’elle y gagne les réfugiés, mais aussi le terrorisme et le
déclin rapide de la popularité pour le président Erdogan, la chute
du niveau de vie, et tout cela à cause de ses choix politiques
erronés en Syrie.
La Russie vient donc de se
charger de la tâche difficile de sauver la situation. Si Erdogan,
Obama, Kerry et les Saoudiens avaient pensé que Poutine lâcherait
Assad, maintenant ils connaissent un dur réveil. La position russe
est assez nuancée. La Russie n’ira pas se battre pour Assad, comme
elle ne s’est pas battue pour le président ukrainien Yanoukovitch.
La Russie pense que c’est aux Syriens de décider qui doit être
leur président. Assad ou quelqu’un d’autre, c’est une affaire
interne. D’un autre côté, Obama et ses alliés se battent
effectivement contre Assad. Il avait « perdu sa légitimité »,
disent-ils. Ils ont un problème avec Assad, ils l’admettent. La
Russie n’a pas de problème avec Assad. Dans la mesure où il est
populaire chez lui, qu’il gouverne donc, disent les Russes. Si
certains membres de l’opposition veulent le rejoindre, tant mieux.
La Russie n’essaie pas de
combattre l’opposition armée en soi, tant que cette opposition est
prête à entrer en négociation de paix et ne demande pas
l’impossible (la tête d’Assad). Dans la vie réelle, personne ne
peut distinguer entre groupes légitimes et illégitimes, et Daesch.
Tous vont sans doute souffrir quand les Russes vont commencer à
faire leur travail sérieusement. Ils devraient négocier avec le
gouvernement et parvenir à un accord. L’alternative (la
destruction de la Syrie, des millions de réfugiés, le déracinement
du christianisme au Proche Orient, les attaques djihadistes sur la
Russie) est trop horrible à regarder en face.
La guerre en Syrie est
dangereuse pour la Russie : c’est pourquoi Poutine a freiné avant
de s’engager, depuis 2011. L’adversaire est bien armé, et a
quelque soutien sur le terain, sans compter la richesse des Etats
du Golfe et des combattants fanatiques qui ont bien envie de
déclencher une vague d’attaques terroristes en Russie. La position
US est ambigüe : Obama et son équipe ne réagissent pas, sur
l’engagement croissant de la Russie. Thierry Meyssan pense
qu’Obama et Poutine sont parvenus à un accord sur la nécessité
d’en finir avec Daesch. A son avis, certains officiers et généraux
américains (Petraeus, Allen) aimeraient saper cette entente, ainsi
que les républicains et les néoconservateurs.
Certains officiers russes
s’inquiètent. Peut-être qu’Obama reste muet afin de laisser
Poutine s’embarquer dans la guerre de Syrie. Souvenons-nous que
les US avaient incité Saddam Hussein à envahir le Koweit. Les
avions russes et américains au-dessus de la Syrie pourraient avoir
à s’affronter. D’autres disent : la Russie n’aurait-elle pas dû
s’engager en Ukraine, plutôt qu’en Syrie ? Mais la décision que
Poutine semble bien avoir prise fait sens.
Une guerre loin de chez soi
comporte des défis logistiques, comme les US en ont fait
l’expérience au Viet Nam et en Afghanistan, mais il y a beaucoup
moins de danger que la guerre déborde en Russie proprement dite.
Sur un théâtre de guerre distant, l’armée de terre, la flotte et
l’armée de l’air russes pourront montrer leur détermination.
S’ils gagnent, la Syrie
retrouvera la paix, les réfugiés rentreront chez eux, et la Russie
restera implantée à jamais en Méditerranée orientale. La victoire
russe calmera les va-t-en-guerre de Washington, de Kiev, de
Bruxelles. Cependant, s’ils perdent l’Otan pensera que la Russie
est mûre pour la moisson et tentera de porter la guerre dans son
flanc.
Nous pouvons comparer la
situation avec les campagnes militaires des années 1930. Les
Russes, sous les ordres du brillant maréchal Joukov, avait écrasé
les Japonais à Khalkyn Gol en 1939, et les Japonais ont signé un
pacte de neutralité avec les Russes, puis se sont abstenus
d’attaquer la Russie pendant la guerre entre Allemands et
Soviétiques. Mais l’Armée rouge s’est mal débrouillée face au
maréchal Mannerheim en Finlande en 1940, et cela a encouragé
Hitler entrer en guerre.
Cette fois-ci, la Russie va
agir dans le cadre de la loi internationale, à la différence de
Saddam Hussein dans son aventure koweitienne, Turquie et US
bombardent et mitraillent la Syrie à volonté, sans le moindre
égard pour le gouvernement légitime. Il y a un traité d’assistance
mutuelle entre la Russie et la Syrie. Le gouvernement syrien a
offert aux Russes ses ports, aéroports et commodités pour la
défense.
Les églises chrétiennes du
Proche Orient applaudissent la Russie et demandent son assistance
face au carnage djihadiste. L’ancienne église orthodoxe d’Antioche
et celle de Jérusalem sont de tout cœur avec la Russie.
L’archevêque Théodose Atallah Hanna, patriarche palestinien du
plus haut rang et politiquement actif, a formulé son espoir que
les Russes apportent la paix en Syrie et que les réfugiés puissent
rentrer chez eux.
Pour les Européens, c’est
l’occasion d’en finir avec leur soutien aveugle à la politique US,
et de ramener des millions de réfugiés chez eux, loin des gares et
campements européens.
Si cela marche,
l’initiative de Poutine en Syrie sera l’une de ses plus grandes
réussites. Il ne dévoile rien de son jeu, et ce rapport est le
premier qui provienne de son entourage.
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Israel Shamir est à Moscou,
et peut être joint sur adam@israelshamir.net
Traduction : Maria Poumier.
Publication originale : Unz Review
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