Pour un dialogue des cultures, antidote aux fractures
Que les pays du sud continuent à plonger dans le
chaos risquerait de renforcer la ligne de fracture sud nord, à la fois
par le rejet à travers les nationalismes, et par des décisions de
protection. Et ne ferait que renfermer l'Europe dans ses tranchées.
Vis-à-vis de sa population issue de l’immigration, cela ne saurait que
nourrir le cercle vicieux de la précarité et de l’exclusion.
Une partie de la jeunesse issue de l’immigration
est tiraillée entre, d'un côté, des racines méconnues ou mal connues et,
de l'autre, un pays qui leur renvoie une image dévalorisante. Le choix
se fait alors souvent entre un reniement des origines ou une
radicalisation et rejet de ceux qui les rejettent.
Mais il y a aussi une fraction non négligeable
souvent oubliée dans les statistiques et au sein de l'imaginaire
occidental : ceux qui sont hautement qualifiés, des cerveaux en fuite.
Certains d'eux sont moins visibles car ils coupent leurs liens pour
devenir les bons élèves de l’assimilation.
Ils forment un apport humain qui s’ajoute aux
richesses matérielles et économiques qu’apportent les pays du sud. Un
apport global souvent ignoré par l’opinion publique, alors qu’il saurait
modérer le racisme ambiant.
Mais
l’ignorance concerne un autre apport tout autant essentiel. Celui de la
civilisation arabo-islamique à la renaissance de l'Europe. Sa culture
florissante avait affecté tous les domaines et a fait émerger des thèmes
essentiels tel que l’amour courtois et la poésie qui l’accompagnait,
l’éthique politique et l’organisation étatique, les arts, ainsi que le
raffinement dans les champs culinaire, vestimentaire, ludique, sans
parler des apports scientifique et philosophique.C’est par l’accès à cette culture valorisant la beauté et le féminin dans leur dimension sacrée que nous saurions apporter des antidotes aux crispations identitaires. D’une part, cela réorienterait des jeunes issus de l’immigration vers la « bonne adresse », leur permettant de construire une confiance en eux, de s’affirmer et de s’émanciper.
Cette réorientation est nécessaire pas seulement pour les défavorisés parmi eux, mais aussi pour l’élite formée dans un moule occidental et qui devient porte parole d’une islamophobie virulente. D’autre part, cela permettrait de sortir les xénophobes de leur mythe d’une identité européenne pure qui n’aurait jamais interagi avec l’Islam, présenté comme ennemi déclaré depuis toujours.
Il est urgent de réviser l'histoire afin de prendre conscience que les échanges au sein de la méditerranée avaient dépassé les conflits dans le passé, mais furent aussi économiques et culturels. Cela nous aiderait à nous en inspirer, afin que les pays du sud ne soient plus perçus comme des sources de gain économique et des marchés de marchandises et d’armes à conquérir, mais bien des partenaires égaux d’un dialogue culturel et une source d’enrichissement, comme ils le furent auparavant.
Ines Safi
Née en Tunisie, Inès Safi est diplômée de l’Ecole Polytechnique de Palaiseau et chercheuse CNRS en théorie de la matière condensée, au Laboratoire de physique des solides à Orsay, où elle étudie des système de taille nanométrique.