Contribution
bouddhiste au concept de libération
Vén. Dr.
Wilegola Ariyadeva1
La genèse et
l'histoire du bouddhisme sont nécessaires pour éclairer la contribution
que ce dernier
peut apporter à une théorie de la libération. Le Bouddha se réfère
aux sociétés
pré-classistes pour critiquer la société de castes imposée par le
brahmanisme. Pour
lui, les injustices sociales sont le résultat d'une série de causes
dépendantes : la
pauvreté provient de causes économiques et engendre le vol et la
violence. La base
de tous les désordres est le désir de la possession. Il y atoujours
une influence
mutuelle entre la conscience et les désordres sociaux. Quant à
l'origine de
l'État, elle se trouve dans un contrat social entre le peuple et son
dirigeant, le roi
devant être le serviteur de la communauté. Celui-ci peut être démis
s'il ne respecte
pas le contrat. C'esUadhamma (loi universelle) qui doit être à la
base de l'ordre
social et elle s'exprime dans les 5 principes (pancasild). Sans son
respect le
bonheur ne peut être atteint. La non-violence n'est pas radicale dans le
bouddhisme, même
si ce dernier la privilégie comme méthode d'action. Le
renversement d'un
régime autocrate par le peuple peut entraîner une violence,
envisagée comme
un moindre mal. Enfin, la conception bouddhiste de l'économie
envisage cette
dernière comme destinée à satisfaire les besoins humains, sans
laisser le désir
de possession et l'appât du gain dominer sa logique.
Pour
comprendre l'apport du bouddhisme à une théorie et à une
pratique
de libération, il faut replacer sa genèse dans l'histoire. Le
Bouddha
est né dans une société clanique, dominée par le brahmanisme
et qui
avait été hiérarchisée en castes, au départ divers clans. Son
origine
était le clan Sakya, qui à l'origine était une société sans classes.
Dans le
système des castes, ce clan avait été intégré dans la caste des
kastryas,
exerçant, entre autres, les fonctions politiques. Le Boudhha se
référa
souvent dans son enseignement aux sociétés claniques,
notamment
à leur caractère non-hiérarchique et démocratique. Ce fut
le cas
lors de la constitution de la s a n g h a (communauté monastique).
Debiprasad
Chattopadhyaya affirme que le bouddhisme fut à ce point
influencé
par les sociétés pré-classistes, qu'au moins dans sa phase
initiale,
il fut à la fois dans son organisation et dans son idéologie,
1. De nationalité sri-lankaise, Dr. en philosophie
et professeur de pali et d'études
bouddhistes à l'Université de Ruhuna (Sri Lanka).
remarquablement
éloigné des caractéristiques d'une société de classes
[Debiprasad
Chattopadhyaya, 1985, 15].
Les
concepts fondamentaux du brahmanisme relatifs à
l'organisation
de la société furent radicalement transformés par le
Bouddha.
Selon W.S. Karunaratne, le Bouddha condamna l'ordre
social
et politique brahmanique, comme injuste, inéquitable et
corrompu.
Dans l'ordre social indien, les brahmanes avaient attribué
au
Dieu créateur Brahma, l'origine des distinctions entre les diverses
classes
et castes de la société. ..Ils se proclamaient supérieurs en savoir
dans
toutes les questions intellectuelles et religieuses... Le Bouddha
s'inscrivit
en faux contre ce type de société qui se condamnait elle-même
au
déclin et à la dégradation. Son renoncement à fonder une
famille
et l'adoption d'un rôle de réformateur, symbolisent de manière
éloquente
sa révolte contre l'irrationalité et la cruauté de la vie
sociale
[W.S. Karunaratne, 1993, 49]. Plusieurs sutras ou
suttas
(passage
des écritures, que nous citerons selon les canons établis dans
les
textes en langue pali), indiquent le rejet par le Bouddha de l'ordre
social
existant et son désir d'annoncer par sa prédication, la naissance
et
l'essor d'une nouvelle société.
I.
L'analyse bouddhiste des injustices sociales
La
philosophie sociale du bouddhisme est basée sur le concept du
paticcasamuppada
(l'origine dépendante) ou causalité. Les structures
sociales
et politiques de la société conditionnent les comportements
sociaux
des gens. Le Bouddha explique comment les désordres sociaux
naissent
dans les sociétés humaines. La pauvreté s'est accrue, suite au
manque
de production de biens économiques parmi les pauvres.
L'augmentation
de la pauvreté provoqua l'accroissement des vols et
des
pillages. Ces derniers débouchèrent sur la multiplication des
armes,
qui à leur tour firent couler le sang et furent à l'origine des
tueries
et des massacres. C'est ainsi que le Bouddha indique la longue
chaîne
de causalités qui est à l'origine de la misère et des conflits dans
la
vie sociale [D.III.58 ffj. Dans bien des sutras, le
Bouddha explique
aussi
comment les structures politico-économiques (samvidhanam)
doivent
être organisées pour satisfaire aux besoins de la société.
Le
Bouddha souligne l'interdépendance entre l'esprit et la matière.
Il
affirme que les structures politiques et sociales exercent des effets sur
la
conscience individuelle et sociale et que cette dernière influence à
Contribution
bouddhiste au concept de libération 217
son
tour les crises sociales. Dans la sutta Mahamdana, le Bouddha
explique
au vénérable (moine) Ananda, l'origine des désordres et des
injustices
sociales, selon la théorie de l'origine dépendante. Ainsi,
Ananda,
le désir prend naissance dans la sensation et la poursuite de
l'objet
provient du désir. Elle même débouche sur l'appât du gain et
ce
dernier provoque la décision d'agir, qui à son tour engendre le
désir
et la passion. Désir et passion sont à l'origine de l'obstination et
celle-ci
conduit à la volonté de possession, qui est la source de
l'avarice
et de nombreux autres maux, tels que coups et blessures,
conflits,
oppositions et vengeances, querelles, disputes et mensonges
[D.III.58
ff).
Le
Bouddha expliqua ensuite que les bâtons, les armes, les
querelles,
les oppositions, les disputes, les altercations, les rumeurs, les
mensonges
et d'autres maux ont pour seule origine, seule genèse, seule
base et
seul support, la défense de la propriété. Dans cette s u t t a , le
Bouddha
explique clairement les méfaits de l'instinct d'acquérir. Selon
cette
pensée, lepaticcasamupadda (le désir de possession, de propriété)
est à
la base, non seulement de la souffrance spirituelle, mais aussi des
déséquilibres
sociaux. Le bouddhisme enseigne aussi que les conditions
spirituelles
et sociales s'influencent mutuellement.
II. La
théorie bouddhiste de l'origine de l'État
Le
concept bouddhiste de l'État repose sur la théorie du contrat
social.
La sutta Agganna explique la genèse et la croissance de l'État.
L'évolution
de la société provient du fait que le rapport entre l'État, son
chef
responsable et le peuple sont de nature contractuelle. Bany Prasad
rappelle
que dans le bouddhisme, il n'y a rien de divin dans la
constitution
de l'État et que ce sont la raison et les convenances qui
déterminent
la fonction de l'État [B. Prasad, 1927, 141].
Selon
le brahmanisme, l'origine et la structure de la société sont
d'origine
divine et le roi n'avait de pouvoir que dans la mesure où il
se
soumettait au dharma, c 'est à dire la loi (celle des castes), qui était
elle-même
une émanation de Brahma. D'où la théorie du pouvoir divin
des
rois [O.H. Vijesekara, 1960, 3]. Dans ce
domaine, le bouddhisme
non
seulement prenait ses distances vis à vis de la théorie de l'origine
divine
du pouvoir, mais il rejetait aussi le fatalisme
(pubbekatahetuvada)
impliqué dans l'idée que le pouvoir et l'État sont
le
fruit du hasard, sans aucun lien avec des causes préalables
{ahetuappaccavadd).
Dans la
sutta Agganna , le Bouddha explique l'origine de l'État par
le rôle
de l'économie. Ainsi le moine K. Ariyaseka Thero, décline les
deux
facteurs qui ont donné naissance à la parenté : d'une part, la
pensée
humaine ou ce que nous appellerions aujourd'hui la psychologie
et de
l'autre, les moyens de subsistance ou l'économie. Il indique
ensuite
quelles furent les étapes de l'évolution de la société humaine et
comment
les êtres humains sont passés du stage de collecte des
aliments
à celui de leur production par l'agriculture. Ils s'organisèrent
alors
en familles et délimitèrent leurs champs de culture respectifs, ces
derniers
ayant été auparavant des propriétés collectives. C'est ainsi que
naquirent
la propriété privée et la famille, donnant naissance à une
tendance
à accumuler individuellement (sammidhikaraka) des produits
agricoles.
Un pas de plus fut franchit, lorsque qu'une personne, en plus
de sa
part individuelle, s'empara de celle d'une autre. À partir de ce
moment,
le vol, les accusations, les mensonges, le recours à la force,
devinrent
monnaie courante dans les relations sociales [K. Ariyaseka
Thero,
1987, 102].
Cette
explication de l'origine de l'État, montre que la théorie du
contrat
social s'appuie sur l'éthique ou sur la vertu et le consentement
moral
des membres de la société. Selon le bouddhisme, la société
primitive
était gouvernée par l'éthique et la vertu. Chaque personne
participait
à la solution des problèmes. Dans les assemblées, il n'y avait
ni
supérieur, ni chef suprême. Chacun jouissait du droit à la vie et
comme
ces sociétés dépendaient des ressources naturelles, chacun avait
de quoi
manger. Il n'y avait ni compétition, ni différence de statut
social.
Tant
que les êtres humains vivaient une vie naturelle et
consommaient
les produits de la nature, considérée comme propriété
commune,
ils étaient heureux et leur vie commune était régie par la
moralité
et la vertu. Mais, avec le temps, lorsqu'ils furent dominés par
la
passion et le désir, les problèmes économiques et sociaux apparurent.
Bref,
désir et passion conduisent à la crise économique et sociale. La
sutta
Agganna explique comment les désirs engendrèrent
les problèmes
sociaux.
C'est un des facteurs qui conduisit à la naissance de l'État. La
disposition
au désir encourage les êtres humains à posséder et à
accroître
la propriété privée au-delà de ce qui est nécessaire pour
gagner
sa vie. Dans la sutta Mahadinana [D.II.59], le Bouddha
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bouddhiste au concept de libération 219
explique
l'origine de l'État, fruit des déséquilibres sociaux, de la façon
suivante.
L'État
est né de l'opinion unanime de l'ensemble du peuple [sutta
Agganna]
pour assurer l'application de la dhamma (loi
universelle). Le
roi est
appelé «le grand élu», parce qu'il est élu par tout le peuple
(mahajanena
samatto Mahasamotto). La souveraineté du peuple est
déléguée
à l'élu. Le roi utilise cette souveraineté au nom du peuple,
sous
l'égide de la dhamma (loi). C'est pour cela que Wilegola
Ariyadeva
écrit dans la Catusataka (chronique), que le roi était le
serviteur
de la communauté (gana-dasd) [H.P. Sastri, 1914, 68].
III. Le
pouvoir politique
Selon
le bouddhisme, l'État a été créé par le peuple pour le peuple.
Le
pouvoir de ce dernier a été transféré vers une personne capable de
maintenir
la loi et l'ordre. A.L. Basham écrit à ce propos : Le «grand
élu»
a été choisi par une grande assemblée du peuple à partir du
moment
où la propriété privée et la famille n'étaient plus respectées.
Il
fut élu pour assurer la loi et l'ordre et dépendait pour sa subsistance
d'une
part des récoltes et des troupeaux, en retour de ses services
[A.L.
Basham, 1956,16].
S.R.
Goyal fait remarquer que : Dans la théorie bouddhiste, le rôle
du
roi est confiné au maintien de l'ordre public pour le peuple qu i lui
a
confié cette tâche..., ce qui justifie l'office royal au service de la
propriété
et de la sécurité publique. De plus, cela renforce l'idée que
l'origine
de la royauté est le résultat d'un contrat bilatéral qui
imposait
au détenteur du pouvoir de punir les contrevenants, en retour
du
paiement d'un tribut [S.R. Goyal, 1987, 303].
K.N.
Jayatilleke affirme que, selon la théorie du contrat social, la
souveraineté,
dans le sens du pouvoir législatif suprême, appartient à
l'ensemble
du peuple [K.N. Jayatilleke, s.d.83]. Il faut cependant être
prudent
dans l'interprétation de ce concept. V.P. Varma remarque, en
effet,
que la théorie du «grand élu», ne peut être considérée comme la
formulation
pure et simple de la théorie consuelle de l'autorité
politique.
Cependant, on peut affirmer qu'elle y est incohativement
présente
[V.P. Varma, 1978, 195].
Selon
le bouddhisme, quand le roi faillit à sa tâche et ne remplit pas
le
contrat, le peuple a le droit de le remplacer. Wessatara Jataka
rappelle
que lorsque le peuple demanda au roi de bannir son fils du
royaume,
à cause de sa félonie, celui-ci agréa et déclara «que la
volonté
du peuple s'accomplisse» [JK. VI., 490]. La sutta
Cakkavatti
Sinhanada
suggère, pour sa part, que l'autorité politique ne
se transmet
pas par
héritage, ce qui indique que l'autorité politique est fondée sur
le
peuple et sur la loi universelle. Le royaume dépend de la conduite du
roi.
Une dictature arbitraire n'est pas admissible dans le cadre d'une
philosophie
bouddhiste.
IV. La dhamma
comme loi universelle de Tordre social
Dans la
philosophie politique bouddhiste, le concept de dhamma est
un des
plus importants. Il signifie la loi universelle. La sangha
(communauté
monastique) est régie sans aucun leadership suprême par
la dhamma.
Le Bouddha refusa de désigner un successeur, quand il
renonça
à se reconnaître les prérogatives d'un leader. Dans la sangha,
le
Bouddha représente la dhamma. «Celui qui voit la dhamma me voit
et
celui qui me voit, voit la dhamma» [S.III., 120]. Cela signifie que le
Bouddha
s'assimile à la dhamma.
Dans la
sutta Agganna, le concept de dhamma se réfère à la théorie
sociale
et politique. Il s'agit de l'application de l'éthique universelle à
l'administration
de l'État, alors que le concept brahmanique de dharma
se
référait à l'ordre social construit sur les quatre castes fondamentales
(yarnasrama
dhamma). Le respect de cet ordre établi par la
volonté
divine
débouche sur la crainte de le violer et d'encourir les sanctions
qui
s'en suivent. Les réincarnations successives obéissent à cet ordre,
plaçant
les brahmanes au sommet d'une pyramide' sociale et
ontologique.
Au
contraire, dans le bouddhisme, le dhamma s'exprime dans le
Pancasila
(les cinq principes): s'abstenir de tuer des êtres
vivants, de
voler,
de mentir, de se méconduire dans les plaisirs, et de s'adonner à
la
boisson. Dans une société où ces préceptes ne sont pas respectés,
selon
L.M. Joshi, une vie paisible n'est pas possible. Il n'y a pas de
paix
et sans paix, le bonheur ne peut être atteint. En l'absence de
bonté,
de paix et de bonheur, les chances de réalisation du nirvana,
sont
nulles [L.M. Joshi, 1972, 64]. Voilà pourquoi
la libération
personnelle,
comme la libération sociale, ont pour base le Pancasila.
Le
bouddhisme qui unit l'attitude personnelle avec le comportement
social,
a donc accompli une transformation révolutionnaire du concept
de dhamma
dans la philosophie politique. Cela a influencé les
politiques
de plusieurs sociétés à travers le monde, dans le passé et dans
le
présent.
Il faut
aussi rappeler que le bouddhisme attache une grande
importance
à la discipline morale et mentale. Ceux qui dirigent la
société
(les politiciens), doivent lutter contre le désir (lobha) et
l'illusion
{moha) et travailler pour la société, non en fonction de gains
matériels,
d'intérêts égoïstes ou par soif du pouvoir ou le désir de
réputation,
mais en se consacrant à la libération sociale, par
compassion
sincère et par amour pour les gens. C'est pour cela que
certains
ont dit que le bouddhisme est une philosophie sociale éthicoreligieuse
et
qu'en tant que telle, elle doit s'harmoniseravec un système de
gouvernement [D.C. Vijayawardhana, 1953, 554].
V. La
non-violence
Dans le
bouddhisme, la non-violence n'est pas poussée à un degré
d'impraticabilité,
comme dans le jaïnisme. Le Jataka Pali affirme que
lorsque
le roi ne remplit pas le contrat social, opprime le peuple et suit
la voie
de la tyrannie, alors le peuple a le droit de le renverser. K.N.
Jayatilleke
écrit à ce propos, que le seul endroit dans les textes
bouddhistes
où la violence semble envisagée comme un mal nécessaire,
c'est
pour le renversement d'un régime corrompu. Cependant, il ne fait
pas de
doute que la résistance non-violente ne soit considérée comme
supérieure
à l'usage de la violence, même pour renverser un
gouvernement
tyrannique [K.N. Jayatilleke, 1975, 83-84]. Bien que le
bouddhisme
favorise la non-violence, par respect pour les autres et pour
protéger
la dhamma, il admet des situations limites. Le Bouddha lui-même
donna
un exemple dans la sutta Abhayaraja Kumara : Quand un
enfant
a un objet bloqué dans la gorge, demanda le Bouddha, que faut-il
faire?
«Il faut l'enlever, répondit le prince, même s'il faut verser du
sang».
De la même manière, fut la réponse, le Bouddha affirme des
vérités
dures à entendre, quand c'est nécessaire et utile [M.I.,
391 ffj.
Il en
est de même en matière sociale. Quand un groupe use
uniquement
la force physique et ne peut être contrôlé, le bouddhisme
propose
l'établissement d'une contre-force. Cela ne veut pas dire qu'il
prône
la violence. Nandasena Ratnapala a fait remarquer que la
pratique
bouddhiste est d'examiner ses propres motivations dans
l'exercice
d'une action violente. Si elle doit être accomplie, un
minimum
de dommages physiques doit être la règle. Ce ne peut être en
fonction
de motifs égoïstes, mais dans le but de servir les autres et de
les
préserver de conséquences encore pires [Nandasena Ratnapala,
1993,91].
VI. Le
concept bouddhiste d'économie
Selon
l'enseignement de la Paticcasamuppada, un des principaux
facteurs
affectant le comportement des gens est la situation économique
de la
société. Le terme pali attha (en sanscrit artha) peut être
utilisé à
la fois
dans un sens spirituel et matériel. Par ailleurs, la politique et
l'économie
sont inséparables. C'est ce qu'en langage moderne on
pourrait
appeler l'économie politique. S.J. Tambiah affirme que le
terme arthasastra,
comme le Bouddha l'utilise, peut être traduit par la
gestion
de l'économie politique [S.J. Tambiah, 1976, 28].
La
philosophie de l'économie bouddhiste ne peut être séparée de
l'enseignement
concernant la droiture de la vie (samma-ajiva). Ainsi,
au
sixième siècle avant Jésus-Christ, le bouddhisme conseillait aux
laïcs
d'éviter de s'engager dans les cinq professions suivantes :
commerce
des armes, commerce des esclaves, commerce de la viande,
commerce
des intoxiquants, commerce du poison [A.III, 208].
Selon
le bouddhisme, les besoins humains peuvent être satisfaits et
il
encourage chacun à le faire. Consommez autant que vous en avez
besoin
[D.III.62,63]. Personne ne peut manger au-delà de la
capacité
de son
estomac. Personne ne peut porter un excès de vêtements.
Personne
ne peut dormir dans plusieurs lits à la fois et personne ne peut
vivre
en même temps dans plusieurs logements. Le bouddhisme
n'admet
donc pas que les besoins humains soient illimités. Cependant,
pour
lui, la pauvreté est une disgrâce dans la vie. La prospérité
économique
est une condition nécessaire pour l'établissement de la
justice
sociale et pour la vie vertueuse du peuple. Le bouddhisme
affirme
aussi que la manière de gagner de l'argent doit être vertueuse.
L'exploitation
du travail est considérée comme une injustice
(adkhammiko).
Le Bouddha affirme que les biens doivent être acquis
par la
force des bras et la sueur du front [A.III, 67; III, 45 f], donc par
un
effort personnel.
Conclusion
L'idée
du bouddhisme est que la libération doit atteindre
simultanément
l'individu et la société [voir Nalin Swaris, 1999]. C'est
seulement
à cette condition qu'une révolution peut être réelle.. Il est
certain
que le Bouddha n'a pas été un révolutionnaire au sens
contemporain
du mot, mais son insistance à affirmer qu'il ne peut y
avoir
de castes ou de supériorité d'un être humain sur un autre, que
tous
sont égaux, injectait un ferment révolutionnaire sans la société de
son
temps. En rejetant tout privilège basé sur la naissance,
l'occupation,
le statut social, il effaçait d'un trait toutes les barrières et
obstacles
nés de normes arbitraires, y compris celles de l'impureté
traduites
socialement. En créant la sangha, sur un modèle démocratique
et de
partage d'une vie de simplicité, il établissait le symbole vivant de
valeurs
à promouvoir dans la société. Voilà pourquoi les principes du
bouddhisme
peuvent aujourd'hui inspirer la transformation des sociétés
contemporaines
embarquées dans une course à une croissance censée
illimitée,
dans une économie du profit (du désir) et non des besoins,
dans
une inégalité sociale grandissante, dans la destruction de la nature
et
l'exploitation du travail.
Traduction
et adaptation de l'anglais : François Houtart
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L'Harmattan, 2000
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: 2-7384-9435-8
Pages 215 à 224