Le
grand mérite des Palestiniens – Hamas compris – est de n’avoir jamais
mené une autre lutte qu’anticoloniale. Même les islamistes palestiniens
n’ont jamais « déterritorialisé » leur revendication nationale pour la
fondre dans un jihadisme sans frontières. Ils sont restés insensibles
aux soubresauts qui ont bouleversé le monde arabo-musulman depuis la
révolution iranienne de 1979. C’est au contraire Israël qui a tenté de
transformer la lutte des Palestiniens en conflit religieux. On se
souvient du cri d’Ariel Sharon au lendemain du 11 septembre 2001 : « Arafat est notre Ben Laden à nous ! » Il
s’agissait évidemment de nier le caractère colonial du conflit et de le
mêler au « choc des civilisations », cher aux néoconservateurs
américains. Mais cette imposture n’a jamais fonctionné. Or, nous voilà
peut-être à un moment où le risque est réel de voir s’implanter en
Palestine des mouvements dits jihadistes...
Que reste-t-il à faire avant qu'il ne soit trop tard ?
Michel Peyret
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Par Denis Sieffert - 10 juillet 2014
Un conflit toujours central
Il
n’y a pas de conflits qui se règlent par magie simplement parce que les
pays occidentaux en nient l’existence. Ils ne disparaissent pas. Ils se
transforment.
Le
conflit israélo-palestinien est ce qu’on appelle un conflit « de basse
intensité ». Assez souvent, il s’efface derrière une autre actualité,
encore plus sanglante. On aurait alors tendance à l’oublier. Voire même,
pour les plus naïfs, ou les plus perfides, à le croire réglé faute de
combattants côté palestinien. Mortelle illusion ! Car les Palestiniens,
eux, ne l’oublient jamais. Comment l’oublieraient-ils alors que les
colonies empiètent toujours plus sur leurs terres, que leurs maisons
sont détruites et que l’arbitraire administratif et militaire entrave
leurs faits et gestes ? Comment les habitants de Gaza, étouffés depuis
sept ans par le blocus israélien, pourraient-ils l’oublier ? Une autre
erreur est d’en sous-estimer la portée symbolique, et même la centralité
politique. Deux choses qui ne se mesurent ni au nombre de victimes ni
aux enjeux pétroliers, et surtout pas à la superficie de la zone de
conflit.
C’est évidemment son histoire, son
antériorité et son caractère immédiatement international qui donnent au
conflit israélo-palestinien cette importance singulière. Le jeu
extrêmement malsain auquel les grandes puissances se sont livrées a, par
la suite, contribué à répandre un sentiment d’injustice et crée un
phénomène d’identification. Il en va des rapports entre les peuples
comme des relations entre les individus : la mauvaise foi, l’abus de la
force par celui qui est seul à la posséder, le mépris du droit, tout
cela suscite la solidarité. L’injustice fait aussi monter le niveau de
violence. Nous avons déjà eu l’occasion de le montrer : la percée du
Hamas, à partir du début des années 1990, a correspondu aux rebuffades
essuyées par la partie palestinienne qui avait fait le choix de la
négociation. Arafat, d’abord, Mahmoud Abbas, ensuite. Le blocage
systématique des négociations par Israël a même fini par faire
apparaître l’Autorité palestinienne comme complice de l’occupation.
Aujourd’hui, c’est le Hamas lui-même qui est affaibli. D’où cette pluie
de roquettes sur le sud d’Israël qui vise à redonner l’illusion de la
force et de la radicalité. Ce qui est en jeu dans les événements de ces
dernières semaines, c’est peut-être la nature même de ce conflit. On ne
le dira jamais assez, comme l’avait magistralement analysé Maxime
Rodinson, il y a presque cinquante ans, il s’agit d’un conflit colonial.
Le corps du délit, c’est la colonisation de la Cisjordanie et de
Jérusalem-Est. C’est l’occupation. C’est la situation d’apartheid qui en
résulte. Et la solution, c’est la décolonisation, c’est-à-dire la
restitution du territoire palestinien selon les frontières de juin 1967.
Le grand mérite des
Palestiniens – Hamas compris – est de n’avoir jamais mené une autre
lutte qu’anticoloniale. Même les islamistes palestiniens n’ont jamais
« déterritorialisé » leur revendication nationale pour la fondre dans un
jihadisme sans frontières. Ils sont restés insensibles aux soubresauts
qui ont bouleversé le monde arabo-musulman depuis la révolution
iranienne de 1979. C’est au contraire Israël qui a tenté de transformer
la lutte des Palestiniens en conflit religieux. On se souvient du cri
d’Ariel Sharon au lendemain du 11 septembre 2001 : « Arafat est notre Ben Laden à nous ! » Il
s’agissait évidemment de nier le caractère colonial du conflit et de le
mêler au « choc des civilisations », cher aux néoconservateurs
américains. Mais cette imposture n’a jamais fonctionné. Or, nous voilà
peut-être à un moment où le risque est réel de voir s’implanter en
Palestine des mouvements dits jihadistes. L’environnement régional, en
Syrie, en Irak, mais aussi dans le Sinaï égyptien, peut favoriser la
récupération d’une jeunesse désespérée. C’est ce à quoi peut conduire la
stratégie occidentale du pourrissement. La cause palestinienne est
aussi un objet de convoitise pour tous les prophètes de malheur et les
démagogues du monde musulman. Ben Laden ne manquait jamais d’y faire
référence. Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » autoproclamé d’Irak et
de Syrie, exploitera lui aussi le filon.
Nous ne cessons jamais d’expérimenter la
même loi de l’Histoire : il n’y a pas de conflits qui se règlent par
magie simplement parce que les pays occidentaux en nient l’existence.
Les conflits ne disparaissent pas. Ils se transforment. Et quand ils
reparaissent, nous feignons la surprise et l’indignation. C’est ce qui
s’est produit avec la destruction des oppositions de la gauche laïque
dans le monde arabe au cours des années 1960-1970. C’est ce qui guette
aujourd’hui la Palestine, alors que toutes les issues politiques ont été
méthodiquement verrouillées par les gouvernements israéliens.
Jusqu’ici, les Palestiniens n’ont pas seulement résisté à Israël, ils
ont aussi résisté à la dénaturation et à la récupération de leur combat.
C’est peut-être cette seconde résistance qui risque aujourd’hui de
céder si l’espoir ne leur est pas rendu.