Le 19 mars [1996, ndlr], j’ai reçu une inculpation, avec menace d’une année de prison ferme, à la suite de la publication de mon dernier livre : Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, dans lequel je démontre que ni les textes bibliques, ni les persécutions d’Hitler ne peuvent justifier le vol des terres des Palestiniens, leur expulsion et la répression sanglante exercée contre eux, pas plus qu’ils ne peuvent justifier le plan de désintégration de tous les États arabes, fondement de la politique israélienne exposée dans la revue sioniste : Kivounim, plan que je publie et dénonce dans mon livre. Quelques jours après, des frères palestiniens m’apportent deux journaux : El Majella et Okaz et d’autres journaux du Golfe, illustrés de plusieurs photos de moi. Je crus d’abord naïvement que ces journaux contenaient des articles pour me défendre. Au contraire, ils essayaient de me discréditer avec les prétextes les plus mensongers. L’opération des sionistes et des dirigeants saoudiens qui financent ces journaux était bien synchronisée par leurs maîtres communs : les dirigeants américains de la CIA.
Les dirigeants saoudiens ne me pardonnent pas de les avoir dénoncés comme traîtres à l’Islam et à la paix mondiale lorsqu’ils ont appelé, dans le pays où ils se prétendaient « protecteurs des lieux saints », une armée américaine gigantesque et servant de base permanente pour les agressions américaines contre les autres pays musulmans détenteurs de pétrole. Cela commença avec la destruction de l’Irak. L’Irak n’avait jamais accepté la menace d’intervention anglaise de 1962, lorsque le général Kassem eut le courage d’écarter les pirates occidentaux des pétroles de son pays. Alors fut enlevée à l’Irak une région pétrolifère qui avait toujours fait partie de la province de Bassorah. Ainsi les Anglais, les Américains, et leurs complices occidentaux purent contrôler les prix du pétrole en créant le Koweit qui n’est une « nation » que sur le papier, aux Nations-Unies, où les Anglo-Américains l’ont imposé.
Le Koweit est une compagnie pétrolifère dont les maîtres véritables sont en Amérique avec la complicité d’émirs corrompus dont le premier acte, après l’écrasement technique de l’Irak, fut d’expulser les Palestiniens et tous les opposants possibles au régime imposé, dans le sang du peuple irakien, par les Américains.
Ce fut un crime impardonnable lorsque des dirigeants arabes acceptèrent, en échange de compensations financières, de servir au camouflage de cette nouvelle agression colonialiste en opération « internationale ».
Il y eut pire : n’hésitant pas à discréditer notre religion en la mettant au service de la politique de ses pires ennemis, les colonialistes américains et occidentaux, le roi Fahd convoqua un rassemblement d’ « oulémas » pour leur faire cautionner, au nom de l’Islam, cette opération. De divers pays, en particulier de l’Arabie Saoudite, du Golfe et de bien d’autres, des « oulémas » serviles vinrent sacraliser cette politique américaine visant à contrôler tous les pétroles du monde. J’ai alors dénoncé publiquement cette prostitution politique. Et ce sont les mêmes oulémas serviles qui, aujourd’hui, cherchent à se venger en me présentant comme un mauvais musulman au moment où, une fois de plus, j’affronte le sionisme.
Ils me reprochent calomnieusement de « semer le doute » sur Abou Hanifa et Chafi, alors précisément que je donne en exemples, dans tous mes livres et articles, ces deux juristes de génie qui ont su créer, à partir des principes éternels de la « sharia », telle que la définit le Coran (Dieu seul possède, Dieu seul commande, Dieu seul sait ó message qu’Il a envoyé au monde par tous ses prophètes) un « fiqh » répondant aux besoins de leur pays et de leur temps, nous donnant ainsi l’exemple de cette « réflexion », à laquelle nous appelle sans cesse le Coran, pour créer, à partir de l’immuable « Sharia », un « fiqh » du XXe siècle.
Alors que mes critiques veulent fossiliser l’Islam en prétendant imposer au XXe siècle un « fiqh » du Xe siècle. Ils me reprochent de rejeter la « Sunnah ».
Autre mensonge : je leur reproche l’usage politique qu’ils en font : lorsque Sadate, brisant l’unité arabe, va à la « Knesset » sioniste, puis en Amérique, à Camp David, signer une paix séparée avec Israël, une « fatwa d’El Azhar » cautionne sa démarche. Lorsqu’à Charm el Cheikh les anciens colonialistes occidentaux et leur chef de file américain organisent, à grand spectacle, une assemblée de chefs d’État pour « combattre le terrorisme » en se solidarisant avec les pires terroristes : les dirigeants israéliens, et désigner la prochaine cible : l’Iran, en attendant que ce soit le tour de la Libye, les mêmes dirigeants arabes, avec leur chef de file saoudien, accourent à l’appel du maître américain et (à l’exception de 3 d’entre les chefs musulmans), vont, un à un, se prosterner à Tel-Aviv devant les dirigeants israéliens. Les « oulémas » qui m’accusent ont-ils protesté contre Charm el Cheikh ? Ont-ils convoqué une réunion internationale de solidarité avec les Palestiniens après le massacre terroriste par des Israéliens d’Hébron, de musulmans en prière ? Ils se sont tus. Ont-ils dénoncé le placement de milliards de dollars saoudiens dans les banques américaines comme une violation de l’interdiction du « riba » ? Non. Ils l’ont, à El Azhar, officiellement accepté ! Ont-ils dénoncé le crime permanent de l’embargo américain qui tue chaque année cent mille enfants irakiens ?
Ont-ils dénoncé « l’Organisation mondiale du commerce » (ex GATT) et le « Fonds monétaire international » dont les diktats imposent au « Tiers-Monde » l’équivalent de morts de un Hiroshima tous les deux jours ? Non, car leurs maîtres américains et saoudiens ne le leur permettraient pas ! Leur principale préoccupation, la déformation des propos de Garaudy. Ma seule réponse est le livre dans lequel je résume l’histoire de l’Islam : Grandeur et décadences de l’Islam (1996) en rappelant ma foi en l’Islam et en combattant les dirigeants politiques qui le déshonorent. Ce qu’osent demander ces fossoyeurs de l’Islam, c’est que l’on crée un « Comité » pour juger quels sont les musulmans orthodoxes comme eux, ou hérétiques, ce qui transformerait la Ligue islamique mondiale en Tribunal d’Inquisition permettant, comme le Pape de Rome, d’excommunier ceux qui dénoncent leurs trahisons.
Les pays arabes gouvernés par de tels dirigeants, ayant à leur service de tels « religieux », sont les fossoyeurs de l’Islam qui ne retrouvera sa grandeur et son rayonnement mondial que lorsque les peuples les auront chassés et auront renvoyé leurs protecteurs américains dans leur pays, emportant dans leurs bagages les dirigeants indignes et ceux des oulémas qui ont collaboré avec eux.
Alors l’Islam retrouvera le dynamisme du premier siècle de l’Hégire et ses forces de renouvellement constant : celle de « la vivification des sciences religieuses » du Grand Al Ghazali, comme de la « reconstruction de la pensée religieuse de l’Islam » de Mohammed Iqbal, celle de mes maîtres vénérés : El Afghani, Mohammed Abdou, Rachid Ridda, Hassan El Bannah, Ibn Badis, Malek Bennabi, et mon frère fidèle jusqu’à la mort : Mahmoud Abou Saoud, dont j’essaye, en humble disciple, de continuer l’œuvre, à la fois en Andalousie où j’ai créé, à Cordoue, capitale du Califat d’Occident, à la Tour Calahorra, le seul musée consacré, en Espagne, à évoquer le vrai visage de l’Islam d’Andalousie contre ses détracteurs, et qui est chaque année visité par 100 000 personnes, ou lutter, en France, aux États-Unis et dans tous les pays d’Occident, contre le « lobby » sioniste pour en dénoncer les crimes.
C’est ainsi que je crois remplir ma tâche de musulman fidèle à un Coran qui nous appelle sans cesse à servir Dieu « qui ne cesse de créer et de recréer le monde ». Être fidèle au foyer des ancêtres ce n’est pas en conserver les cendres mais en transmettre la flamme.
R. G.