Ben Gourion, les moments-clés d'une construction nationale et étatique ?
Les archives de Ben Gourion, dont certains extraits figurent dans Les Secrets de la création d’Israël,
permettent à cet égard une mise en perspective bienvenue. Les
événements des années 1947-1948 y apparaissent non pas comme le résultat
d’une nécessité historique liée à la fin de la Seconde Guerre mondiale
et à la prise de conscience mondiale de la Shoah mais comme le résultat
d’un processus long, commencé plusieurs décennies plus tôt dans la
Palestine ottomane où David Grün (nom d’origine de David Ben Gourion,
originaire de l’Empire russe) s’est installé en 1906, puis s’est
poursuivi sous le mandat britannique établi en 1922.
Dans
son introduction historique, David Peschanski, chercheur au CNRS,
présente le contexte dans lequel les structures institutionnelles du
mouvement sioniste ont initié une dynamique progressive de construction
étatique et ce avec la participation essentielle de Ben Gourion...
Il m'a paru intéressant de parcourir à nouveau ce temps passé de plus de 60ans...
Michel Peyret
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DAVID BEN GOURION, LES SECRETS DE LA CRÉATION DE L’ETAT D’ISRAËL – JOURNAL 1947-1948
ARTICLE PUBLIÉ LE 13/12/2012
ARTICLE PUBLIÉ LE 13/12/2012
Par Allan Kaval
Sous le titre Les Secrets de la création de l’Etat d’Israël,
les Editions de la Martinière publient une sélection d’extraits du
journal de Ben Gourion, de discours, de lettres et de comptes-rendus de
réunions stratégiques datant pour l’essentiel de la période qui a vu
naître l’Etat hébreu. Traduits spécialement pour la publication de ce
livre, ces documents historiques encore inédits en français portent un
éclairage sur des années décisives pour la poursuite du projet sioniste.
Les
conflits israélo-arabes puis israélo-palestiniens ont contribué à
structurer les rapports de force à l’œuvre dans leur environnement
immédiat depuis plus de soixante ans. Aujourd’hui encore et bien
qu’ayant radicalement changé de nature, la « question
israélo-palestinienne » continue à catalyser de nombreux enjeux
régionaux. Les pressions qui pèsent sur le programme nucléaire iranien
et la lutte d’influence qui oppose Téhéran aux puissances occidentales
et à leurs alliés dans la région y sont indirectement liées de même que
toute la politique proche-orientale de la République islamique.
A
une échelle plus réduite, Israël et les Territoires palestiniens se
trouvent dans l’impasse. L’intransigeance des dirigeants de l’Etat
hébreu quant au processus de colonisation de la Cisjordanie entretient
une situation de blocage qui favorise à son tour la division du camp
palestinien et la radicalisation constante de certains éléments. Pour
comprendre la situation actuelle et ses derniers développements, le
recul historique est une nécessité.
Les archives de Ben Gourion, dont certains extraits figurent dans Les Secrets de la création d’Israël,
permettent à cet égard une mise en perspective bienvenue. Les
événements des années 1947-1948 y apparaissent non pas comme le résultat
d’une nécessité historique liée à la fin de la Seconde Guerre mondiale
et à la prise de conscience mondiale de la Shoah mais comme le résultat
d’un processus long, commencé plusieurs décennies plus tôt dans la
Palestine ottomane où David Grün (nom d’origine de David Ben Gourion,
originaire de l’Empire russe) s’est installé en 1906, puis s’est
poursuivi sous le mandat britannique établi en 1922.
Dans
son introduction historique, David Peschanski, chercheur au CNRS,
présente le contexte dans lequel les structures institutionnelles du
mouvement sioniste ont initié une dynamique progressive de construction
étatique et ce avec la participation essentielle de Ben Gourion. Le
mouvement se place alors et ce dès avant la guerre, dans un double
rapport de force avec les autorités mandataires britanniques d’une part,
et avec les élites et populations arabes palestiniennes d’autre part. A
la bienveillance initiale de la déclaration Balfour se substitue au
cours des années 1930 une certaine méfiance de la part de Londres quant à
la poursuite du projet sioniste tandis que sur le terrain, les
Palestiniens voient leurs rapports avec les colons juifs se dégrader.
Accédant en 1935 au poste de Président de l’Agence juive qui fait office
de gouvernement pour la communauté installée en Terre sainte, Ben
Gourion comprend, dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale, que la
défaite allemande et la découverte par l’opinion publique
internationale des horreurs de la Shoah donnent au mouvement sioniste
une occasion historique d’atteindre son objectif ultime : la fondation
d’un Etat juif en Palestine.
Ben
Gourion mène alors une triple action, à la fois diplomatique, politique
et militaire dont les archives présentées témoignent. Sur le plan
diplomatique, l’assistance de l’Union Soviétique s’avère décisive, aussi
bien aux Nations unies qui viennent d’être créées que sur le terrain.
Moscou, qui sait le Royaume-Uni affaibli par la guerre, recherche des
appuis au Moyen-Orient et facilite la livraison de matériel militaire en
provenance de Tchécoslovaquie aux combattants sionistes, et encourage
l’émigration de juifs originaires de Bulgarie et de Roumanie vers la
Palestine. Politiquement, Ben Gourion doit s’assurer de l’unité des
différentes composantes du mouvement sioniste, ce qui passe par
l’intégration des divers partis et milices que distinguent des
orientations idéologique divergentes. Enfin, le Président de l’Agence
juive étant arrivé à la conclusion que la création d’un Etat juif ne
pourra être arrachée que par les armes, il coordonne avec la Haganah et
les forces armées rivales (l’Irgoun notamment) une action militaire
conjointe visant aussi bien les représentants de l’autorité britannique
que les Palestiniens, puis protège l’existence du jeune Etat face aux
armées arabes coalisées contre lui après la déclaration d’indépendance.
Dans ce contexte troublé, Ben Gourion guide la transformation du yeshouv,
la communauté de pionniers et d’immigrants juifs établis en Terre
Sainte, en Etat. Si les structures institutionnelles du mouvement
sioniste ont permis au cours des décennies précédentes de jeter les
bases d’une construction proto-étatique, il doit encore parvenir à
constituer une armée unifiée, à agrandir le territoire contrôlé par les
forces juives et à en chasser les populations palestiniennes pour
garantir le caractère spécifiquement juif du futur Etat. Ces différents
objectifs sont menés de front. Les décisions prises par Ben Gourion,
conformes à une pensée théorique et stratégique mûrement travaillée et
dont les documents réunis dans cet ouvrage portent la trace, déterminent
profondément l’histoire d’Israël. On voit en effet, dans cette période
violente et intense, se mettre en place des oppositions, des
problématiques et des rapports de force dont l’influence demeure et est
aujourd’hui encore sensible, et dont les documents présentés permettent
de retracer les origines profondes.
Dès
1947-1948, il apparaît que les structures étatiques sont les seules à
même de permettre la création d’une société israélienne cohérente. Déjà
plurielle, la population des premiers colons doit intégrer de nouveaux
migrants au moment même de la fondation de l’Etat. La démographie est en
effet une question stratégique pour Ben Gourion. Elle est la garantie
de la pérennité d’un Etat spécifiquement juif dans une région de
peuplement arabe. Or l’accueil de Juifs de la diaspora, dont nombre de
survivants de l’extermination allemande, pose problème, et ce au-delà
des premiers obstacles posés par les autorités britanniques à
l’installation de certains d’entre eux en Palestine. Les immigrants
souhaitant rallier le projet sioniste ne représentent qu’une fraction
assez faible de la diaspora, même parmi les rescapés de l’Holocauste.
Par ailleurs, ils viennent d’horizons très divers, n’ont pas
nécessairement la maîtrise de l’hébreu et doivent composer avec des
structures institutionnelles qui leur sont au premier abord étrangères.
La confrontation armée avec les Palestiniens, puis avec la coalition
arabe après la proclamation de l’Etat juif, sert de creuset intégrateur.
L’armée
unifiée de l’Etat hébreu, Tsahal, composée en grande partie des troupes
de la Haganah, joue donc dès les origines un rôle fondamental dans la
formation de la nation et dans la cohésion de la société. Cela va de
pair avec l’impératif sécuritaire indissociable du mode d’existence même
d’Israël. Toutes les oppositions internes au mouvement sioniste ne se
résorbent cependant pas au contact du danger extérieur. Déjà sensibles
avant même que ne se déclenche le processus de formation étatique, les
clivages structurants de la société israélienne transparaissent dans les
écrits de Ben Gourion. Le fondateur de l’Etat est dépositaire de la
tradition socialiste du sionisme et s’oppose aux sionistes
révisionnistes revendiquant des positions plus droitières. Il paraît à
la lecture de l’ouvrage que l’inclinaison progressiste et utopique donné
par Ben Gourion à la culture politique israélienne originelle n’a
jamais été véritablement hégémonique. Le parti travailliste a pu dominer
la scène jusqu’aux années 1970 mais la formation de l’Etat d’Israël
paraît, si l’on considère les toutes premières années de son existence,
comme le fruit d’un compromis particulièrement instable voire d’une mise
au pas parfois violente. C’est notamment visible lors des événements de
la dite « Saison » qui ont vu s’affronter les différentes factions
juives et ceux de l’Atalena, en juin 1948, au cours desquels un bateau
du même nom approvisionnant en arme l’Irgoun a été coulé par les forces
de la Haganah. La droitisation de l’échiquier politique, manifeste après
la Guerre de six jours, a des racines profondes qui remontent à une
période antérieure à la déclaration d’indépendance.
Autre
problématique datant de la naissance même de l’Etat hébreu voire propre
à la nature même au projet sioniste, les rapports qu’entretient un
certain messianisme religieux et idéologie nationaliste résolument
moderne, traversent dans toute leur équivocité les discours du fondateur
d’Israël. Publiquement athée, Ben Gourion émaille ses discours de
citations de l’Ancien testament. Le livre sacré offre en effet une
légitimation mythologique à la présence de colons juifs en Palestine.
Toute construction nationale appelle ses mythes mais la pensée de Ben
Gourion semble emprunter, au miroir de ses écrits, d’une « confusion »
entre religion, nationalité et légitimité historique. La réappropriation
du passé sert en effet un projet essentiellement politique : la
création d’un Etat-nation et la conquête par ses membres d’un territoire
appelé à être homogénéisé. Ben Gourion envisage ouvertement la
déportation des Palestiniens en dehors de son territoire et tente par
tous les moyens, mais avec un succès limité, de hâter l’arrivée de
migrants de la diaspora dont l’Ancien testament constitue par ailleurs
l’unique référence commune.
En
se rapprochant au plus près des faits historiques, le recueil permet de
dissiper certains mythes tenaces entourant la création de l’Etat
d’Israël, notamment celui du départ volontaire des Palestiniens et de
l’appel radiodiffusé à quitter leur pays que les Etats arabes voisins
leur aurait lancé. Par ailleurs, les archives publiées mettent en relief
le caractère finalement peu évident d’une construction nationale et
étatique telle qu’envisagée par Ben Gourion, donnant à voir les
puissantes divisions à l’œuvre dès les origines au sein du mouvement
sioniste. Les moments les plus noirs de la création d’Israël, à savoir
les massacres de civils « arabes », les crimes commis à l’encontre de
soldats britanniques et de diplomates par des éléments sionistes
radicaux ne sont pas omis par David Peschanski, bien qu’ils soient
évoqués avec une certaine discrétion. Cependant, on ne peut que demeurer
sceptique à la lecture du second texte de Tuvia Friling qui complète
l’appareil critique du livre. Professeur à l’Université Ben Gourion du
Neguev, Tuvia Friling semble s’y livrer à un exercice d’hagiographie
dépourvu d’intérêt historique .
David Ben Gourion, Les Secrets de la création de l’Etat d’Israël – Journal 1947-1948, Paris, La Martinière, 2012