Il y a […] des chiffres fondamentaux, qu'il faut que tout le
monde connaisse, qu'il faut que tout le monde ait dans sa poche, des chiffres
qui sous-tendent ce qu'il faut bien appeler une logique de classe, extrêmement stricte,
extrêmement tranchée, et qui est telle qu'elle rend stupide ou impraticable la
norme démocratique, même la plus formelle. À un certain degré d'inégalité, parler
de démocratie ou de norme démocratique n'a plus aucun sens.
Je rappelle ces chiffres :
1 % de la population mondiale possède 46 % des ressources disponibles.
1 %-46 % : c'est presque la moitié.
10 % de la population mondiale possède 86 % des ressources disponibles.
50 % de la population mondiale ne possède rien.
Ainsi, la description objective de cette affaire, en matière de
population, en matière de masse, signifie que nous avons une oligarchie
planétaire qui représente à peu près 10 % de la population. Cette oligarchie
détient, je le répète, 86 % des ressources disponibles. 10 % de la population, ça
correspond peu près à ce qu'était la noblesse dans l'Ancien Régime. C'est à peu
près du même ordre.
Notre monde restitue, reconfigure, une situation oligarchique qu'il
a traversée et connue il y a longtemps et à laquelle, sous d'autres formes et
sous d'autres aspects, il revient.
Nous avons donc une oligarchie de 10 %, et puis nous avons une
masse démunie d'à peu près la moitié de la population mondiale : c'est la masse
de la population démunie, la masse africaine, asiatique dans son écrasante
majorité. Le total représente à peu près 60 %. Et il reste 40 %. Ces 40 %,
c'est la classe moyenne. La classe moyenne qui se partage, péniblement, 14 %
des ressources mondiales.
C'est une vision structurée assez significative : on a une
masse de démunis qui fait la moitié de la population mondiale, on a une
oligarchie nobiliaire, si je puis dire, du point de vue de son nombre. Et puis
on a la classe moyenne, pilier de la démocratie, qui, représentant 40 % de la
population, se partage 14 % des ressources mondiales.
Cette classe moyenne est principalement concentrée dans les
pays dits avancés. C'est donc une classe largement occidentale. Elle est le
support de masse du pouvoir local démocratique, du pouvoir parlementarisé. Je
pense qu'on peut avancer, sans vouloir insulter son existence ,[…] qu'un but
très important de ce groupe, qui quand même n'a accès qu'à une assez faible
partie des ressources mondiales, un petit 14%, c'est
de n'être pas renvoyé, identifié, à l'immense masse des démunis. Ce qui se
comprend fort bien.
Alain Badiou
Notre mal vient de
plus loin
Penser les tueries
du 13 novembre
Fayard pages 30 à 32
L'intégralite de cette conférence d'Alain Badiou peut être lue ici: http://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse-du-13-novembre-version-texte
L'intégralite de cette conférence d'Alain Badiou peut être lue ici: http://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/alain-badiou-penser-les-meurtres-de-masse-du-13-novembre-version-texte