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février 1970, si douloureux qu'en fut
le choc dans
ma vie personnelle, ne dévia en
aucune façon mes réflexions et ma recherche. Elle me
permit même —après le trouble profond des premiers
mois, et avec le souci de n'avoir pas une mentalité
d ' « émigré », se réjouissant des erreurs ou des
fautes de la communauté dont il est exclu —
d'approfondir mon analyse sur le rôle même d'un
parti : est-il un stimulant pour la créativité de
chacun ou au contraire un frein? Car c'est là le
critère, à mon sens, de toute institution politique.
J'ai été écarté de la direction, puis
du Parti,
pour mes désaccords sur trois points
fondamentaux:
D'abord pour mon attitude en 1968,
où, cherchant
à déchiffrer le sens de la révolte
étudiante et à
découvrir le dénominateur commun
entre les exigences
qui affleuraient dans leur bataille
et les
revendications ouvrières, il me
sembla que nous
trouvions, dans cette convergence, la
possibilité d'un
approfondissement de la conception
même de la
révolution socialiste : elle
n'apparaissait plus seulement
comme « prise du pouvoir » et
suppression de
l'exploitation de l'homme par
l'homme, mais, selon
la visée de Marx et des grands
utopistes qui l'ont
précédé, dépassement de l'aliénation
fondamentale,
c'est-à-dire d'un ordre dans lequel
l'immense majorité
des travailleurs (manuels et
intellectuels) fait
l'histoire d'un autre. Exigence de
faire sa propre
histoire. Et de ne pas la faire par
procuration, par
délégation, par aliénation de son
initiative, de sa
responsabilité, de son pouvoir de
création aux
mains d'un élu ou d'un dirigeant.
Mais faire de
chaque homme un créateur, un poète.
Le Comité
central de Nanterre, en 1968, fut
invité à rejeter
cette suggestion et la rejeta en
effet. J'ai exploré ce
problème en 1972 dans mon livre L'Alternative.
Le deuxième point de désaccord porta
sur le
programme même du parti, proposé au
Comité
central de Champigny, puis dans- les
thèses du
XIXe Congrès et qui, pour l'essentiel, inspira le
Programme commun de la gauche. Je le
combattis
dès le Comité central de Champigny,
puis au
Congrès, comme reposant sur une
analyse périmée
du développement actuel du
capitalisme, sur une
conception de l'unité conclue
seulement au sommet,
sans être structurée à la base, et
fondée sur des
compromis entre états-majors au lieu
de reposer sur
une étude théorique fondamentale du «
nouveau
bloc historique », enfin de donner du
socialisme
une image étriquée, scientiste et
économiste, au lieu
de le définir, comme Marx et comme
Mao, à partir
d'une vue plénière de l'homme de
notre temps.
Le troisième point de divergence
surgit lors de
l'invasion de la Tchécoslovaquie par
l'Armée soviétique.
L'on rejeta alors ma position selon
laquelle il
ne suffisait pas de condamner
l'intervention, mais
d'en rechercher les causes profondes
dans la
conception et les structures du Parti
communiste de
l'U.R.S.S. d'où découlait un « modèle
» de socialisme
qui était une perversion du marxisme
et ne
correspondait nullement aux
aspirations de notre
époque.
Le problème essentiel aujourd'hui,
alors que la
« crise de l'énergie » a conduit à
mettre en cause
nos modèles occidentaux de
civilisation, est d'appeler
à une élaboration commune, à la base,
à partir
de l'expérience de millions d'hommes
et de femmes,
d'un modèle nouveau de socialisme
répondant aux
exigences d'une époque où l'avenir
n'est plus
dessiné en pointillé par le seul
mouvement de
l'histoire passée, mais au contraire
où nous disposons
de moyens d'une telle puissance
qu'ils peuvent
conduire à l'anéantissement de la
vie, et où nous ne
pourrons les maîtriser qu'en nous
assignant de
nouvelles fins.
Roger
Garaudy
Parole d’homme
Pages 87 à 127
Parole d’homme
Pages 87 à 127