11 mai 2017

Garaudy, le communiste (1933-1970). 4/ Une nouvelle conception du socialisme

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Mon exclusion du Parti communiste en
1970.A la tribune du 19e Congrès
du PCF - Photo Bureau Sygma
février 1970, si douloureux qu'en fut le choc dans
ma vie personnelle, ne dévia en aucune façon mes réflexions et ma recherche. Elle me permit même —après le trouble profond des premiers mois, et avec le souci de n'avoir pas une mentalité d ' « émigré », se réjouissant des erreurs ou des fautes de la communauté dont il est exclu — d'approfondir mon analyse sur le rôle même d'un parti : est-il un stimulant pour la créativité de chacun ou au contraire un frein? Car c'est là le critère, à mon sens, de toute institution politique.
J'ai été écarté de la direction, puis du Parti,
pour mes désaccords sur trois points fondamentaux:
D'abord pour mon attitude en 1968, où, cherchant
à déchiffrer le sens de la révolte étudiante et à
découvrir le dénominateur commun entre les exigences
qui affleuraient dans leur bataille et les
revendications ouvrières, il me sembla que nous
trouvions, dans cette convergence, la possibilité d'un
approfondissement de la conception même de la
révolution socialiste : elle n'apparaissait plus seulement
comme « prise du pouvoir » et suppression de
l'exploitation de l'homme par l'homme, mais, selon
la visée de Marx et des grands utopistes qui l'ont
précédé, dépassement de l'aliénation fondamentale,
c'est-à-dire d'un ordre dans lequel l'immense majorité
des travailleurs (manuels et intellectuels) fait
l'histoire d'un autre. Exigence de faire sa propre
histoire. Et de ne pas la faire par procuration, par
délégation, par aliénation de son initiative, de sa
responsabilité, de son pouvoir de création aux
mains d'un élu ou d'un dirigeant. Mais faire de
chaque homme un créateur, un poète. Le Comité
central de Nanterre, en 1968, fut invité à rejeter
cette suggestion et la rejeta en effet. J'ai exploré ce
problème en 1972 dans mon livre L'Alternative.
Le deuxième point de désaccord porta sur le
programme même du parti, proposé au Comité
central de Champigny, puis dans- les thèses du
XIXe Congrès et qui, pour l'essentiel, inspira le
Programme commun de la gauche. Je le combattis
dès le Comité central de Champigny, puis au
Congrès, comme reposant sur une analyse périmée
du développement actuel du capitalisme, sur une
conception de l'unité conclue seulement au sommet,
sans être structurée à la base, et fondée sur des
compromis entre états-majors au lieu de reposer sur
une étude théorique fondamentale du « nouveau
bloc historique », enfin de donner du socialisme
une image étriquée, scientiste et économiste, au lieu
de le définir, comme Marx et comme Mao, à partir
d'une vue plénière de l'homme de notre temps.
Le troisième point de divergence surgit lors de
l'invasion de la Tchécoslovaquie par l'Armée soviétique.
L'on rejeta alors ma position selon laquelle il
ne suffisait pas de condamner l'intervention, mais
d'en rechercher les causes profondes dans la
conception et les structures du Parti communiste de
l'U.R.S.S. d'où découlait un « modèle » de socialisme
qui était une perversion du marxisme et ne
correspondait nullement aux aspirations de notre
époque.
Le problème essentiel aujourd'hui, alors que la
« crise de l'énergie » a conduit à mettre en cause
nos modèles occidentaux de civilisation, est d'appeler
à une élaboration commune, à la base, à partir
de l'expérience de millions d'hommes et de femmes,
d'un modèle nouveau de socialisme répondant aux
exigences d'une époque où l'avenir n'est plus
dessiné en pointillé par le seul mouvement de
l'histoire passée, mais au contraire où nous disposons
de moyens d'une telle puissance qu'ils peuvent
conduire à l'anéantissement de la vie, et où nous ne
pourrons les maîtriser qu'en nous assignant de
nouvelles fins.

Roger Garaudy
Parole d’homme
Pages 87 à 127