Défendre la pauvreté pour mieux combattre la misère (Majid Rahnema)
Majid
Rahnema est mort le 14 avril 2015 à l’âge de 91 ans. Ce diplomate
iranien s’était livré ces vingt dernières années à une critique sévère
du modèle productiviste et à une réhabilitation de la pauvreté, qu’il
distinguait radicalement de la misère et percevait comme le meilleur
bouclier contre cette dernière.
Il a publié sur le sujet deux essais : Quand la misère chasse la pauvreté (2003) et La Puissance des pauvres (2008).
« L’existence reconnue de
quatre milliards de personnes dont le revenu journalier est inférieur à
deux dollars par jour constitue bien la preuve selon laquelle les
immenses « progrès » économiques et technologiques n’ont abouti qu’à une
augmentation sans précédent du nombre des naufragés de notre économie. (…) Il
est temps de réaliser que la course à la croissance économique n’est
pas la réponse à leur problème. Elle est elle-même le problème qu’il
faudra enfin aborder sans peur ni préjugé ».
« Ce n’est pas en augmentant
la puissance de la machine à créer des biens et des produits matériels
que [le] scandale [de la misère] prendra fin, car la machine mise en
action à cet effet est la même qui fabrique systématiquement la misère. Il
s’agit aujourd’hui de chercher à comprendre les raisons multiples et
profondes du scandale. C’est cette recherche qui m’amène aujourd’hui à
montrer combien une transformation radicale de nos modes de vie,
notamment une réinvention de la pauvreté choisie, est désormais devenue
la condition sine qua non de toute lutte sérieuse contre les nouvelles formes de production de la misère. » (Majid Rahnema, Quand la misère chasse la pauvreté)
« L’essentiel, je crois, est d’arrêter de prendre
les pauvres pour des incapables et de vouloir leur imposer des formes
de richesse qui n’ont aucun sens pour eux. Des organisations comme la
Banque Mondiale devraient ainsi cesser de définir la pauvreté comme
elles le font (un revenu mimimun d’un ou deux dollars par jour), pour
essayer plutôt d’associer toutes les victimes de la mondialisation à
redéfinir ensemble ce qu’est la richesse. Il y a de fortes chances que
les richesses ainsi redéfinies correspondraient pour la plupart à
celles-là même que ces organisations sont en train de détruire au nom de
la lutte contre la pauvreté.
Fort de sa connaissance des pauvres, Gandhi
exhortait en son temps tous les docteurs-ès-pauvreté à laisser les
pauvres tranquilles – plus précisément à ne pas peser sur leurs épaules
(get off their back). Il avait compris que ses amis les pauvres seraient
bien mieux servis si au lieu de lutter contre la pauvreté, on les
aidait à renouer avec leurs ressources et leurs capacités millénaires,
leur meilleur outil contre l’adversité. » (M. R, Source)
Emprunté à l'excellent site "Réveil mutin"