Roger GARAUDY
DAWA en Occident [La da'wa- دَعْوة - est l'invitation faite par les musulmans aux non-musulmans d'entendre le message du prophète. NDLR]
Le problème de la "dawa" (en
Occident comme ailleurs) n'est pas un problème d'organisation ou de
"marketing" mais un problème de fond: quelle image donnons-nous de
l'Islam? Comment présentons-nous le message du Coran?
Le message du Coran, s'il n'est pas lu
seulement avec les yeux des morts,(c'est â dire avec les yeux de ceux qui ont
eu pour tâche, depuis des siècle, de résoudre les problèmes de leur temps, mais
évidemment pas de résoudre ceux de notre temps), ce message est universel, mais
une longue tradition (en particulier arabe) en a fait une religion
particulière, parfois même "régionale".
Pourquoi? Parce que une lecture littéraliste,
"talmudique", du Coran a trop souvent mélangé la loi divine, la
"shari'a", commune, comme le dit le Coran (42,13), â toutes les
religions révélées (et même aux sagesses du monde puisque Dieu a envoyé des
prophètes à tous les peuples) avec le "fiqh", la législation propre
au 7ême siècle (ou au lOème ou au 16ème siècle) et aux peuples
arabes.
La grandeur du Coran est précisément de
hiérarchiser et de montrer le lien spécifique entre la loi divine
"Shari'a", éternelle et universelle, valable pour tous les temps,
tous les lieux et toutes les religions, et le "fiqh" c'est à dire les
législations par lesquelles les hommes ont tenté,à chaque époque et dans chaque
pays, d'appliquer la loi divine transcendante dans des situations historiques
différant selon les époques et les sociétés.
Cette liaison entre la transcendance et
l'histoire, entre la religion et la politique, est la grande originalité du
Coran.
- Dans la Thora juive, toutes les
"lois", morales, politiques, rituelles, sont également contraignantes
et prétendent, les unes comme les autres, à une valeur absolue et éternelle.
Ainsi est bloquée 1'histoire.
- Dans les Evangiles des Chrétiens au
contraire sont révélés 1es principes moraux éternels, mais sans indication sur
les moyens propres â réaliser ces principes dans une situation historique particulière.
Ainsi on fait abstraction de l'histoire.
- Le Coran donne des "exemples" de
l'application des principes éternels de la "loi divine", liant ainsi
la transcendance (la loi divine éternelle) et l'histoire (le fiqh: la
législation historique, oeuvre des hommes dans chaque société).
Ces "exemples" tiennent peu de place
dans le Coran (moins de 200 versets "législatifs" sur plus de 6.000
dans le Livre).
Ils ne traitent d'ailleurs que de quelques
problèmes particuliers (loi sur l'héritage, le mariage, les sanctions pénales,
etc...).
S'il avait voulu donner autre chose que des
"exemples", des échantillons, de cette méthode d'application des
principes invariants â des cas particuliers, il aurait explicité les bases, par
exemple, d'une Constitution politique ou d'une doctrine économique.
Or, sur ces deux problèmes essentiels, le
Coran ne formule pas des "lois" mais simplement des orientations: la
"shura", qui n'est
pas définie, exclut simplement tout pouvoir personnel absolu, l'obligation du
"zakat", l'interdiction du "riba",
(qui n'est pas défini), la condamnation de la
thésaurisation, excluant seulement l'accumulation de la richesse à un pôle de
la société et de la misère â l'autre, sans dire par quelles institutions et par
quelles législations cet ordre politique
et cet ordre économique peuvent être réalisés.
Cela montre clairement la part de
responsabilité que le Coran laisse â l'homme pour construire la société à
partir de la "shari'a fondamentale" et de ces orientations.
La shari'a fondamentale, ces orientations, et
les "exemples" d'application, figurent tous dans le Coran, mais il est
aberrant de mettre tout cela sur le même plan et d'appeler indistinctement et
aveuglément "shari'a", un mélange de l'invariant éternel et les
exemples d'application qui tiennent compte, par une véritable "pédagogie
divine" des mœurs et des lois antérieures pour faire passer l'essentiel du
message.
Un exemple limite: le
verset 50 de la sourate 33: "Tu possèdes légalement tes épouses et tes
esclaves," ou le verset 24 de la sourate 4 où, après avoir énuméré les
femmes qui sont interdites, le texte dit que sont interdites" les femmes
mariées, sauf si elles sont vos esclaves. "De tels textes non seulement
portent la marque d'une époque historique ou règne l'esclavage, mais sont une
évidente concession aux moeurs de cette époque, et ne peuvent comporter aucune
application à notre époque.
Tabari a pris soin, dans son commentaire de
chaque verset, d'étudier les circonstances historiques concrètes dans
lesquelles il était descendu.
Si nous lisons aujourd'hui avec le même souci
critique et historique, les deux cents versets dits "législatifs",
alors nous pourrons comprendre combien le Coran représentait une humanisation
des mœurs de l'époque, même si, pour faire passer l'essentiel du message, il ne
balayait pas tout le passé.
Par exemple le Coran maintient la loi du
talion, qui existait déjà dans la Thora juive et dans l a "Jahiliya", car les moeurs de l'époque, en Arabie,
n'auraient pas permis de l'abolir, mais il ajoute (Sourate 42, verset
40-43) que si le talion est un droit, il est moralement préférable de
pardonner, ce qui est la voie d'un Dieu "Clément et Miséricordieux".
Autre exemple: dans la société préislamique
d'Arabie les femmes n'avaient aucun droit â l'héritage. C'est
donc une avancée historique notable lorsque le Coran leur reconnait une part. Et, dans une société ou
toutes les charges sociales incombaient à l'homme, il était juste de rétablir
l'équilibre en lui accordant une part plus importante.
D'une manière plus générale les différents
versets "législatifs", lus dans leur contexte historique, peuvent
être répartis en plusieurs catégories:
1) Ceux qui constituent une application
directe des principes de la "shari’a" dans une situation historique
donnée.
Par exemple, l'esclavage étant une institution
qui ne pouvait alors être niée, le Coran donne des exemples de son
humanisation: "un esclave pieux vaut mieux qu'un homme libre impie."
(11,221). Ou encore l'interdiction faite aux propriétaires d'esclaves de les
contraindre â la prostitution.
2) Ceux par lesquels le Coran ratifie une
coutume antérieure, par exemple les recommandations sur le port du voile par
les femmes.
Cette recommandation n'a rien de
spécifiquement islamique: cette pratique, dans les pays de l'Est de la Méditerranée était coutumière
depuis des siècles.
Par exemple, plus de six siècles avant le
Prophète Mohammed, Saint Paul écrivait déjà: "une femme qui ne porte pas
le voile doit être tondue". (1er Epitre aux Corinthiens XI,6}.
3) Ceux qui sont une concession aux moeurs de
l'époque que l'on ne pouvait prendre de front et balayer d'un seul coup.
Par exemple le sort des femmes esclaves et des
prisonnières de guerre livrées â la merci du maître ou du vainqueur(voir plus
haut).
Les mains coupées du voleur, pratique courante
dans l'Arabie préislamique. (Aujourd'hui tenter de justifier cette pratique en
prétendant que la rigueur de la
sanction est dissuasive est un mensonge
absolu: les Etats-Unis, pays où la peine de mort est le plus systématiquement
appliquée (plus de 2.000 au cours des 10 dernières années), est le pays qui
détient le record mondial de la criminalité).
Appeler "shari'a" cet ensemble
hétéroclite, enlève toute crédibilité à une "dawa", car ce littéralisme
aveugle donne de l'Islam une image repoussante, et cette lecture sans esprit
critique et historique défigure le Coran.
Elle empêche des milliers de gens de voir que
dans la nouvelle "Jahiliya" de la civilisation occidentale décadente,
la véritable "shari'a" (Dieu seul possède, Dieu seul commande, Dieu
seul sait) peut unir toux ceux qui pensent que leur vie a un sens et que seule
la loi divine (Shari'a) peut leur donner ce sens en l'arrachant â la loi de la
jungle, à la loi du plus fort, â la loi du chaos.
Si, au contraire, l'on confond cette
"shari'a fondamentale" avec le "fiqh" des siècles passés,
l'on fait oeuvre de division, on isole l'islam, et on laisse des milliers
d'hommes et de femmes livrés au désespoir. Dans ces conditions la
"dawa" est vouée â l'impuissance et à l'échec.
C'est seulement en restaurant la
"shari'a" dans sa vérité que l'islam peut trouver en notre siècle des
conditions aussi favorables à son expansion qu'au premier siècle de l'Hégire.
Roger
Garaudy
Archives R.G. Texte dactylographié
Non daté