BISMILLAH ER RAHMEN ER RAHIM
Je
ne parlerai pas, ici de l'Islam en général, mais seulement des possibilités
nouvelles de son expansion, aujourd'hui, dans le monde occidental, et des
raisons, tenant à l'essence même de la foi islamique, qui fondent de telles
possibilités.
Au
moment de sa naissance, l'Islam a sauvé le monde d'une décadence générale et du
chaos.
Les
grands empires jusque là dominants se désintégraient: l'empire Byzantin,
l'empire Perse, l'Inde après les Guptas, l'Afrique du Nord, les royaumes
wisigoths d'Espagne.
Le
Coran en proclamant, de la façon la plus intransigeante, la transcendance de
Dieu, et en fondant sur elle un type nouveau de communauté, redonna à des
millions d'hommes la conscience de leur dimension proprement humaine,
c'est-à-dire divine, et l'âme d'une nouvelle vie collective.
Transcendance
et communauté, n'est-ce-pas la contribution que l'Islam peut aujourd'hui
apporter à l'invention d'un avenir à visage humain, dans un monde ou
l'élimination du transcendant, la destruction de la communauté par
l'individualisme, et un modèle démentiel de croissance, ont rendu le statu quo invivable
et impossibles les révolutions de type occidental.
Après
cinq siècles d'hégémonie sans partage de l'Occident son bilan peut se résumer
en 3 chiffres: en 1982, avec près de 600 milliards de dollars de dépense
d'armement, est placé l'équivalent de quatre tonnes d'explosifs sur la tête de
chaque habitant de la planète et sont réparties de telle manière les ressources
et les richesses que, la même année, 50 millions d'êtres humains, dans le
Tiers-Monde, sont morts de famine ou de malnutrition. Il est difficile
d'appeler sans hésitation "progrès," la trajectoire historique de la
civilisation occidentale qui, pour la première fois dans les 2 ou 3 millions d'années
de l'épopée humaine, a rendu techniquement possible la destruction de toute
trace de la vie sociale:
- au niveau de l'économie dominée par la
croissance c'est-à-dire par l'aveugle désir de produire de plus en plus, et de
plus en plus vite, n'importe quoi, utile, inutile, nuisible, ou même mortel;
- au niveau de la politique, des rapports sociaux
intérieurs et extérieurs, dominés par la violence, c'est-à-dire par
l'affrontement des intérêts et de la volonté de puissance des individus, des
classes et des nations;
- au niveau de la culture, caractérisé par
la perte du sens et de la finalité: une technique pour la technique, une
science pour la science, un art pour l'art, des vies pour rien;
- au niveau de la foi, par une perte de la
transcendance c'est-à-dire de la dimension proprement humaine de l'homme: de la
possibilité de rupture avec l'ordre ou le désordre existant et leurs dérivés.
La
culture «faustienne» qui sous-tend cette civilisation prétend réduire la vie à
la nécessité et au hasard, comme dit l'un des biologistes, à une passion
inutile, comme écrit l'un de ses philosophes, à l'absurde, c'est-à-dire à
l'absence de sens, comme le proclame l'un de ses romanciers, à la mort de Dieu,
à la mort de 1'homme, à la mort de tout, comme nous le répètent les faux
prophètes de ce culte morbide du néant.
Dans
aucune autre civilisation que la civilisation occidentale actuelle, on a ignoré
de manière aussi totale la question du sens de notre vie et de notre mort.
Cette culture faustienne repose sur quatre principes qui, en cinq siècles, nous
ont conduits à l'impasse et, si nous persévérons dans
la
même voie, au suicide planétaire:
- la séparation de la science et de la sagesse,
c'est-à-dire la séparation des moyens et des fins;
- la réduction de toute réalité au concept et à
la mesure, excluant ainsi
la
beauté, l'amour, la foi, le sens;
- l'individualisme, faisant des individus
ou des groupes le centre et la mesure de toute chose, et, de tout
"ordre", un équilibre provisoire entre leurs convoitises concurrentes.
- la négation de la transcendance,
c'est-à-dire de la possibilité même de s'arracher à ces dérives, la
"suffisance" par rapport aux déterminismes d'un développement
exclusivement quantitatif, excluant la création, la liberté, l'espérance.
Cette
culture faustienne de l'Occident, est réclamée d'un double héritage:
gréco-romain, et judéo-chrétien, oubliant volontiers le "troisième
héritage": l'héritage arabo-islamique.
L'héritage arabo-islamique a
été sous-estimé par suite d'une double illusion de perspective.
1°)
on n'a voulu ne voir en lui que l'agent de transmission des cultures ou des
religions passées: traducteur et commentateur de la pensée grecque, ou hérésie,
et négation de la foi chrétienne;
2°)
on a voulu ne voir en lui que la préhistoire de notre propre culture, ce qui
permettait d'en abandonner l'étude à des spécialistes chargés d'étudier ce qui
appartient au passé.
Dans
cette perspective l'Islam n'apporterait rien de nouveau et ne comporterait
aujourd'hui rien de vivant.
Il
n'habiterait que notre passé et ne serait porteur d'aucune promesse.
C'est
cette double tendance que nous avons à combattre, parce qu'elle nous empêche de
comprendre le présent et de construire l'avenir.
A -
Il n'est pas vrai que la pensée islamique
n'ait été qu'un relais de transmission et de traduction de la pensée grecque:
-
les mathématiques grecques se fondaient sur la notion du fini, les
mathématiques arabes sur celle de l'infini;
-
la logique grecque était spéculative, la science arabe est essentiellement
expérimentale.
-
l'architecture grecque était statique, fondée sur la ligne droite. La mosquée
est le contraire du temple grec: elle est une symphonie de courbes, avec ses
arcs et ses coupoles.
-
la philosophie grecque était, de PARMENIDE à ARISTOTE, une philosophie de
1'être; celle des arabes est philosophie de 1'acte. Philosophie prophétique, et
non théorie de la substance ou de la connaissance.
-
la tragédie grecque est inconcevable dans la vision islamique de la vie, comme la
poésie prophétique des arabes est inconcevable dans la conception grecque de la
vie, de sa finitude et de sa "mesure".
B
- Il n'est pas vrai non plus que la
science arabe soit simplement la préhistoire de la notre.
La
science-arabe, à l'inverse de notre conception positiviste, ne sépare pas la
science de la sagesse, c'est-à-dire qu'elle ne perd jamais de vue le sens, la
finalité. Considérant toute chose non simplement comme un fait, mais comme un "signe",
depuis les phénomènes de la nature jusqu'à la parole
des
prophètes, elle n'isole pas l'analyse des liaisons des choses entre elles, qui
en fait découvrir les lois, de la synthèse de leurs rapports avec le tout qui
leur donne un sens. Tout est à la fois profane si on l'examine en dehors de son
rapport au tout, et sacré, jusqu'à l'élément le plus humble, par son rapport à
Dieu. Or, c'est aujourd'hui cet abandon du sens et de la transcendance, qui a
fait dégénérer la science en scientisme et la technique en technocratie, à
partir du moment où leur développement quantitatif devient but en soi, sans
référence à l'homme et à son épanouissement.
La
renaissance de l'Occident a commencé non pas en Italie avec la restauration de
la culture gréco-romaine mais en Espagne avec le rayonnement des sciences et de
la culture arabo-islamique. Mais cette Renaissance occidentale n'a emprunté à
la science arabo-islamique que sa méthode expérimentale et ses techniques, et
non pas la foi qui les orientait vers Dieu, les maintenant ainsi au service des
hommes.
Aujourd'hui,
comme en temps de la mission du Prophète, où s'affrontaient deux
superpuissances: l'empire byzantin et celui des sassanides d'Iran, toutes deux
affectées de la même dégénérescence, s’ affrontent
de nouveau deux superpuissances: Etats Unis et Union Soviétique tendent à
diviser le monde en deux blocs se réclamant d'idéologie en apparence opposées,
mais reposant en fait sur le même modèle de culture de type fonction, aboutissant
à des impasses analogues et conduisant à une même faillite humaine.
Dans
cette crise des finalités, ou plutôt dans cette absence de finalité humaine et
divine, l'Islam peut offrir au monde ce dont il manque et dont le manque le
fait mourir: le sens de la vie.
L'Islam
est la religion de l'unité (tawhid), c'est-à-dire la religion du sens et de la
beauté.
Pour
ma part si j'en juge par mon cheminement personnel, la préoccupation centrale
de ma vie a été de rechercher le point où l'acte de création artistique et
poétique, l'action politique et l'acte de foi, ne font qu'un. L'Islam -
amdoulillah - m'a donné accès à cette suprême unité.
Alors
que dans notre monde de concurrence, de croissance quantitative, et de
violence, les événements apparaissent comme la résultante de forces aveugles et
affrontées, le Coran nous enseigne à considérer l'univers et l'humanité comme
tout à 1'intérieur duquel le drame auquel 1'homme participe prend un sens.
Alors
que l'oubli de Dieu fait de nous des êtres "périphériques", soumis à
des nécessités et à des hasards externes, le souvenir de Dieu, dans la prière
nous fait prendre conscience de notre centre et de notre source qui est la
source de toute existence.
Le
Coran nous apprend à voir en chaque chose et en chaque événement un
«signe
de Dieu », le symbole d'une réalité probante de l'ordre unique de l a
nature, de la société et de nous-mêmes. La norme (fitra) de la religion
primordiale est celle de l'harmonie et de l'unité, émanant de Dieu et
retournant
à lui.
Ce
qui fait de l'homme un homme, c'est:
1°)
la possibilité de réaliser le dessein divin;
2°)
la possibilité de rompre ce pacte.
Dans
le monde tout est soumis (mouslim) à la volonté de Dieu: une pierre dans sa
chute, une plante dans sa croissance, un animal dans ses instincts; mais cette
soumission ne dépend pas d'eux: ils ne peuvent échapper aux lois
qui
les régissent. L'homme seul peut désobéir: il devient donc musulman par un acte
libre, par un choix, en se souvenant de l'ordre premier: celui de l'unité et de
la totalité qui donne un sens à sa vie. Il est pleinement responsable de son
destin puisqu'il a la possibilité de refuser ou de se soumettre à la volonté de
Dieu.
Des
messagers sont venus, dans tous les peuples, appeler à se
"ressouvenir" de Dieu et de l'ordre primordial. Abraham, Moïse,
Jésus, Mohamed, et tant d'autres prophètes de l'Islam, avant Mohamed, sont
venus apporter le message éternel.
La raison, la raison plénière,
celle qui ne se contente pas de lier une cause à une cause, mais qui remonte de
fin en fin, pour tout ramener à la fin dernière, n'est pas contraire à la
révélation: elle est au contraire illuminée par elle: la révélation venant
illuminer la raison, c'est comme
il
est écrit dans le Coran "lumière sur lumière".
La
réponse de l'homme au don de la révélation, c'est la prière. Au mouvement de
Dieu vers l'homme répond le mouvement de l'homme vers Dieu, comme la deuxième
partie de la "Shabada" à la première.
Les
rythmes de la prière, accordés au lever et au coucher des astres, insèrent
l'homme dans l'ordre cosmique et les gestes même de la prière récapitulent en
l'homme les mouvements fondamentaux de tous les niveaux de l'existence: l'homme
qui prie se met debout comme les montagnes, les moissons, et les arbres, il se
prosterne et se redresse comme les étoiles
se
couchent et se relèvent, il s'incline comme la branche du palmier ou comme les
êtres animés se penchent vers la terre et courbent vers la source de leur vie,
leur tête.
La
prière ne lie pas seulement l'homme avec la nature et le cosmos, mais avec
l'humanité entière: les Qiblas de toutes les mosquées du monde forment tout
autour de la terre des cercles concentriques symbolisant l'unité
suprême.
Et les bonnes heures de la prière changeant avec les longitudes, en chaque
moment un front se dresse et un autre se prosterne, en une immense boule
d'adoration qui déferle sans cesse autour de la terre.
Ainsi
s'exprime, en symboles physiques, l'unité de l'Islam, intégrant tous les âges
de la prophétie, des "rishis" de l'Inde Védique à Zarathoustra,
d'Abraham à Moïse, de Jésus à Mohamed.
C'est
par là que l'Occident a aujourd'hui plus que
jamais besoin du message de l'Islam : pour donner un sens à la vie et à
l'histoire, l'Occident a séparé la science de la sagesse, c'est-à-dire les
moyens des fins. Le principal moteur au développement des sciences et des
techniques, dans la
civilisation
occidentale, c'est la volonté de puissance et de profits des individus, des
groupes ou des nations. Les sciences et les techniques ont pour objet, en
Occident, de satisfaire les besoins qui sont communs aux animaux et aux hommes:
se nourrir, se vêtir, se protéger, se défendre ou attaquer. La science
islamique avait pour principal moteur la recherche des "signes" de
Dieu dans la nature et dans l'histoire, pour entendre l'appel et pour en
accomplir les desseins. C'est pour ordonner à cette fin le monde tout entier que
l'homme est non pas le rival d'un autre homme utilisant ses sciences et ses
techniques pour le dominer, mais le Calife de Dieu sur terre pour créer la
beauté d'un monde digne du dessein divin.
De
même que l'Islam ne sépare pas la foi de la science et de la technique, mais au
contraire les unit en un tout indissoluble, ne séparent pas la recherche des
lois et des causes de celle des fins et du sens, ne séparant
pas
le pouvoir que la technique vous donne sur les choses, du devoir de les faire servir
à adorer celui qui en est la source première, de même l'Islam ne sépare pas la
foi de l'économie et de la politique, mais au contraire les unit en un tout
indissoluble, et d'abord en relativisant tout avoir
et
tout pouvoir comme tout savoir par référence au Dieu un et absolu.
Dieu seul possède et Dieu seul commande.
La
conception islamique, ou plus exactement coranique de l'Etat et du droit, est
le contraire exact du droit romain.
La
propriété n'y est pas définie, comme dans le droit romain, et capitaliste, par
le droit d'user et d'abuser.
Dieu
seul possède: la gérance des biens de la terre est une fonction sociale.
L'usage de la propriété est toujours subordonnée à des fins plus hautes que
l'individu et son intérêt privé: telle est l'antithèse entre l'individualisme
et la communauté.
Dieu
seul commande: cela exclut aussi bien la monarchie de droit divin, faisant d'un
prince un lieutenant de Dieu sur la terre, qu'une démocratie fondée sur une
délégation et une aliénation de pouvoir à un élu ou à un parti.
Le
cri de la foi musulmane: Allah ou Akbar, " Dieu est plus grand ",
relativise tout pouvoir, tout avoir et tout savoir. Ce cri est celui de la
liberté véritable. Parce qu'il est l'affirmation de la dimension transcendante
de l'homme c'est-à-dire de son pouvoir permanent de rompre avec les déterminismes
de sa nature, de son passé, de ses instincts ou de ses coutumes, sa possibilité
de les transcender.
Nous
sommes ici à l'autre pôle de la liberté et des types d'Etat qu'elle peut
fonder. Cette autre manière de concevoir et de vivre la liberté découle
directement d'une autre vision de l'homme:
-
ou bien l'homme est, à la pointe de l'évolution des espèces, l'animal le plus
complexe et le plus "évolué".
Sa
différence avec les autres animaux est alors seulement quantitative: son
cerveau comporte plus de neurones, et sa main, plus habile, est devenue
technicienne: il disposera de plus de moyens pour satisfaire ses désirs
animaux, ceux qui lui sont communs avec les autres animaux: se nourrir,
S’abriter,
se reproduire, se défendre. Il sera l'animal qui fabrique des outils et des
armes. Sa liberté se mesurera à sa volonté de croissance, et de puissance, sur
la nature et sur les hommes.
-
ou bien l'homme ne se distingue pas de l'animal par la seule fabrication des
outils et des armes, qui sont sur le prolongement de ses crocs et de ses
griffes, pour satisfaire plus puissamment les mêmes désirs. Seul il construit
des tombeaux et des temples; des tombeaux pour tenter de passer du temps à
l'éternité, des temples pour passer du fait au sens. Et, dans les deux cas,
pour s'interroger sur le sens de sa vie et de sa mort. Car c'est là le problème
spécifiquement humain: pour l'animal il n'existe pas de question sur le sens de
sa vie et de sa mort. Son avenir est déjà inscrit sur le prolongement de son
espèce, de son instinct et de son destin.
Seul
l'homme à ce pouvoir de rupture avec les déterminismes anciens, leurs poussées
et leur passé, et d'inventer, à tout risque, un avenir inédit. L'histoire
humaine n'est pas, à la différence de l'évolution animale, un scénario écrit
d'avance, sans nous, et dont nous n'aurions plus qu'à jouer les rôles éternels.
L'histoire est une création continuée de l'homme par l'homme, avec,
aujourd'hui, si nous nous abandonnons aux dérives suicidaires de notre modèle
de croissance la possibilité technique de détruire toute trace de vie, la possibilité
technique de mettre fin à 3 millions d'années d'histoire humaine, la
possibilité technique d'un pourrissement de l'histoire et d'un capotage de
l'évolution.
Nous
sommes totalement responsables de notre histoire. Tel est le dépôt
divin
que nous avons reçu: Dieu, dans le Coran, dit: "Nous avons proposé ce dépôt
aux Cieux, à la terre et aux montagnes. Tous ont refusé de l'assumer; tous ont
tremblé de le recevoir. Seul l'homme a accepté de s'en charger. Mais il est
injuste et ignorant." (Sourate XXXIII, 112)
Tels
sont les deux pôles de la liberté :
- une liberté animale; simplement dotée de
moyens supérieurs pour satisfaire, de manière plus sophistiquée, des besoins de
consommation, d'appropriation et d'agression, qui sont restés fondamentalement
animaux;
-
ou une liberté divine, qui s'efforce
de répondre aux besoins spécifiquement humains; répondre aux questions du sens de
notre vie et de notre mort, c'est-à-dire à la fois au besoin de rechercher le
dessein de Dieu et de s'y soumettre.
Dans
cette recherche nous disposons des "signes" (ayat) par-lesquels Dieu
nous parle: depuis les phénomènes de la nature jusqu'à la parole des prophètes.
Avec le risque permanent de nous tromper, mais c'est ce risque qui nous fait
homme: la foi commence où finit la raison.
Cette
transcendance est un principe de toute communauté véritablement humaine. Ce qui
caractérise l'Etat de Médine, créé par le Prophète, ce sont précisément ces dimensions
inséparables: transcendance et
communauté.
Le
Prophète, à Médine, à créé un Etat exemplaire: ce n'est plus la communauté
tribale, fondée sur les liens du sang chez les nomades, ou du sol chez les agriculteurs
sédentaires. Ce n'est pas non plus une "cité " ou une
"nation" fondée sur l'unité d'un marché, et d'une histoire, fondée en
un mot sur des "données" biologiques ou géographiques, et par
conséquent, sur la nature et sur le passé. C'est une communauté prophétique, c’ est-à-dire
fondée sur une foi commune en la transcendance de Dieu, et une communauté véritablement
oecuménique, ouverte à 1'Humanité toute entière.
La
communauté de Médine permet ainsi de dégager le dénominateur commun de toute
société "islamique": transcendance,
par opposition à la suffisance de nos sociétés de croissance, où l'avenir n'est
que le prolongement et l'extension quantitative du passé et du présent, et communauté, par opposition à
1'individualisme, qui conduit à la lutte de tous contre tous.
Transcendance
et communauté, ce sont précisément les dimensions humaines et divines dont
l'Occident a aujourd'hui le plus urgent besoin.
Et
pourtant l'objection qui revient le plus souvent chez les intellectuels
occidentaux et à laquelle nous avons à répondre est la suivante: si cette Loi a
été révélée une fois pour toutes dans le Coran, et si Mohamed est le dernier
Prophète, l'Islam ne condamne t-il pas la société et l'Etat à l'immobilisme?
Nous
avons tenté ce commencement de réponse:
Dire
que la Loi d'origine divine, que les versets du Coran sont dictés par Dieu et
ont une valeur absolue ne signifie nullement que nous sortons ainsi de
l'histoire pour figer dans l'absolu chaque précepte énoncé.
Il
y a au contraire, dans le Coran même, un principe de mouvement et de vie.
D'abord
il est dit et répété dans le Coran: "Pour chaque communauté est envoyé un
prophète" (Sourate XIV,4). Pour un musulman, Abraham, Moïse, Jésus, sont
des prophètes de l'islam, comme Mohamed.
Ensuite
il faut rappeler que chaque révélation du Coran, transmise par le Prophète, à
la Mecque ou à Médine, est une réponse divine à un problème concret, et ce
n'est nullement mettre en question le caractère divin de cette révélation que
de la situer à un moment d'une histoire, d'une culture, de la vie d'un peuple.
Dès
que l'Islam s'étendit, après la mort du Prophète, à d'autres aires de
civilisation, et que les structures et les exigences de l'Etat se
diversifièrent, posant des problèmes nouveaux, de grands juristes s'efforcèrent
d'interpréter ("ijtihad") les paroles divines pour faire face à des situations
nouvelles.
Il
n'était pas possible de se contenter de "déduire" de tel ou tel
verset du Coran, les lois d'un Etat qui avait à répondre à des besoins fort
différents de ceux de la communauté de Médine, à la manière dont procède, dans
la tradition catholique Bossuet dans sa "Politique tirée de l'Ecriture Sainte".
Cette "déduction" était tellement illusoire qu'elle produisit
simplement une idéologie de justification de la monarchie absolue, "de
droit divin", de Louis XIV.
Cette
tentative de Bossuet ressemble à celle d'El Marverdi, dans ses "Akham Sultaniyah",
où il fait entrer les structures du pouvoir d'un Empire abbasside en voie de
démembrement, dans la théorie, à partir des textes non du Coran mais de la
tradition.
Il
est au contraire possible, à partir de la révélation coranique, de répondre
dans la voie spécifique de l'Islam, c'est-à-dire sans confondre modernisation avec
occidentalisation - sans imitation des modèles américains ou soviétiques , aux
problèmes posés par la vie et l'histoire d'aujourd'hui.
Ce
n'est pas le Coran, ce n'est pas l'Islam, qui est la cause du conservatisme, du
formalisme, de l'immobilisme, c'est l’intégrisme qui, en Islam, comme partout ailleurs,
dont le christianisme ou le marxisme par exemple, consiste à identifier une foi
ou une doctrine avec la forme
culturelle
ou institutionnelle qu'elle a pu revêtir à telle ou telle époque de son
histoire. Cet intégrisme conduit, dans la religion comme dans la politique, à
imiter et à reproduire des modèles périmés, qui ont parfois répondu, dans le
passé, aux besoins d'autres peuples et d'autres époques, mais qui ne permettent
plus de résoudre les problèmes actuels.
La
tradition juridique, en Islam, reconnaît qu'est permis ce qui n'est pas expréssément
interdit. La tradition n'est pas une loi, mais une source de la loi, et il
appartient à chaque génération de faire l'effort d'interprétation et de
création permettant de résoudre les problèmes inédits
qui se posent à elle, dans l'esprit qui inspira le Prophète dans la création et
le gouvernement de 1'Etat de Médine.
L'Islam
a désormais des possibilités et des perspectives plus grandes encore qu'au
temps ou il atteignit son apogée: devant la double et irrécusable faillite du
modèle américain et du modèle soviétique, il peut redonner une espérance à un
monde menacé, dans sa survie, par ce double échec.
Il
le peut, si, au-delà de tous les intégrismes stérilisants, et qui l'ont
condamné, depuis cinq siècles, à l a décadence, il soit retrouver les principes
vivifiants qui firent sa grandeur :
1°
Au positivisme, réduisant le monde des choses et des hommes à des faits et à
des lois, il peut rappeler l'exigence de la finalité et du sens. A des
technocrates se posant toujours la question du "comment" et jamais
celle du
"pourquoi",
il peut rappeler que la technique pour la technique, la science pour la
science, l'art pour l'art, et la vie pour rien, c'est l'oubli mortel de la
subordination des moyens aux fins. Restaurer cet ordre et l'exigence du
"sens" c'est se souvenir de Dieu.
2°
A 1'individualisme, faisant de l'individu le centre et la mesure de toute
chose, il peut substituer le sens de la communauté, c'est-à-dire d'un monde où
mon centre est dans l'autre.
3°
Au déterminisme qui nous livre aux dérives mortelles et à la
"suffisance" qui, limitant l'homme à l'horizon de ses intérêts
égoïstes, fait de l'avenir une extrapolation quantitative du passé et du
présent, il peut opposer son postulat: casser le cercle de ce qui est, et
ouvrir l'avenir
sur l'infini par son intransigeante affirmation de la transcendance,
et, de rupture en rupture, nous arracher au modèle quantitatif d'une croissance
devenu notre idole et notre faux Dieu.
C'est
dans cet esprit que s'efforce de travailler, à Paris et à Genève, l'Institut
international pour le dialogue des civilisations que j'y ai créé.
A
l'époque actuelle, du fait que la propagande sioniste, terriblement efficace et
organisée en Occident, constitue l'un des obstacles majeurs à la compréhension
du monde arabe et de l'Islam, notre Institut s'est assigné, dans 1'immédiat,
une double tâche: apporter une réponse fondamentale à la propagande sioniste et
donner de l'Islam une image fidèle dans un langage qui permette à l'Occident,
son maximum de rayonnement.
Nous
avons commencé ce travail avec deux ouvrages; l'un déjà paru: "Promesses
de l'Islam"; l'autre déjà écrit mais pas encore publié: "le dossier
d'Israël.Songes et mensonges du sionisme." Ce ne sont que les deux
premières
étapes d'un grand projet pour lequel nous vous demandons votre aide, à la fois
pour assurer une grande diffusion et de multiples traductions à ces travaux, et pour préparer
les suivants.
Voici
les grandes lignes de ces projets:
1.
La propagande sioniste rencontre un échos profond dans le monde ccidental parce
qu'elle a réussi à faire passer pour vérités acquises les prétextes
idéologiques et mythologiques du sionisme.
Cette
propagande est relayée et véhiculée notamment par 1'enseignement
chrétien
qui, traditionnellement, cautionne le thème de la « promesse »,
prétendant donner un fondement biblique et historique à une propriété de droit divin
sur la terre de Palestine, et justifiant, au nom de ce prétendu droit divin, le
mépris des droits humains du peuple palestinien - le thème du
"peuple" élu choisi par Dieu pour donner l'exemple au monde. Les
églises chrétiennes, et avec elles, l'Occident, se considèrent comme héritiers
et
continuateurs
du "peuple élu", solidaires de lui et chargés de la même mission.
Par
cette confusion permanente d'un "Israël biblique" et de l'Etat
moderne d'Israël, celui-ci peut jouer impunément le rôle de mandataire d'un
colonialisme collectif de l'Occident.
Ceci
explique le financement d'Israël qui reçoit de l'extérieur des Etats Unis et du
réseau mondial du sionisme l'essentiel de ses ressources.
Ceci
explique la croyance en Occident, aux légendes sionistes d'un Israël
"fertilisant
les déserts" (le cliché classique de tout colonialisme).
Ceci
explique l'aide inconditionnelle et illimitée qu'Israël reçoit pour son
armement (y compris son équipement nucléaire) qui fait peser une menace
mortelle sur tous les peuples du Moyen Orient.
La
mythologie sioniste sert de justification historico-biblique aux visées
expansionnistes d'Israël, non seulement du Nil à l'Euphrate, mais comme le
proclame Ariel SHARON sur les Dardanelles et sur Suez, sur le golfe et sur le Maghreb.
Cette
politique répond à la volonté de l'impérialisme américain: contrôler (à travers
Israël qui dépend entièrement de lui pour les arabes et l'argent, et qui lui
sert à "tester" la technique de ses armements) à la fois les pétroles du Golfe, la Méditerranée
et ses issues orientales.
Il
devient clair, dans cette perspective, que l'objectif essentiel de cette guerre
est de préparer la suivante.
Notre
première tâche est donc de faire comprendre aux Occidentaux que ce qui est
menacé par l'expansion sioniste ce ne sont pas seulement les Palestiniens ou
les Libanais, mais l'avenir et la paix du monde. Et que la cause arabe est
celle de tous.
2.
Notre travail d'explication sur les buts, les méthodes, et la signification du
sionisme, ne peut pas être seulement politique, mais spirituel: opposer au
racisme tribal du sionisme 1'universalisme de l'Islam.
Notre
but dernier est de montrer aux Occidentaux comment l'Islam, en rendant à
l'homme et à la société leurs dimensions divines de transcendance et de
communauté (comme le Prophète en a donné l'exemple à Médine) peut seul
aujourd'hui ouvrir une voie vers l'avenir en dehors des deux impasses du capitalisme
américain et du totalitarisme soviétique et éviter les affrontements nucléaires
qui conduiraient la planète entière au suicide.
Montrer
que l'Islam peut, aujourd'hui, comme au temps de son apogée, redonner un but et
un sens divins à nos sociétés désintégrées, à nos arts, à nos sciences, à nos
techniques, qui par absence de but, ne sont plus au service de l'homme mais de
sa destruction.
(Pour
ma part - et je crois n'être qu'un cas, parmi tant d'autres, de ce cheminement
- c'est la conscience de cette dérive occidentale conduisant le monde à la
mort, et en même temps, de ces possibilités et de ces promesses de l'Islam qui
m'a conduit à écrire mon dernier livre: "L'Islam habite notre
avenir", à mettre au premier plan la lutte contre l'imposture sioniste, et
à devenir musulman).
3.
Pour mettre en oeuvre ce projet, l'infrastructure existe déjà:
-
pour l'élaboration théorique, l'Institut international pour le Dialogue des
Civilisations a accumulé une riche expérience et établi des contacts et des
échanges avec les grandes institutions culturelles(notamment l’ UNESCO
et l'ALESCO} et avec les meilleurs chercheurs mondiaux.
-
pour la documentation et l'argumentation, les matériaux existent: ceux qui
furent élaborés par le Centre d'Etudes palestinienne de Beyrouth, la Ligue
islamique mondiale, la Conférence islamique, la Ligue arabe, et de nombreux
organismes publics ou privés, notamment à la Haye, à Louvain, à Genève, à
Londres, à Paris.
Nous
proposons de réaliser trois taches spécifiques qui, jusqu'ici, ne sont pas
efficacement remplies:
1°/
Articuler la recherche théorique fondamentale et 1'explication quotidienne afin
que notre éclaircissement sur le sionisme ne vise pas seulement les crimes à
court terme mais ses visées à long terme, son idéologie et sa mythologie, et
que ce travail serve à accroître, dans le monde occidental, la cmpréhension et
le rayonnement de l'Islam.
2°/
Coordonner les initiatives pour multiplier les moyens de diffusion massive de
ces travaux (présence dans la presse occidentale et les radio-télévisions,
édition de livres simples, à la portée de tous, école, où à travers 1'enseignement
de la langue arabe, se diffusent la foi et la culture de l'Islam, organisation
d'expositions ou de festivals, etc ...)
Trois
exemples de possibilités immédiates de diffusion massive de la foi musulmane et
de la culture arabo-islamique en Occident:
- Il
est immédiatement possible de créer, dans la région parisienne, à St Quentin en Yvelines, un centre de prière ou
une mosquée et un foyer de culture, dans un secteur où existe déjà une
population musulmanes de 8 000 personnes, et où l'accord des élus locaux est
acquis.
-
Il est immédiatement possible de donner une impulsion nouvelle et une activité
rayonnante à la "Fondation islamique de Genève" où existe déjà une
magnifique mosquée fréquentée pour les prières du Vendredi, par des centaines
de musulmans, mais dont l'activité de rayonnement religieux et culturel est
quasi nulle.
Sur
un tout autre plan il est possible, dans l'un des pays pétroliers du Golfe, de
créer, à partir du raffinement du pétrole, une ou plusieurs unités de
production de protéines d'élevage permettant de conquérir notamment en Europe,
une place de premier plan dans l'industrie de l'alimentation animale, en
particulier du boeuf alors qu'actuellement la
production de viande, en Europe, dépend étroitement du soja auquel ces
protéines peuvent se substituer. Que l'Europe dépende, dans une large mesure,
des pays pétroliers, non plus seulement pour son énergie mais pour son
ravitaillement modifierait profondément les rapports sur tous les plans entre l’Europe
et les pays arabes.
-
Publier d'urgence le premier ouvrage: "Le dossier d'Israël: songes et
mensonges du sionisme" (dans l'esprit de notre placard publicitaire du
"Monde" du 17 Juin 82) ouvrant une collection légère (genre "Que
sais-je ?") et à forte diffusion.
Pour
l'étape suivante, nous sommes en train de préparer, dans le cadre d'une
collection sur les expressions artistiques du sacré,un volume sur le thème: En
Islam tous les chemins mènent à la mosquée et la mosquée à la prière, où, à
partir du rapport fondamental à Dieu que constitue la prière, nous chercherons à
montrer.à travers un pèlerinage
aux grandes mosquées du monde, le sens de ces grandes prières de pierre que
sont les mosquées, et, à travers 1a
diversité des cultures et des arts que l'Islam a intégrés, l'unité et
l'universalité de sa foi.
Je
pense que c'est là, pour les musulmans d'Occident dont je fais partie, notre
tâche nécessaire.
L'islam,
couronnement de la lignée abrahamique, qui a travers le Judaïsme, le
christianisme et l'Islam, appelle l'homme à rechercher et à réaliser sa fin
suprême, peut une fois encore, faire renaître 1'espérance dans nos
sociétés
occidentales désintégrées par l'individualisme et par un
modèle
de croissance qui conduit le monde entier au suicide.
Nous
n'accomplirons pleinement cette tâche, inch Allah, qu'à condition de n'oublier
jamais qu'être fidèles au foyer des ancêtres, ce n'est pas en conserver les
cendres mais en transmettre la flamme.
Roger
Garaudy
Archives RG. Conférence non datée (années 1980 ?)