25 octobre 2014

Au-delà des partis


Une conception nouvelle de la politique
Aujourd'hui nous pouvons voir que le citoyen est considéré formellement comme un «individu statistique», n'ayant pas plus de lien, sur le plan électoral, avec son voisin territorial, que l'acheteur sur le marché. Les vendeurs de politique (les partis) lui présentent des produits tout faits (les programmes) et utilisent dans leur concurrence toutes les formes du marketing et de la publicité. Ce système des partis politiques est un corollaire de l'économie de marché. La conséquence fondamentale la plus néfaste de ce système de «délégation globale», c'est l'aliénation politique du citoyen à son élu ou à son parti. Rousseau notait déjà dans son contrat social: «le peuple anglais croit qu'il est libre, mais il se trompe cruellement, il n'est libre que pendant les élections des membres du Parlement, dès qu'ils sont élus, il est esclave, il n'est plus rien».
L'électorat est mis en présence de programmes tout faits et n'a plus à répondre que par un choix idéologique entre tel ou tel parti et non pas à contribuer à la solution de problèmes, moins encore à la détermination des buts de la société globale.
Une «démocratie» de ce type, dans laquelle chaque parti a pour préoccupation dominante l'échéance électorale la plus proche est incapable de faire émerger un projet à long terme.

Les partis, qui ont adopté une stratégie électoraliste, n'apportent pas de réponse aux problèmes fondamentaux de notre temps ?
Je prendrai pour exemple la formidable révolte généralisée dans tous les domaines de la vie, de Mai 68.
L'événement était d'autant plus significatif que cette colère ne naissait pas de la misère. En 1968, le monde occidental n'était pas en crise, mais en pleine croissance.
Cette crise n'est pas une crise économique. Elle n'est pas née d'une dépression.
L'aspiration à «une autre vie» se fait, sous des formes parfois apocalyptiques ou confuses, en pleine période ascendante du système, faisant éclater le contraste entre ce nouveau triomphalisme des dirigeants de la société et la prise de conscience de l'absurdité de la vie à l'intérieur de leur système.
Pour la première fois dans l'Histoire de l'Occident, le mouvement de Mai 68 mettait en cause à la fois le modèle de croissance et le modèle de la révolution.
La faillite des deux grands mythes de l'Occident, le mythe libéral et le mythe soviétique, qui débouchait sur cette mise en cause du modèle de croissance et du modèle de révolution, était rendue plus apparente par les luttes des peuples du Tiers-Monde: l'Algérie, le Viet-Nam, la révolution maoïste, etc.
Dans cette crise, au vrai sens du mot, (c'est à dire le moment où l'on juge, le moment de la mise en question et du choix) la notion même de «politique» trouvait, au-delà du jeu des partis, son sens plénier, embrassant tous les aspects de la vie, du travail à la fête, du sexe à la culture.
Le mouvement dépassa si largement les partis que la France connut alors la grève la plus «générale» de son histoire, par le nombre: dix millions de grévistes, et par la diversité des couches sociales qui y participaient, avant que le mot d'ordre en soit donné, et moins encore que soient fixés des objectifs et des perspectives à la dimension des nouvelles espérances.
Après un flotement, à droite, Pompidou et d'autres cherchèrent à temporiser, faire des concessions en attendant qu'il devienne possible de tout noyer dans la mélasse électorale. Cette dernière solution se révéla efficace et permit, une fois de plus, de sauvegarder l'ordre.
Cette triste victoire fut d'autant plus aisée que l'opposition de gauche avait été incapable de prendre en compte les vrais problèmes.
L'aile réformiste, croyant avoir trouvé dans le mouvement des masses l'erzatz d'une
majorité électorale, s'efforça de canaliser la protestation à son profit, et prétendit gérer le mouvement comme on gère une «victoire électorale»: par la politique des dépouilles, c'est à dire en se repartissant déjà les postes.
L'autre aile de l'opposition, le Parti communiste, dès le 3 mai 1968, dans un article de Georges Marchais, au lieu de jouer son rôle d'avant-garde, c'est à dire d'apprendre aux masses à penser clairement ce qu'elles avaient inventé confusément, rejeta en bloc tout ce qui était en train d'émerger du mouvement. Ce que Marx, nous dit Lénine, appréciait par dessus tout: « l'initiative historique des masses», c'est ce que la direction du Parti communiste redoutait par dessus tout. Aucun des mots d'ordre de la rue n'était valable puisqu'il n'émanait pas de la direction. C'est en quoi consiste l'essence du stalinisme: tout pouvoir et tout savoir viennent d'en haut.

1980 lors d'une réunion de l'association "Appel aux Vivants"
Constituer un nouveau bloc historique
La tâche primordiale des partis qui se disaient révolutionnaires eût été en mai de saisir le dénominateur commun des revendications ouvrières et des aspirations des étudiants, des techniciens et des cadres, de la majeure partie des intellectuels afin de constituer un bloc historique nouveau, c'est à dire une union fondée sur une base de principe : la communauté d'une même visée historique.
Mais leur logique interne de reproduction de leur propre pouvoir sur les couches défavorisées de la société française les incita à ne pas tenir compte des mots d'ordre de la rue. De fait, les succès du plan de récupération du mouvement, opéré par la droite, fut tel, la jeunesse ouvrière et étudiante du mois de mai fut si bien reprise en main, que l'heureux héritier de l'habile Pompidou put s'accorder les gants d'accorder le droit de vote à 18 ans sans courir le risque de déséquilibrer le rapport des forces.
La défaite de Mai 6 8 créa un tel mouvement de désillusion que les partis d'opposition crurent la canaliser en ne donnant à leurs troupes une fois de plus, qu'une prochaine perspective d'élections.
Pour que ça change, votez pour nous, disait l'un ; et l'autre de riposter : voter
pour nous, c'est changer la vie.

Tout parti est dogmatique
Le dogmatisme inclut l'inquisition, la torture, etc . . Ce que disait le légat d u Pape à Béziers : «tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens». Pour moi, dogmatisme et violence ne peuvent être dissociés. Par exemple, si je dis «tout ce que je dis de Dieu,  c'est un homme qui le dit» cela n'a rien à voir avec «tout ce que je dis de Dieu, c'est Dieu qui parle par ma voix». La deuxième proposition mène directement à l'inquisition.

Le parti politique n’a plus un rôle politique fondamental
Marx non plus ne croyait pas au Parti. Quand il a fait les statuts de la première Internationale, il a dit: «il ne faut surtout pas qu'il y ait un parti dirigeant».  Les partis constituent, dès l'origine, une délégation et une aliénation de pouvoir, tout comme le Parlement. Ils n'ont de sens que dans la perspective parlementaire et ils sont calqués d'ailleurs sur la Parlement, avec la même caricature de démocratie formelle, déléguée, aliénée: chaque grand parti est le «Parlement» d'une classe ou d'une couche sociale importante [ce denier point n'est manifestement plus exact en 2014 ! - NDLR].

Roger Garaudy
Extrait remanié d’une brochure de l’Association Appel aux Vivants, 1980. 
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