On
dit souvent du Marxisme que c’est un socialisme « scientifique »
par opposition au socialisme « utopique » des Fourier, Saint Simon
etc … En réalité, Marx et Engels ont toujours admis l’influence des
socialistes qualifiés d’ « utopiques » sur leur pensée, tout
comme ils admettent de s’être abreuvés de courants philosophiques qui les
ont précédé, de Epicure à Hegel, en passant par Feuerbach, Fitche, Moses …
ce qui ne les empêche pas d’avoir sur eux un regard critique. Engels écrivait : « Nous,
socialistes allemands, sommes fiers de notre origine, venant non seulement de
Saint Simon, Fourier et Owen, mais aussi de Kant, Fitche et Hegel ».
Remarquons que l’utopie n’est pas, à proprement parler, contraire au
marxisme. Dans la pensée de Marx, l’histoire ne mène pas à un avenir inéluctable,
mais reste ouverte à plusieurs éventualités. L’homme, conscient de son but,
peut envisager un ensemble cohérent de ces éventualités comme support à son
action. Or il se pourrait que de telles possibilités
évolutionnelles ne se concrétiseront pas. Le ou les hypothèses choisies vont
alors s’adresser à un avenir inexistant et les actions qui en découlent
pourront être qualifiées d’utopiques. Malgré cela, elles ne s’opposent
pas au Marxisme, mais représentent des étapes dialectiques à l’approche du
réel. Rappelons que la dialectique marxiste procède par « négation de
la négation » afin de s’approcher, sans jamais l’atteindre, le réel.
Le support de cette « marche » dialectique est l’action, mettant
à l’épreuve les hypothèses formulées sur la base d’éléments « matériels »
déjà éprouvés. La négation obligatoire de ces hypothèses, sous peine de
bloquer la roue dialectique, les couvrent, ici aussi, d’un voile d’utopie.
Autrement dit, regardant vers le futur, toute hypothèse est utopique, car
destinée à être reniée et dépassée. Regardant vers le passé, toute utopie
n’est contradictoire avec le marxisme seulement quand elle perd ses
connections avec le réel, ou plus précisément quand elle trahit la relation
dialectique entre la liberté créative et les contraintes imposées par les
considérations matérielles déjà éprouvées. La pensée et l’action
utopiques, dans ces conditions, basculent dans l’abstraction totale, devenant
exclusivement les fruits d’un Idéal flottant au milieu du firmament de l’Idée
pure …