1965,
c'est la fin du Concile de Vatican II. 1966, c'est la Conférence
mondiale
du Conseil oecuménique des Églises (sur le thème : « Église
et
société ») qui va plus loin encore que Gaudium et Spes de
Vatican
II, dans son ouverture au monde d'aujourd'hui.
Dans ce
commencement de mutation de l'Église, l'impact du
marxisme
comme mouvement et le dialogue avec les marxistes ont
joué un
rôle déterminant.
Les
premiers grands « dialogues » entre marxistes et chrétiens
eurent
lieu à Paris et à Lyon en 1964 et se
poursuivirent à Salzbourg
en
avril 1965 (puis à Herren Cheemsee et à Marianzke-Lazné) à
l'initiative
du Centre d'études et de recherches marxistes que je
dirigeais
alors, et de la Paulus Gesellschaft en Allemagne...
Tous
les protagonistes des nouvelles théologies s'y trouvèrent
rassemblés.
1964,
c'est la parution de la Théologie de l'espérance15
de Jùrgen
Moltman,
née de la confrontation avec le Principe espérance du
marxiste
Ernst Bloch.
1965,
c'est l'année où sort mon livre qui fut
traduit en onze
langues,
préfacé en Allemagne et en Angleterre par le Père Karl
Rahner
qui reprenait dans sa préface le thème du « christianisme,
religion
de l'avenir absolu », qu'il avait avancé dans notre débat à
Salzbourg.
La postface à mon livre, du théologien J. B. Metz, souligne
avec
force que la foi, loin d'être une affaire privée, était un impératif
libérateur
et que la promesse du Royaume fondait une « théologie
négative
du futur ». Il y avait là déjà les thèses maîtresses de sa future
«
théologie politique ».
La même
année, 1965, aux États-Unis, au Divinity Collège de
l'université
de Harvard, j'avais un débat avec le Canadien Leslie
Dewart,
qui avait préfacé l'édition américaine de mon livre et qui
publiait,
en 1966, en réponse à mes thèses : The Future of Belief
(
l'Avenir de la foi). A ce débat participait le
théologien américain
Harvey
Cox, dont paraissait la même année le best-seller, la Cité
séculière.
En
juillet 1965, le jésuite espagnol Alvarez Bolado répercutait en
Espagne,
dans la revue Razon y Fé, le dialogue de Salzbourg et,
quelques
mois après, en mai 1965, l'université catholique de Louvain
m'invitait
(non sans soulever la colère des intégristes belges) à exposer
mes
thèses sur le marxisme et la foi chrétienne.
En
Amérique latine, la réflexion théologique sur le marxisme en
liaison
avec les luttes de libération des peuples allait donner naissance
à la Théologie
de la libération avec l'ouvrage publié sous ce titre en
1971
par le Père Gustave Guttierez, suivi par Hugo Assman,
Leonardo
Boff, Enrique Dussel, Comblin et maints autres théolo
giens.
Il
apparaissait de plus en plus clairement aux partenaires du dialogue
que le
problème des rapports du christianisme et du marxisme
était
mal posé chaque fois que l'Église prétendait jouer le rôle d'un
parti
politique, et que les partis communistes prétendaient jouer le rôle
d'une
Église. Ainsi s'opposait une idéologie à une idéologie, alors
que ni
la foi ni le marxisme ne sont des idéologies. La foi n'est pas une
conception
du monde mais une manière d'agir dans le monde. Le
marxisme
n'est pas une conception du monde mais une méthodologie
de
l'initiative historique. Lorsque le marxisme se transforme dogmatiquement
en
matérialisme dialectique pour faire de l'histoire humaine
un cas
particulier d'une universelle dialectique de la nature, il
dégénère
en une théologie athée. Lorsque l'Église prétend déduire de
l'Évangile
une « politique tirée de l'Écriture Sainte », comme Bossuet,
ou une
« doctrine sociale » comme Léon XIII, elle devient une
force
politique (d'ailleurs conservatrice), et il est parfaitement légitime
de
dénoncer une telle démarche comme « opium du peuple ».
Cette
confusion étant démasquée, le « dialogue chrétien marxiste »
ayant
atteint son objectif n'avait plus d'objet. Il en fut pris acte, en
une
réunion commune, à Genève, au Conseil oecuménique des
Églises,
avec la participation de marxistes français, espagnols et
italiens
et de prêtres catholiques désignés comme observateurs par le
cardinal
Koenig.
On en
arriva à cette conclusion que l'argumentation théorique
ayant
permis une clarification du débat, même si les intégristes des
deux
bords n'en voulaient pas convenir, il s'agissait désormais de
franchir
une deuxième étape : après être passé de l'anathème au
dialogue,
passer du dialogue à une pratique pour la création d'un
avenir à
visage humain.
Le
problème ne se posait plus désormais en termes d'affrontement
mais
d'émulation pour atteindre un but commun : créer pour
l'homme,
et pour tout homme, les conditions d'une pleine responsabilité
de son
histoire.
Par
contre, un autre dialogue pouvait commencer : non plus un
dialogue
entre chrétiens et marxistes, c'est-à-dire un dialogue entre
Occidentaux
qui risquait de plus en plus de devenir « provincial » à
l'heure
de la décolonisation, mais un dialogue des civilisations, pour
faire
reconnaître par l'Occident l'apport indispensable des cultures
non
occidentales pour la création d'un avenir à visage humain.
Roger Garaudy. Extrait de "Appel aux vivants". A SUIVRE ICI