Il
ne s'agit nullement de nier les apports de l'Occident. Il s'agit
de
leur donner leur place, toute leur place, mais rien que leur place,
et
surtout d'ordonner les pouvoirs de la science et des techniques à
des
fins conscientes proprement humaines.
Ainsi
seulement pourra se poursuivre humainement l'épopée
humaine
commencée i l y a trois millions d'années.
Un
cosmonaute, foulant le sol de la lune, écrivait à son retour :
«
Vue d'ici la terre était belle, lumineuse ; elle était une et pacifique
».
Pour la première fois un oeil humain apercevait la terre
dans
sa totalité. Sans frontières, dans un espace sans horizon borné.
Parviendrons-nous
à la saisir ainsi dans le temps ? Dans l'unité
de
son histoire ? Depuis les premières aurores des civilisations,
depuis
les premières incandescences de la pensée et de l'amour, jusqu'à
notre
espérance et notre projet d'unité humaine.
Il
est dès maintenant possible, pour changer fondamentalement
les
rapports sociaux :
*
De créer une nouvelle croissance qui ne soit plus la croissance
broyeuse
des hommes et de leur liberté, une nouvelle croissance
qui
ne conduise plus à un prétendu « équilibre de la terreur », principale
menace
contre la paix et la sécurité des peuples. Une croissance
non
plus quantitative mais qualitative, semblable à celle
qu'une
mère rêve pour son enfant et chacun de nous pour ceux
qu'il
aime. Une croissance au sens où l'entendait Saint Grégoire de
Nysse lorsqu'il écrivait : « Dieu c'est
l'éternelle découverte de l'éternelle
croissance. »
*
D'ouvrir l'Europe au monde et d'abord au « Tiers Monde », en
se
mettant à l'écoute des autres cultures, car les problèmes posés
par
le modèle occidental de croissance sont posés à l'échelle planétaire
et
ne seront résolus que par une concertation planétaire avec
les
peuples, les cultures et les sagesses de trois mondes. C'est l'une
des
conditions primordiales d'une paix véritable, c'est-à-dire sans
injustice
et sans domination.
*
De transformer radicalement l'éducation en ne lui donnant
plus
pour objet d'adapter l'homme aux besoins de l'ordre existant
mais
d'inventer le futur : il faut pour cela apprendre à l'enfant que
le
monde n'est pas une réalité toute faite, inexorable, mais une
oeuvre
à créer.
La
première tâche des « intellectuels » est de démasquer le langage
menteur
des manuels scolaires, des « médias » qui servent à
l'Occident
pour maintenir son hégémonie par les idéologies trompeuses
de
leur « modernité ».
Il
n'est pas un seul des postulats de cette prétendue modernité
qui
ne soit un mensonge.
Et
d'abord ceux de la démocratie, de la défense des droits de
l'homme,
de la liberté.
La
démocratie a toujours été le camouflage d'une minorité, des
propriétaires
d'esclaves aux maîtres de la richesse.
Ce
que l'on appelle la « démocratie athénienne » au temps de
Périclès
et que l'on donne comme exemple, (comme la « mère des
démocraties
»), était le gouvernement de 20 000 citoyens libres sur
100
000 esclaves dépourvus de tout droit. Il s'agissait d'une oligarchie
esclavagiste
baptisée « démocratie » !
Démocratie pour les maîtres, pas pour
les autres.
La
Déclaration d'indépendance des États-Unis proclame l'égalité
des
droits pour tous les hommes. Après cette déclaration solennelle,
elle
maintient l'esclavage pendant plus d'un siècle, et la discrimination
à
l'égard des Noirs jusqu'à nos jours.
Démocratie pour les Blancs, pas pour
les Noirs.
La
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de la
Révolution
française affirme superbement : « Tous les hommes
naissent libres et égaux en droits »,
mais la Constitution censitaire,
dont
elle est le préambule, exclut du droit de vote les 3/4 des
Français
parce que leur pauvreté en fait des « citoyens passifs ».
Démocratie pour les riches, pas pour
les pauvres.
Il
en est de même pour les « droits de l'homme ».
Ils
sont inscrits dans la « Déclaration Universelle des Droits de
l'homme
» des Nations Unies, en 1948.
Et
tous sont des abstractions en contradiction flagrante avec la
réalité.
Pour ne retenir que deux exemples :
-
que signifie proclamer « le droit au travail » quand le système
engendre
des millions de chômeurs et ne cesse d'en accroître le
nombre
?
-
que signifie le « droit de vote » lorsque, depuis longtemps, le
billet
de banque a supplanté le bulletin de vote ?
Pas
seulement parce qu'aux États-Unis, par exemple, i l faut 500
millions
de dollars pour mener une campagne électorale pour être
sénateur
ou « représentant », mais parce qu'en tous les pays la
richesse
permet d'acheter les deux instruments essentiels du pouvoir
:
les médias pour manipuler les opinions publiques, et les
industries
d'armement, pour les convaincre en dernier ressort.
Cette
« Déclaration » est « universelle » !
Tout
le monde peut se réclamer des droits de l'homme : l'égalité
est
parfaite devant la loi. Le chômeur et le milliardaire ont un droit
égal
à fonder un journal ou à créer une chaîne de télévision. Cette
égalité
devant la loi est telle qu'il est également interdit à ce milliardaire
ou
à ce chômeur de voler un pain : ils seront passibles des
mêmes
peines.
Il
est d'ailleurs remarquable que ceux qui s'autoproclament
«
défenseurs des droits de l'homme » à l'échelle mondiale, par
exemple
le G7 (le gang des 7 pays les plus riches du monde) qui
réunit
à Lyon (1996) ses dirigeants pour « lutter contre le terrorisme
»,
soit constitué par les chefs des États les plus « terroristes » du
monde
et les pires violeurs des droits de l'homme. Non seulement
par
leur passé lointain (le massacre des Indiens d'Amérique, la
Traite
des esclaves noirs, le colonialisme en général), mais par leurs
crimes
proches, comme les semeurs d'Apocalypse au Viêt-Nam
avec
le napalm, les fournisseurs d'argent, d'armes et d'instructeurs
aux
tortionnaires du Rwanda et qui sont ainsi responsables de
400
000 morts - les coupables actuels de la mort de 250 000 enfants
de
moins de cinq ans dans les hôpitaux (chiffre de l'Organisation
mondiale
de la santé) et d'un nombre de même grandeur à l'extérieur
par
le maintien de l'embargo en Irak. Et, nous ne le répéterons
jamais
assez souvent, ceux dont le modèle de croissance « libéral »
impose au reste du monde l'équivalent
de morts d'un Hiroshima
tous les deux jours.
Ces
étranges professeurs de morale donnent au monde
l'exemple
de « l'intégrisme » le plus radical.
L'intégrisme,
c'est la prétention de posséder la vérité absolue et,
par conséquent, de s'arroger le droit (et
même le devoir !) de l'imposer
aux
autres. L'exemple le plus parfait de l'intégrisme, c'est le
colonialisme,
dont le double prétexte idéologique fut d'abord
«
l'évangélisation » pour imposer au monde sa propre conception
de
la religion, les militaires et les marchands se chargeant du reste,
c'est-à-dire
du massacre et de l'exploitation. Puis avec les mêmes
exécutants,
quand la religion fut en recul, l'apport au monde de sa
«
modernité ».
Quand
le colonialisme s'unifia sous la direction de États-Unis, le
«
nouvel ordre international » ne fut rien d'autre que la perpétuation
de
l'ancien désordre colonial, au nom, désormais, du « libéralisme
économique
totalitaire » rendant plus efficace encore la domination
et
la décimation du monde, mais par des moyens économiques
(sans
exclure la destruction militaire). Après l'abolition de
«
l'apartheid » en Afrique du Sud, le sionisme israélien, qui en fut
le
meilleur allié, est le dernier représentant du colonialisme classique,
c'est-à-dire
racial.
Les
autres intégrismes ont été engendrés par une révolte contre
ces
intégrismes fondamentaux de l'Occident et de ses complices,
(d'Israël
à l'Arabie Saoudite,
de l'Iran du Shah au Zaïre de
Mobutu).
La
« Révolution culturelle » de Chine fut le premier exemple de
rejet
en bloc de l'Occident, avec ses excès (depuis la répression brutale
jusqu'à
« Beethoven, musique bourgeoise » !).
L'Iran
de Khomeyni a constitué un phénomène semblable de
rejet
d'un mode de vie (et aussi de torture et de mort) étranger à sa
culture
plusieurs fois millénaire.
Tous
les autres « intégrismes » (avec leurs excès, et souvent leurs
archaïsmes),
sont des réactions aux intégrismes fondamentaux de
l'Occident
pour défendre leur identité. Cette réaction est souvent
passéiste
parce qu'en face de l'invasion culturelle elle rêve d'un âge
d'or
antérieur à cette agression, et débouche ainsi rarement sur un
véritable
projet d'avenir.
Roger Garaudy
Les Etats-Unis, avant-garde de la
décadence, pages
107 à 112