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Je me suis, depuis, colleté (le mot n’est pas excessif ; quiconque, n’ayant pas en poche un doctorat de philosophie, auquel auraient succédé plusieurs années de pratique de cette discipline, a tenté de pénétrer la pensée de Hegel, en conviendra aisément) à plusieurs reprises, avec l’œuvre de ce philosophe : « Phénoménologie de l’esprit », dans deux traductions différentes (je ne pratique pas l’allemand) ; « Encyclopédie des sciences philosophiques » ; « Principes de la philosophie du droit ».
J’estimais être parvenu à une assez bonne compréhension de la pensée de ce philosophe et me préparais à rédiger une brève synthèse de ce qui me semblait devoir en être retenu ; ne serait-ce que, à titre d’exercice, pour vérifier que j’étais enfin parvenu à en pénétrer, sinon toutes les subtilités, du moins l’essentiel ; et m’assurer que j’étais capable d’en apprécier la portée, savoir sa place dans l’histoire des idées ; quand je remis la main sur le « Hegel » de R. Garaudy, et décidai de le lire.
Cette seconde tentative de lecture, une trentaine d’années après la première, s’est avérée, cette fois-ci, particulièrement fructueuse. J’ai d’abord constaté, avec une certaine satisfaction, que, pour l’essentiel, je dis bien pour l’essentiel, j’étais parvenu à une assez bonne compréhension de l’œuvre monumentale de Hegel ; rien de miraculeux à cela ; simplement, si j’avais dû constater le contraire, il m’aurait fallu, non sans dépit, admettre que je tirerais un plus grand bénéfice de la lecture de romans policiers (il en est de fort bien écrits ; et de très distrayants), que de la fréquentation des grands penseurs.
On voudra bien pardonner cette trop longue digression qui aura pu laisser l’impression que l’auteur de ces quelques mots entretiendrait la sotte prétention d’intéresser qui que ce soit aux faits et gestes de sa propre (insignifiante) personne ; il est temps d’en venir au fait, et c’est un fait patent que la lecture de l’ouvrage que Roger Garaudy a consacré à Hegel ne peut pas laisser indifférent qui s’est, par ailleurs, déjà mesuré aux textes du philosophe… lequel, soit dit en passant, a tant admiré Napoléon (ce qui n’est évidemment pas ce qu’il a fait de mieux) ; et auquel ce dernier a, probablement en retour, accordé de si grands, et si respectueux, hommages (ne dit-on pas que les soldats qui entraient dans Iéna, après la victoire éponyme remportée en octobre 1806 par la France contre la Prusse, auraient été invités par l’empereur à recouvrir de feutre leurs tambours pour troubler le moins possible la méditation du philosophe ?).
J’ai pu constater que Roger Garaudy a offert à ses lecteurs, dans un ouvrage de taille relativement modeste (200 pages), dans un style clair, précis, dépourvu de toute envolée lyrique, une synthèse parfaite d’une œuvre qui, pour n’être pas, à proprement parler, impénétrable, n’en est pas moins difficile à maîtriser dans son ensemble. Aucune des facettes de cette pensée riche en nuances n’est omise ; toutes les subtilités sont rendues directement accessibles ; tout devient cohérent ; chaque pièce du puzzle trouve sa place. Page après page, on assiste, stupéfait, à la démonstration des capacités extraordinaires d’une intelligence sans faille qui se montre capable de rassembler la totalité d’une pensée profonde, riche, infiniment complexe, et de la restituer sous une forme assimilable par tous ; en tout cas, par tous ceux que la philosophie intéresse ; et à la seule condition qu’ils se soient au préalable confrontés avec les textes de Hegel lui-même.
Alors reviennent à l’esprit (de qui est assez âgé pour les avoir vécus) ces évènements tragiques qui ont jalonné la vie de R. Garaudy (ses démêlés avec le parti communiste ; son adhésion au christianisme ; les accusations de révisionnisme ; sa conversion à l’Islam et, pour finir, ses déconvenues avec cette religion), et l’opprobre qu’ils lui ont valu.
Cette question, qu’on ne peut esquiver, surgit ensuite: que pèsent les difficultés, aussi nombreuses fussent-elles, qu’une intelligence avérée, supérieure, incontestable, comme celle de Roger Garaudy, a pu rencontrer pour s’inscrire dans l’existence, quand on les confronte à sa production intellectuelle ? De la même façon comment ose-t-on reprocher à l’auteur de « Sein und zeit » (Heidegger) d’avoir adhéré au parti nazi, et partant comment ose-t-on tenter de jeter le discrédit sur son œuvre, alors que sa contribution à une meilleure compréhension de ce que sont l’homme et son monde est inestimable ? Ne serait-ce pas aussi stupide que de prétendre faire le procès de la pensée de Hegel parce qu’il fut un admirateur de Napoléon ?