13 juillet 2013

L'article du "Monde" de 1982 et le jugement de 1987



le sens de l'agression israélienne
( a r t i c l e publié d a n s " L e M o n d e " d u 1 7 j u i n 1 9 8 2 ) e t c o n t r e

l e q u e l  l a " L I C R A " p o r t a  p l a i n t e  en  j u s t i c e  c o n t r e  l e

D i r e c t e u r  d u  j o u r n a l  Jacques F a u v e t , e t les a u t e u r s de

l ' a r t i c l e )

La nouvelle agression d'Israël : l'invasion du Liban, n'est qu'une étape dans la
logique de la politique sioniste depuis trente-quatre ans, dont le but clairement
défini est l'expulsion ou la suppression du peuple palestinien et la création de
ce que Ben Gourion appelait le "Troisième Royaume de David", le "Grand
Israël", du Nil à l'Euphrate. Alors que l'O.L.P. n'a pas pour objectif de "jeter à la
mer" le Peuple israélien, mais de mettre fin aux usurpations de l'Etat israélien.
La sécurité d'Israël n'est qu'un prétexte ; la volonté de conquête dénoncée par
le général de Gaulle en 1967 est la réalité.
Qu'il s'agisse d'un prétexte est évident lorsque, même devant le plan de paix
fort modéré du prince Fahd, Begin déclare "Israël rejettera le plan Fahd même
si l'Arabie Séoudite reconnaissait l'existence d'Israël."

Le but : l'expansion sans fin
La réalité des visées expansionnistes est évidente lorsque le numéro deux
israélien, le général Sharon, ministre de la guerre, proclame, en décembre
1981 : "Dans les années qui viennent la sphère des intérêts stratégiques d'Israël
ne s'étend pas seulement aux pays arabes de la Méditerranée, mais à tout le
Proche-Orient et elle doit s'étendre à l'Iran, au Pakistan, au Golfe, à l'Afrique et
à la Turquie.»
La logique du sionisme est la guerre permanente. S'il atteignait pleinement son
objectif : amener en Palestine tous les "Juifs" du monde (douze millions), il
vouerait Israël à une lutte permanente pour "l'espace vital". Le sionisme
réaliserait le rêve des pires antisémites, de Drumont à Hitler : enfermer tous les
"Juifs*' dans un ghetto mondial. L'antisémitisme et le sionisme son ainsi frères
jumeaux : même définition raciste du "Juif, même objectif de ghetto, et même
inévitable résultat : par cette volonté de rupture avec les nations et la politique
d'expansion et d'annexion qu'implique un prétendu "retour", soulever
finalement la haine de l'opinion mondiale.
Cette politique sioniste de l'Etat d'Israël a conduit déjà à la spoliation de la
terre des Palestiniens, à la destruction de centaines de villages, à l'expulsion par
la terreur, à la répression de centaines de milliers de Palestiniens d'un territoire
qui comptait, au début du siècle, 500 000 Palestiniens, dont 25 000 israélites, et
à chasser de Jérusalem la plupart de ses chrétiens. Ben Gourion, dans sa
préface à 1' "Histoire de la Haganah", publiée par l'organisation sioniste
mondiale, écrit : "Dans notre pays, il n'y a de place que pour des Juifs. Nous
dirons aux Arabes : Poussez-vous, et, s'ils résistent, nous les pousserons par la
force." Le 18 juillet 1948, au comte Bernadotte, venu demander de laisser
rentrer les Palestiniens dans leurs pays, Ben Gourion répondait : "Nous devons
tout faire pour qu'ils ne reviennent jamais." Pour avoir tenté de faire prévaloir
la justice contre ce racisme, le comte Bernadotte, à la veille de déposer son
plan de médiation, fut assassiné par les terroristes israéliens à Jérusalem, le 17
septembre 1948.

Les moyens : le terrorisme d'Etat
Les objectifs du sionisme furent invariablement poursuivis par les dirigeants
israéliens avec les moyens du terrorisme.
I - Massacres : depuis Deir Yassin, l'Oradour Palestinien, commandé par Begin,
chef de l'Irgoun, ou 254 personnes, femmes, enfants, vieillards, furent
massacrés pour contraindre, par la terreur, les populations palestiniennes à
l'exil, jusqu'aux enfants de Cisjordanie, jetant des pierres aux troupes
d'occupation, et froidement abattus par balles à bout portant, en avril 1982.
II - Assassinat des dirigeants de la résistance palestinienne à l'étranger par les
services du Mossad (Service secret israélien) ordonné par Golda Meir en 1972.
Ainsi fut abattu parmi tant d'autres le représentant de l'O.L.P. : Waël Zouaiter à
Rome, le 16 octobre 1972. Golda Meir déclarait alors à la Knesset : "Tout ce que
je puis dire c'est que les balles ont vraiment atteint leur cible." La cour d'assises
de Rome, dans son verdict de novembre 1981, conclut : "Ce crime est le fait
d'une politique préméditée... conduite... par une organisation appartenant à
l'Etat d'Israël." Ce n'est qu'un cas suivi de tant d'autres.
Begin peut se vanter d'être au monde l'un des terroristes qui a tué le plus
d'êtres humains depuis le temps ou il faisait sauter l'état-major anglais à l'Hôtel
du Roi David, à Jérusalem, le 22 juillet 1946, faisant 200 tués et blessés, depuis
son massacre de Deir Yassin le 9 avril 1948 jusqu'à ses attentats, le 2 juin 1980,
contre les maires de Cisjordanie : Karin Khalaf, maire de Ramallah, et Basan
Chakaa, maire de Naplouse, qui dut être amputé des deux jambes, et les
fusillades d'enfants de Cisjordanie en avril 1982. Il est vrai que, de Ben Gourion
en 1954 à Golda Meir en 1972 et à Shimon Pères, chef de "l'opposition
travailliste" se solidarisant avec l'invasion de Liban en 1982, la même politique
de force est mise en oeuvre par tous les dirigeants israéliens.
L'on peut mesurer la valeur du prétexte "représailles contre le terrorisme"
invoqué pour justifier l'invasion du Liban, alors que l'agression était
minutieusement préparée depuis des mois.
Dans l'attentat contre l'ambassadeur d'Israël en Angleterre, non seulement :
aucune preuve ne permet d'attribuer le crime à l'O.L.P., mais celui qui le
revendique, Abou Nidal, est celui-là même qui projetait d'assassiner Yasser
Arafat.
Ajoutons à ceci un terrorisme à l'égard des "Juifs" eux-mêmes. Les dirigeants
israéliens n'ont pas hésité, en 1950, à multiplier les attentats en Irak contre les
juifs, et même à lancer une grenade dans la synagogue Shem-Tov à Bagdad,
tuant trois personnes et en blessant des dizaines pour convaincre les "Juifs"
qu'en danger en Irak ils devaient émigrer en Israël, comme en témoigne le
quotidien israélien Yedi'oth A h a r o n o t h du 8 novembre 1977.
III - Guerres préventives. Qu'il s'agisse de la "guerre des six jours" où, à la
manière des fascistes japonais, détruisant à Pearl Harbour la flotte américaine
sans déclaration de guerre, l'armée israélienne, sans déclaration de guerre,
détruisit au sol l'aviation égyptienne, au bombardement, en plaine paix, de la
centrale expérimentale irakienne de Tamouz, ou des bombardements de
Beyrouth et de l'invasion du Liban.
IV - Annexion enfin de Jérusalem et du Golan syrien, comme Hitler annexait les
Sudètes. Les Européens acceptent le fait accompli. A Munich cela a conduit à
l'invasion de la France comme Camp David à l'annexion de Jérusalem et du
Golan et à l'invasion du Liban. Les dirigeants de l'Europe occidentale, dans leur
servilité à l'égard de Reagan, à l'exception de la Grèce et de l'Autriche, se font
complices de ce nouveau crime contre la paix.

Le financement d'Israël
Car Israël ne pourrait se livrer à aucune agression sans l'appui inconditionnel et
illimité des Etats-Unis. Dès les premières années de sa création, Israël a eu pour
moins de deux millions d'habitants, selon l'aveu même du sioniste Sapir (The
Israël E c o n o m i s t , de septembre 1967) plus de la moitié de ce qu'ont reçu deux
cents millions d'Européens au titre du plan Marshall : 7 milliards de dollars,
c'est-à-dire, à cette époque, plus que le revenu national de l'ensemble des pays
arabes limitrophes (Egypte, Jordanie, Liban et Syrie). Dans les années qui
suivirent, l'Etat d'Israël a eu, pour trois millions d'habitants, plus d'aide
financière que trois cents millions d'habitants du tiers-monde. La seule
assistance américaine actuelle se monte à 3 milliards de dollars, dont les deux
tiers affectés à l'armement (sans parler des collectes mondiales du réseau
sioniste, c'est-à-dire plus de 1 milliard de dollars par an pour la seule
organisation américaine). L'assistance extérieure dépasse le revenu national
israélien.
Ce déferlement d'aide financière extérieure explique le prétendu "miracle
israélien" faisant "fleurir les déserts". Ceci d'ailleurs est pure propagande car
l'Etat d'Israël n'est nullement arrivé dans un désert. La Palestine, lorsqu'elle
était peuplée de cinq cent mille Palestiniens, dont vingt-cinq mille israélites
seulement, était largement exportatrice, surtout de fruits.
Cette assistance financière et militaire gigantesque explique aussi les
prétendues "prouesses militaires" d'Israël, gorgé des armements les plus
sophistiqués des Etats-Unis, qui ont ainsi un mercenaire exceptionnel pour
dominer le Proche-Orient, du Nil au Golfe pétrolier et à l'Euphrate, et du
Caucase aux Dardanelles. L'on ne saurait imaginer plus parfaite concordance
entre les visées dominatrices des Etats-Unis et l'expansion israélienne, qui
constituent un bloc unique.
La même profusion financière explique l'extraordinaire hégémonie du lobby
sioniste sur l'ensemble des médias dans le monde, de la presse à la télévision,
du cinéma à l'édition. Le général de Gaulle, en 1969 déjà, dénonçait cette
"influence excessive".
Cette maîtrise de l'information et de la propagande israélienne et sioniste à
l'échelle mondiale assure un redoutable conditionnement de l'opinion jusqu'à
faire accepter l'inacceptable : Israël viole une résolution de l'O.N.U., le veto
américain paralyse toute velléité de sanction contre l'agresseur.

L'argument de l'holocauste
L'on exploite ainsi sans vergogne la mauvaise conscience des Européens à qui
l'on fait croire, selon la plus pure tradition colonialiste, que l'on doit expier
indéfiniment les crimes d'Hitler aux dépens des Arabes. Nahum Goldman,
l'ancien dirigeant du mouvement sioniste, et président-fondateur du Congrès
juif mondial, dans son message de Nouvel An 1982 à la communauté juive,
mettait sagement en garde Israël : "Invoquer l'Holocauste pour excuser les
bombardements du Liban, comme le fait M. Begin, est une profanation du mot
et une banalisation de la réalité de cet holocauste, qui ne saurait en aucun cas
justifier des actions politiquement et moralement indéfendables."

L'argument historico-biblique
Le deuxième argument consiste à revendiquer, au mépris des droits de
l'homme, un "droit divin" de propriété sur la Palestine au nom des thèmes
bibliques de l'Alliance, de la Terre Promise, et du Peuple Elu. Moshe Dayan
disait clairement en août 1967 : "Si l'on possède le livre de la Bible et si l'on se
considère comme étant le peuple de la Bible, on devrait posséder également
les terres bibliques." Dans cette perspective s'inscrivent aujourd'hui les
agressions et les annexions successives de Menahem Begin.
La mythologie sioniste réduit ainsi la vision biblique à une religion tribale,
étroitement nationaliste et chauvine, au service de la politique d'agression
d'Israël.
Il est significatif que les sionistes ne se réfèrent pas au grandiose prophétisme
d'Amos, d'Ezéchiel, ou d'Isaïe, ouvrant la voie à l'universalisme, mais aux seuls
textes prônant la conquête de Canaan et l'extermination sacrée.
Il serait étrange de prendre à la lettre les textes concernant la promesse et de
ne pas retenir tous les autres, y compris ceux qui en découlent, sur les moyens
d'accomplir la promesse, fût-ce par la spoliation et le massacre. Cette logique
est implacable.
Les dirigeants sionistes israéliens en ont parfaitement conscience :
l'appropriation de la Terre Promise se légitime par tous les moyens. Dans cet
esprit sont dressés, dès l'école, les jeunes israéliens. Lorsque le psychologue
Tamarin, de l'Université de Tel-Aviv, fit circuler dans les écoles 1.066
formulaires rappelant l'extermination des populations de Megiddo et de
Jéricho racontée dans la Bible au Livre de Josué, de 66 à 95 % des écoliers et
écolières, suivant les établissements, répondirent que Josué avait bien fait
d'exterminer tous les habitants, ajoutant qu'il était bon d'agir avec les Arabes
comme Josué avec les Cananéens. Pour avoir ainsi démasqué le visage de sa
société, le professeur Tamarin fut chassé de son poste à l'Université.

Le racisme
Toujours selon la même logique, si l'on veut prendre à la lettre, comme
authentiques et impératifs, les textes de la promesse, il n'y a aucune raison de
ne pas accepter avec eux les stipulations concernant la pureté de la race du
"peuple élu", bénéficiaire de la promesse de la terre et de la bénédiction de la
descendance, c'est-à-dire celles d'Esdras et de Néhémie disant : "Lorsqu'ils
eurent entendu cette loi, ils séparèrent d'Israël tout homme de sang mélangé."
Le législateur nazi des lois de sang de Nuremberg écrivait dans son préambule :
"Le modèle qui s'est tenu devant mes yeux tout au long de la rédaction de ces
décrets est celui des lois d'Esdras et de Néhémie, les premières lois jamais
édictées pour la protection de la pureté raciale."
Haïm Cohen, qui fut juge à la Cour suprême d'Israël, constate : "L'amère ironie
du sort a voulu que les mêmes thèses biologiques et racistes propagées par les
nazis et qui ont inspiré les infamantes lois de Nuremberg, servent de base à la
définition de la Judaïcité au sein de l'Etat d'Israël." (voir Joseph Badi :
F u n d a m e n t a l Laws of the State of Israël. N. York, i960, P. 156). Est en effet
considéré comme Juif, à Tel Aviv comme à Nuremberg, quiconque est né d'une
mère Juive.
La postérité d'Abraham est ainsi définie, d'une manière raciste, non par la
communauté de la foi, mais par la continuité du sang.
Comment des chrétiens peuvent-ils accepter sous prétexte de reconnaître la
validité de la promesse, la logique sanglante de ses conséquences ? Comment
peuvent-ils isoler la promesse tribale de la terre à des nomades en voie de
sédentarisation (promesse et alliance que l'on retrouve, à la même étape de
leur histoire, chez tous les peuples et tous les dieux du Moyen-Orient,
Sumériens ou Hittites) de l'ensemble biblique plus vaste où la promesse
s'accomplit, non plus sous une forme tribale et nationaliste, mais universaliste :
la "terre sainte", c'est le monde entier où se joue le mystère du salut, et où il
n'y a plus des élus et des exclus, "il n'y a plus ni Grecs, ni Juifs."
Nous savons assez , et plus encore depuis Hitler, ce que coûtent à l'humanité
les prétentions d'un "peuple élu". En 1972, Vorster le premier ministre sudafricain,
célèbre par le racisme sauvage de l'apartheid, proclame lui aussi, dans
l'esprit du plus archaïque colonialisme : "N'oublions pas que nous sommes le
peuple de Dieu, investi d'une mission."
L'argumentation pseudo-biblique est d'autant plus inacceptable que la plupart
des Israéliens et des sionistes qui en abusent ne sont pas des croyants. La
"Terre de la promesse" est donc pour eux un slogan de propagande chauvine
et non un acte de foi.
Ceci nous donne un critère infaillible pour ne pas confondre, à la manière des
antisémites, sous le nom de "Juif, le judaïsme, le sionisme et l'Etat d'Israël.
Si nous écartons l'absurdité biologique et historique de la notion de race, il
devient clair qu'un Juif est un homme qui a foi dans l'une des plus hautes et
des plus respectables religions, alors qu'un sioniste est un nationaliste
aujourd'hui solidaire des agressions de l'Etat d'Israël. Notre condamnation du
sionisme est inséparable de notre lutte contre l'antisémitisme.
Nous ne pouvons donc céder au chantage et au terrorisme intellectuel d'un
groupe de pression tout-puissant en Occident, traitant d'antisémite et
d'héritier des nazis quiconque n'accepte pas la politique d'Israël.
A des chrétiens trompés par cette manipulation idéologique, il importe de
redire et de souligner que, précisément parce que le problème de la Palestine
n'est pas un problème théologique mais un problème politique, il est
nécessaire de dénoncer l'imposture de ce travestissement religieux d'un
problème politique et d'une politique colonialiste et raciste d'appui aux
revendications territoriales de l'Etat d'Israël au nom de la mythologie sioniste.

Que faire ?
De ce résumé très sommaire d'un dossier écrasant, et jusqu'ici étouffé au
niveau des médias de masse par le réseau sioniste, l'on peut esquisser les
conclusions suivantes :
1° Juridiquement, l'Etat d'Israël n'a été admis comme membre de l'O.N.U. qu'à
deux conditions : respecter les frontières fixées en 1949 et respecter le statut
de Jérusalem. Ces deux clauses n'ont cessé d'être violées. Israël n'a donc pas sa
place dans une organisation internationale dont il méprise et viole
systématiquement les décisions depuis un quart de siècle.
2° Nous ne demandons pas de poursuivre l'escalade de la violence et de la
guerre dont Israël donne l'exemple . L'objectif ne sera atteint ni par des
représailles, ni par des guerres de revanche mais par un boycott vigoureux : ne
rien acheter ni vendre à Israël jusqu'à ce que les dirigeants israéliens
reconnaissant l'O.L.P. comme interlocuteur pour créer un Etat palestinien
totalement indépendant qui pourrait vivre en coexistence fraternelle avec des
Israéliens débarrassés de la malédiction sioniste.
Le général de Gaulle donna un remarquable exemple lorsque, après avoir mis
en garde Israël contre une éventuelle agression, le 2 juin 1967, la France ne se
contenta pas de protester contre la guerre de six jours mais mit l'embargo sur
tout matériel destiné à Israël.
Les gouvernements socialistes grec et autrichien ont suivi la même voie.
Qu'attend le gouvernement français pour en faire autant ?
Exiger que l'Etat d'Israël accepte enfin de se conformer aux décisions des
Nations unies et que les Etats-Unis cessent d'opposer leur veto aux décisions
de la communauté internationale.

Roger Garaudy,
Le Père Michel Lelong,
Le pasteur Etienne Mathiot.

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Arrêt ( i n  e x t e n s o ) d e l a C o u r d e C a s s a t i o n  c o n f i r m a n t  les

j u g e m e n t s  d u T r i b u n a l d e G r a n d e  I n s t a n c e  e t  d e  l a  C o u r d ' A p p e l,

e t  c o n d a m n a n t l a " L I C R A " , a t t e n d u  "q u ' i l  s ' a g i t de l a

c r i t i q u e  l i c i t e  de  l a  p o l i t i q u e q u i s e r a i t pratiquée p a r u n

E t a t , de l'idéologie q u i l ' i n s p i r e , e t  n o n  de  p r o v o c a t i o n

r a c i a l e " .

N°84-90.888 C.S 4Novembre 1987

M. BERTHIAU conseiller doyen faisant fonction de président,
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique,
tenue au Palais de Justice, à PARIS, le quatre novembre mil neuf cent quatre
vingt sept, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller DARDEL, les observations de Me CHOUCROY,
de la société civile professionnelle Philippe et Claire WAQUET et de Me
FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général
CLERGET;
Statuant sur le pourvoi formé par :
• LA LIGUE INTERNATIONALE CONTRE LE RACISME ET
L'ANTISEMITISME (LICRA), partie civile,
contre un arrêt de la cour d'appel de PARIS, llème chambre, en date du 11
janvier 1984 qui, dans des poursuites contre Jacques FAUVET, Roger
GARAUDY, Michel LELONG et Etienne MATHIOT pour provocation à la
discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à
raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, à une race ou a une
religion déterminée ainsi que pour diffamation envers un groupe de personnes
à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une
race ou une religion déterminée, statuant sur les seuls intérêts civils, a débouté
la partie civile de sa demande ;
Vu les mémoires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 24 alinéa 5 de
la loi du 29 juillet 1881 modifié par la loi du 1er juillet 1972, de l'article 573 du
Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a dit que les passages dénoncés dans sa citation par la
Liera ne contenaient pas les éléments d'une infraction punissable ouvrant droit
à réparation pour la partie civile ;
"au motif, d'une part, que le premier passage reproché, en rapport avec le
financement d'Israël, est le suivant :
"La même profusion financière explique l'extraordinaire hégémonie du lobby
sioniste sur l'ensemble des médias du monde, de la presse à la télévision, du
cinéma à l'édition. Le Général de Gaulle en 1969 déjà, dénonçait cette
"influence excessive". Cette maîtrise de l'information et de la propagande
isrsélienne et sioniste à l'échelle mondiale assure un redoutable
conditionnement de l'opinion jusqu'à faire accepter l'inacceptable" ;
"que ce texte vise expressément «le lobby sioniste» et la «propagande
isrsélienne et sioniste» dont il dénonce la puissance et les dangers, que «la
même profusion financière» est relative à l'aide financière en provenance des
Etats-Unis évoquée par les phrases qui précèdent et que la Cour ne peut y voir
la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence envers un groupe de
personnes, à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une
nation, une race ou une religion déterminée ;
"alors que, d'une part, il résulte des termes mêmes du passage reproché, une
mise en cause de la nation israélienne ; que, dès lors, en se bornant à écarter la
constitution du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la
violence envers une nation, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa
décision ;
"alors, d'autre part, que, dans ses conclusions prises devant la Cour, la Liera
avait soutenu que la redondance constituée par la formule «propagande
israélienne et sioniste», faisant un amalgame entre l'Etat d'Isrsël et le sionisme
international, conduisait à une critique de tous les juifs, ceux de la diaspora
comme provocation à l'antisémitisme ; qu'en ne répondant pas à ce chef
péremptoire des conclusions de la Liera, la cour d'appel a entaché sa décision
d'un grave défaut de motifs ;
"alors qu'enfin, la Liera faisait également valoir, dans ses conclusions d'appel
délaissées, que la critique de l'antisionisme, telle que manifestée dans l'article
incriminé, conduisait nécessairement à l'antisémitisme, qu'en ne répondant pas
davantage à ce chef des conclusions de la partie civile ; que la Cour a encore
entaché sa décision d'un défaut de motifs ;
"au motif, d'autre part, que le deuxième écrit incriminé et le troisième qui suit
immédiatement, figurant sous le titre «le racisme» sont ainsi conçus : "nous
savons assez, et plus encore depuis Hitler, ce que coûtent à l'humanité les
prétentions d'un peuple élu". En 1972, Vorster, le premier ministre sud-africain,
célèbre par le racisme sauvage de l'apartheid, proclamait, lui aussi, dans l'esprit
du plus archaïque colonialisme" n'oublions pas que nous sommes "le peuple
de Dieu investi d'une mission" ; le sens de ces propos si déplaisants
qu'apparaissent le rappel d'Hitler et la comparaison avec l'idéologie de Vorster
ne doit pas être dénaturé ; qu'il se "réfèrent clairement dans leur contexte,
d'une part, à l'un des fondements de 1 'Etat juif, proclame dès sa création en
1948 : le retour du peuple juif, exilé de la Terre Sainte, dans le pays de ses
ancêtres et, d'autre part, aux résultats, par ailleurs dénoncés, de la politique de
cet Etat, aux conséquences dangereuses qu'elle continue de comporter, selon
les auteurs du texte ; qu'il s'agit, là aussi, de la critique licite de la politique
qui serait pratiquée par cet Etat, de l'idéologie qui l'inspire et non de
provocation raciale ;
"alors que le texte incriminé contenait dans un passage précédent un appel à la
conscience chrétienne en tant que telle ; que, dès lors, en s'abstenant de
retenir la connotation religieuse de la notion de "peuple élu", telle que
contenue dans l'article incriminé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale
à sa décision ;
Attendu que, à raison d'un article publié dans le numéro du 17 juin 1982 du
journal "Le Monde", la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme
a fait citer Jacques Fauvet, directeur de la publication de ce quotidien, Roger
Garaudy, Michel Lelong et Etienne Mathiot, auteurs de l'article, devant le
tribunal correctionnel sous la prévention d'infraction à l'article 24, alinéa 5, de
la loi du 29 juillet 1881, à raison du passage ci-après de l'article précité : "La
même profusion financière explique l'extraordinaire hégémonie du lobby
sioniste sur l'ensemble des médias dans le monde, de la presse à la télévision,
du cinéma à l'édition. Le général de Gaulle, en 1969, déjà, dénonçait cette
influence excessive. Cette maîtrise de l'information et de la propagande
israélienne et sioniste à l'échelle mondiale assure un redoutable
conditionnement de l'opinion jusqu'à faire accepter l'inacceptable" ;
Attendu que la partie civile retenait aussi, sous la même prévention, à la charge
de Fauvet, Garaudy, Lelong et Mathiot, le passage ci-après : "Nous savons assez,
et plus encore depuis Hitler, ce que coûtent à l'humanité les prétentions d'un
"peuple élu". En 1972, Vorster, le premier ministre sud-africain, célèbre par le
racisme sauvage de l'apartheid, proclamait lui aussi, dans l'esprit du plus
archaïque colonialisme : "N'oublions pas que nous sommes le peuple de Dieu,
investi d'une mission" ;
Attendu que, pour dire que le premier de ces passages ne caractérisait pas le
délit poursuivi, la cour d'appel énonce notamment "que ce texte vise
expressément "le lobby sioniste" et la "propagande israélienne et sioniste" dont
il dénonce la puissance et les dangers" et en déduit "que la Cour ne peut y voir
des provocations à la discrimination, la haine ou la violence envers un groupe
de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie,
une nation, une race ou une religion déterminée" ; que, pour dire que le
second de ces passages ne caractérisait pas davantage le délit prévu par l'article
24, alinéa 5, de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel énonce que les propos
qu'il contient "se réfèrent clairement, dans leur contexte, d'une part à l'un des
fondements de l'Etat juif d'Israël, proclamé dès sa création en 1948 : le retour
du peuple juif, exilé de la terre sainte dans le pays de ses ancêtres et, d'autre
part, aux résultats, par ailleurs dénoncés, de la politique de cet Etat, aux
conséquences dangereuses qu'elle continue de comporter selon les auteurs du
texte", et en déduit "qu'il s'agit là aussi de la critique licite de la
politique qui serait pratiquée par un Etat, de l'idéologie qui l'inspire
et non de provocation raciale" ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs que ne contredit pas l'analyse du texte
reproché et qui font apparaître que ce texte revenait, quelque hostile que fut la
tonalité de certains de ses termes, d'une part à faire la critique de l'influence
qu'il attribuait aux moyens d'information d'un Etat et d'un mouvement
politique et, d'autre part, à dénoncer, de façon polémique, les ambitions qu'il
prétait au même Etat, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires
des conclusions de la partie civile, n'a pas, en décidant comme elle l'a fait,
encouru les griefs énoncés au moyen lequel doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 32 alinéa 2 de
la loi du 29 juillet 1881, 573 du Code de procédure pénale, défaut de motifs,
manque de base légale,
"en ce que l'arrêt attaqué a décidé que lea passages dénoncés dans sa citation
par la Liera ne contenaient pas les éléments d'une infraction punissable ouvrant
droit à réparation pour la partie civile ;
"aux motifs que le passage susvisé est poursuivi par la Liera pour diffamation
raciale : "Est en effet considéré comme juif, à Tel Aviv ou à Nuremberg,
quiconque est né d'une mère juive. La postérité d'Abraham est ainsi définie,
d'une manière raciste, non par la communauté de la foi, mais par la continuité
du sang" ; que l'opinion émise par les signataires ne concerne que la définition
restrictive de la judaïcité retenue par la législation israélienne, le rappel critique
de celle-ci ne comporte aucune allégation ou imputation à l'égard d'un groupe
de personnes visé par l'article 32 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1881 ne saurait
constituer le délit de diffamation raciale ;
"alors qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas repondu aux conclusions de
la partie civile faisant valoir que le droit israélien avait adopté la législation juive
traditionnelle et que, dès lors, celle-ci se trouvait en cause dans l'article
incriminé ; qu'ainsi, en ne retenant pas le délit de diffamation raciale, la cour
d'appel n'a pas également justifié sa décision ;"
Attendu que, par l'exploit susvisé, la Liera a poursuivi les mêmes prévenus du
chef de diffamation à caractère ethnique, national, racial ou religieux,
reprochant à ces prévenus, sous ladite qualification, le passage suivant : "Est, en
effet, considéré comme juif à Tel Aviv comme à Nuremberg, quiconque est né
d'une mère juive. La postérité d'Abraham est ainsi définie, d'une manière
raciste, non par la communauté de la foi, mais par la continuité du sang" ;
Attendu qu'à juste titre, la cour d'appel a constaté que ce passage, quelle que
fût l'appréciation qu'il portait sur la règle qu'il prétendait décrire, n'imputait
pas à un groupe de personnes un fait qui portât atteinte à son honneur ou à sa
considération ; que, dès lors, abstraction faite de tous autres motife, l'arrêt
attaqué a décidé à bon droit que cet écrit, seul retenu par la citation comme
constitutif du délit prévu par l'alinéa 2 de l'article 32 de la loi du 29 juillet 1881,
ne caractérisait pas ladite infraction
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi
Condamne la demanderesse aux dépens ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son
audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Berthiau conseiller doyen faisant fonctions de
président en remplacement du président empêché, M. Dardel conseiller
rapporteur, MM. Zambeaux, Dumont conseiller de la chambre, M. Louise
conseiller référendaire appelé à compléter la chambre, Mme Guirimand
conseillers référendaires, M. Clerget avocat général, Mme Gautier greffier de
chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le
greffier de chambre .

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