Le péché originel
Mais qu'en a dit
Jésus ?
Portique. Basilique de Vérone |
Cette
doctrine, extrêmement débattue depuis ses origines, a toutefois pris des formes
bien distinctes dans les différentes confessions chrétiennes, et le péché
originel est décrit de différentes façons, depuis une simple déficience, ou une
tendance au péché qui exclut toute idée de culpabilité a priori, jusqu'à l'idée
d'une nature totalement corrompue et d'une véritable culpabilité collective.
Ces conceptions différentes du péché originel induisent des différences
notables dans la théologie du salut, notamment en ce qui concerne le
libre-arbitre et la grâce.
L'expression
« péché originel » ne figure nulle part dans la Bible, mais la
doctrine du péché originel s'appuie sur plusieurs passages de l'Écriture :
les chapitres 2 (versets 16 et 17) et 3 du Livre de la Genèse, les épîtres de
Paul aux Romains (5:12-21) et aux Corinthiens (1 Co 15:22), ainsi qu'un passage
du Psaume 51. Le premier exposé systématique qui en a été proposé, et à partir
de l'interprétation duquel les controverses se sont déployées, est celui
d'Augustin d'Hippone au IVe siècle
L'objet
de cette contribution n'est pas de rediscuter sur cette question sur
laquelle des générations de théologiens
ont réfléchi et écrit. Relevons que les rares textes bibliques sur lesquels on
a bâti cette doctrine sont sujets eux même à interprétation divergente.
Se
baser sur le récit de Genèse 2 et 3 est pour le moins hasardeux, lorsqu'on sait
que ces notices racontant la ''fabrication'' d'Ève à partir d'une côte d'Adam
et ensuite l'histoire de la tentation dans le jardin d'Éden, sont des récits
mythiques, élaborés par des narrateurs s'inspirant,( on pourrait dire
''plagiant'') des textes sumériens. Nous en avons apporté la preuve dans un livre
publié récemment.(2) D'ailleurs, les exégètes
sérieux des textes bibliques reconnaissent bien le caractère mythique de
ces récits(3). Quant aux écrits de Paul,
lisons les observations de John Shelby
Spong (4):
La
pensée de Paul était limitée par la vision du monde et les événements de son
temps. Vouloir trouver à tout prix une vérité éternelle dans des paroles
conditionnées par une culture et une époque qui ne sont pas les nôtres est le
comble de la bêtise. Les mots de Paul ne sont pas la parole de Dieu|[...]Paul
n'était pas un savant universel. Il n'était même pas un spécialiste de la
Bible. Il avait étudié les Écritures, mais il ne connaissait rien au
contexte, à l'histoire, à la formation de l'Ancien Testament, contrairement
à n'importe quel étudiant d'un grand séminaire anglais ou américain
aujourd'hui. La sagesse populaire, à son époque, attribuait la Torah à Moïse et
Paul ne mettait pas cela en doute( Rm 9:15;10:15;10:19;1Co 9:9;2Co 3:15).
Pour lui, Adam était tout autant que Jésus de Nazareth un personnage historique au sens propre(
Ro 5:14,18). Aucun savant ne défendrait aujourd'hui une telle idée[ ….]Vouloir
traiter les mots de Paul comme s'ils étaient la parole infaillible de Dieu
suppose que le Chrétien renonce à toute analyse intelligente et admette des
schémas culturels depuis longtemps abandonnés.(5).
Maintenant
faisons appel au meilleur des théologiens, qui n'a, certes, pas écrit de livres
de théologie, (que, soit dit en passant, personne ne lit, exceptés les
théologiens et les étudiants en théologie !). Il n'a laissé aucun écrit, mais
ses disciples ont recueilli ses paroles et les ont ensuite mises par écrit. Il
s'agit, ben entendu, du Christ. Dans l'évangile de Jean, un récit très
intéressant met en scène plusieurs personnages : un homme désigné comme un
aveugle de naissance, ses parents, les docteurs de la loi, les disciples de
Jésus et Jésus lui-même.
Jésus
vit, en passant, un homme aveugle de naissance.
Ses disciples lui firent cette question: Rabbi,
qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu'il soit né aveugle?
Jean
9,1-2
D'emblée, les disciples vont poser une question difficile mais
bien humaine : qui ? Car il faut toujours à l'homme désigner
un responsable, un bouc émissaire en quelque sorte. Rappelons que pour les
hommes vivant en ce temps, les drames, défaites, famines, incidents
climatiques, maladies, étaient toujours la conséquence de la colère de la
divinité, quelle qu'elle soit d'ailleurs.
N'oublions pas les terribles
malédictions promises par Yahweh, le dieu d'Israël que nous trouvons dans le
livre du Deutéronome au chapitre 28 :
Mais si tu n'obéis point à la voix de
Yahweh, ton Dieu, si tu
n'observes pas et ne mets pas en pratique tous ses commandements et toutes ses
lois que je te prescris aujourd'hui, voici toutes les malédictions qui
viendront sur toi et qui seront ton partage:
Le fruit de tes entrailles, le
fruit de ton sol, les portées de ton gros et de ton menu bétail, toutes ces
choses seront maudites.
Alors oui, pour les disciples, seul un péché
pouvait être la cause d'une cécité de naissance.
Si,
dans la mentalité de ces gens, seul un péché grave des parents pouvait
expliquer la naissance d'un enfant mal-formé, les disciples vont cependant
monter d'un degré, en montrant du doigt l'aveugle-né et en osant dire : ''
qui a péché, cet homme […] pour
qu'il soit né aveugle ?''
Les disciples font leur la doctrine théologique du '' péché originel''. Cette doctrine détestable, tiré de récits mythiques compilés par les docteurs de la loi, a été cause d'innombrables souffrances. Elle a permis aux religieux de tous bords d'asseoir leur suprématie sur les femmes pendant des siècles. On relira avec intérêt l'excellent ouvrage de Guy Bechtel (6) à ce sujet.
Les disciples font leur la doctrine théologique du '' péché originel''. Cette doctrine détestable, tiré de récits mythiques compilés par les docteurs de la loi, a été cause d'innombrables souffrances. Elle a permis aux religieux de tous bords d'asseoir leur suprématie sur les femmes pendant des siècles. On relira avec intérêt l'excellent ouvrage de Guy Bechtel (6) à ce sujet.
Pendant
dix-neuf siècles au moins, l'Église et ses théologiens n'ont cessé d'éprouver
pour la femme des sentiments contradictoires. On aimait sa douceur, sa
virginité, ses maternités. Mais on la soupçonnait, au plus profond d'elle-même,
de rester éternellement une putain, une sorcière et une imbécile. Même les
saintes ont été souvent mal vues par l'Église, car elles essayaient de sortir
de l'anonymat d'une façon contraire à la modestie de leur sexe.
Pendant
des siècles, l'Église n'a voulu que la soumission. Elle s'est opposée à peu près
constamment à la libération de la femme, à son enseignement, à son accès à la
culture et au monde du travail, aujourd'hui encore à son ordination. D'où vient
ce mythe de l'infériorité féminine, qu'on retrouve à peu près dans toutes les
religions, en tout cas dans le judaïsme et dans l'islamisme ? Eve est la
première coupable. Elle a précipité l'humanité dans le péché. Depuis la pomme
fatale, les femmes ont été accusées, par l'Église, de porter des tares
infamantes : " être imparfait " pour saint Thomas, " produit
d'un os surnuméraire " (Bossuet), " porte du Diable "
(Tertullien), " sac de fiente " (Odon de Cluny), elle a été regardée
par les religieux avec crainte et parfois même avec horreur. Cette histoire de
l'anti-féminisme chrétien éclaire les combats actuels sur la contraception,
l'avortement, le préservatif, (Commentaire de l'ouvrage de Guy Bechtel).
L'accusation
lancée par les disciples nous semble aujourd'hui aberrante : comment un
nouveau né aurait-il pu pécher avant sa
naissance, car c'est bien cela qui est sous-jacent à la question posée ?
La seule explication, qu'une telle idée ait seulement pu effleurer l'esprit des
disciples, se trouve dans la doctrine du péché originel, élaboré par les
docteurs de la loi et les religieux juifs à l'origine des écrits de la Thora.
D'ailleurs, dans la suite du texte, les docteurs de la loi entrent dans une
discussion vive avec l'aveugle-né guéri par Jésus.
Voyant
qu'ils n'avaient pas le dessus, eux, les spécialistes de la loi, dont ils se
prétendaient les seuls dépositaires, (de la loi écrite d'abord, mais aussi de
la loi orale données par Yahweh à Moïse), désarçonnés par les réponses argumentés de l'homme guéri, ils
vont le chasser en lui jetant à la figure tout leur mépris.
Les pharisiens appelèrent
une seconde fois l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: Donne gloire
à Dieu; nous savons que cet homme est un pécheur.
Il
répondit: S'il est un pécheur, je ne sais; je sais une chose, c'est que j'étais
aveugle et que maintenant je vois.
Il leur répondit: Je vous l'ai déjà dit, et
vous n'avez pas écouté; pourquoi voulez-vous l'entendre encore? Voulez-vous
aussi devenir ses disciples?
Cet homme leur répondit: Il est étonnant que
vous ne sachiez d'où il est; et cependant il m'a ouvert les yeux.
Nous savons que Dieu n'exauce point les
pécheurs; mais, si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, c'est celui là qu'il
l'exauce.
Ils lui répondirent: Tu es né tout entier
dans le péché, et tu nous enseignes! Et ils le chassèrent.
Jean 9,24-34
Les religieux juifs, en affirmant que'' tu es
né tout entier dans le péché'' déclarent et certifient que le péché d'Adam
s'est transmis tous les hommes. Comment donc auraient-ils pu affirmer le
contraire, puisque tous ces récits ont été composés par leurs docteurs de la
loi. Ils font preuve d'une indifférence totale
teintée de mépris pour cet homme, et tous les êtres humains en général.
Alors,
écoutons maintenant la réponse de Jésus. Elle est extraordinaire, elle
révèle la compassion du Christ envers les hommes quel qu'ils soient.
Jésus répondit: Ce n'est pas que lui ou
ses parents aient péché; mais c'est afin que les œuvres de Dieu
soient manifestées en lui.
Il faut que je fasse, tandis qu'il est jour, les œuvres de
celui qui m'a envoyé; la nuit vient, où personne ne peut travailler.
Jean
9, 3-5
Jésus,
en disant : ''Ce n'est pas que lui ait péché,'' signifie aux
disciples, aux religieux juifs et aux hommes en général, par delà toutes
les générations, que le péché
originel n'existe pas, qu'il est une invention humaine. Nous nous en
doutions déjà, mais l'entendre de la bouche même du Christ est extraordinaire.
Quel fossé aussi entre des religieux méprisant et un Jésus compatissant, entre
l'obscurité ténébreuse de docteurs de la loi, que le Christ accusera d'être les
fils du diable, et la lumière qui émane de l'enseignement de Jésus.
MARC
(2) ''Les récits mythiques de Genèse'' dans ''Du fondamentalisme biblique à la lumière de l'Évangile'', 2017, p.19, auteur-éditeur disponible directement
chez l'imprimeur: Du fondamentalisme à l'Evangile
www.karthala.com/.../3093-sauver-la-bible-du-fondamentalisme-un-eveque-repense-l...
(4)John Shelby Spong a été évêque de Newark( 1976-2000) dans
l'Eglise épiscopalienne des Etats-Unis. Il a écrit de nombreux ouvrages et il
est l'un des rares intellectuels chrétiens à ouvrir les portes d'un
christianisme pour notre temps.
(5) John Shelby Spong, Sauver la Bible du fondamentalisme,
Karthala,2016, p.125
https://www.decitre.fr › ... › Religions › Histoire de l'Église
› Histoire de l'Eglise