15 février 2019

Introduction...à Alain Badiou

Récemment invité par une association amie à introduire une conférence d'Alain Badiou sur le thème de "la jeunesse", conférence qui fut finalement annulée pour des raisons personnelles du conférencier, j'avais écrit m'adressant au philosophe-militant, très éloigné théoriquement de Roger Garaudy, un petit texte dont je n'hésite pas à dire qu'il était une sorte d'hommage, texte que je vous fait aujourd'hui partager. Car les gens qui pensent librement méritent de se rencontrer par-delà les aléas du temps et de la philosophie de comptoir.
Bonjour Alain Badiou, vous avez été à plusieurs reprises l’invité des Amis du Temps des Cerises puis des Amis de l’Humanité, associations partenaires, toutes deux créées et animées par André Bellerose. Aujourd’hui, c’est en tant que membre de ces deux associations et comme lecteur bienveillant et critique, que j’ai l’agréable devoir de vous introduire. Je dis « de vous introduire » parce que, n’étant ni philosophe ni journaliste,  vous présenter en deux minutes sans aligner les banalités serait parfaitement superficiel et au fond sans intérêt.
 Pour lever un coin du voile nommé Badiou, je convoquerai donc plutôt quelques-unes de vos fréquentations personnelles les plus célèbres, car ne dit-on pas « dis moi qui tu fréquentes et je te dirai qui tu es » ?

Et d’abord, ce qui en dit aussi beaucoup, qui ne fréquentez-vous pas ?
Vous ne fréquentez pas les salons à la mode que sont les plateaux des grandes chaînes de télévision, d’autant qu’en sont désormais écartés les rares animateurs frondeurs. Vous n’êtes pas non plus dans les arcanes des pouvoirs, à la recherche des faveurs qu’ils accordent aux courtisans. Vous ne fréquentez pas ces « nouveaux » philosophes et moralistes qui, à longueur de livres prétendument « grand public » et de chroniques écrites, radiophoniques ou télévisuelles, nous prônent l’obéissance à l’autorité de fait, autorité qui au bout du compte est celle de la domination mondiale du capital et de sa traduction politique: la démocratie de marché. Non, ceux-ci vous ne les fréquentez pas.
Arrivent maintenant quelques uns de vos amis, ou de vos maîtres, parfois même adversaires respectables mais que vous aimez tous, ainsi que vous le proclamez dans votre « Petit Panthéon portatif ». De Lacan à Derrida, de Sartre à Foucault, d’Althusser à Deleuze, de Lacoue-Labarthe à Natacha Michel, ils vous ont préservé de ce que vous nommez les « potions qu’on veut nous faire avaler ». Potions dont, en héritier fidèle, vous contribuez à votre tour à nous préserver aujourd’hui.

Derrière ces penseurs, j’aperçois des visages  mondialement connus: Mao, Marx, Platon, par exemple, trois communistes, mais aucun réductible aux deux autres, et vous-même irréductible aux trois. C’est que l’idée communiste, vous vous colletez avec…depuis toujours peut-être. Sans remonter à  Mai 68 – ce que vous faîtes pourtant dans ce récent petit livre « On a raison de se révolter » - sans remonter donc à cette période, vous interrogez depuis longtemps le communisme tel qu’il fût dans le but d’inventer le communisme tel qu’il sera. En tout cas vous y apportez votre contribution. Non en prophète évidemment, mais en militant.
Au milieu des années 80, bien avant donc cet « Eloge de la politique » paru en 2017, vous écriviez : « Le marxisme achève sa première existence…Nous devons refaire le Manifeste ». Pas refaire un texte - encore que ! - mais rebâtir une politique populaire. Pas revenir aux anciennes formules, mais en faire vivre de nouvelles. Et toujours, pas seulement interpréter le monde - pour reprendre la formule de Marx - mais le changer.

Fidélité à une visée émancipatrice, c’est la vraie politique. Et, pour chacun et chacune d’entre nous, et surtout pour la jeunesse, c’est « La vraie vie » comme l’indique votre ouvrage. La vraie vie qui ne va pas « de soi » et exige apprentissage et prise de risques.
Vous avez fait un « Eloge des mathématiques » dont je ne vous tiens pas rigueur, un « Eloge du Théâtre » (vous êtes aussi un auteur de théâtre), puis un « Eloge de l’amour » et cet « Eloge de la politique » écrit avec Aude Lancelin, nous espérons donc de vous aujourd’hui un « Eloge de la jeunesse ». De la jeunesse qui, plus que de toute autre chose, a besoin, dans les brouillards du temps présent,  de découvrir des chemins vers la vérité. Lui proposer ces chemins, n’est-ce pas la tâche principale, sinon unique, du philosophe en lutte contre les nouveaux sophistes ?

Car la jeunesse doit être la première de nos préoccupations.
J'enfonce, apparemment du moins, une porte ouverte, mais en compagnie du Président Mao, excusez du peu !,  à qui j’emprunte ma conclusion : « Vous les jeunes, vous êtes dynamiques, en plein épanouissement, comme le soleil à huit ou neuf heures du matin. C’est en vous que réside l’espoir ».


 Alain Raynaud
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