"[Dans la vie], ce qui est important,
ce n'est pas ce que vous faites mais ce que vous
cessez de faire"
(Nisargadatta, sage d'Orient)
Voici des vers peu connus, lus par Ernesto
Che Guevara en personne, de mémoire (et donc légèrement différents de
l'original ici) lors d'un discours qu'il prononça lors de la remise de "certificats
de travail communiste" émis par le Ministère de l'Industrie à Cuba (dont
il fut à la tête de 1961 à 1965):
[Le poème original comportait en introduction: "Si seulement
nous savions cheminer sous les applaudissements des astres; et faire de chaque
journée un symbole poétique"…]
Che: "C'est l'histoire d'un homme désespéré qui se comporte comme un enfant
bûcheur et stupide et qui a fait du jeu une corvée journalière. Il a ainsi fait
de son bâton de tambour une pioche, et au lieu de jouer sur Terre une chanson
de joie, il a entrepris de la creuser"…
"Or, personne n'a jamais su creuser le sol en harmonie avec les cycles
du soleil; de même que personne n'a encore coupé un épi avec amour et la grâce
qui s'imposent..." [Quiero decir que nadie sabe cavar al ritmo del
sol y que nadie ha cortado todavía una espiga con amor y con gracia].
[Le poème original concluait: "Ce boulanger, par exemple…
Pourquoi ce boulanger ne placerait-il pas une rose de pain blanc dans le rabat
de ce mendiant affamé ?"]
La cérémonie avait été précédée de l'exemple personnel que le
ministre-révolutionnaire donna en participant lui-même au travail manuel des
ouvriers. On peut le voir et écouter ces versets mystiques (2 minutes)
historiques à cet endroit de la Toile.
Le travail comme action juste
De manière inédite, le Che posait la question métaphysique de l'action
(juste) en harmonie avec le Tout; ainsi que l'avaient abordée avant lui les
auteurs classiques du taoïsme, de l'hindouisme, du bouddhisme, de l'islam, du
christianisme, de la philosophie grecque. Selon ces visions, l'homme
est pour ainsi dire "condamné" à n'être que l'automate
d''une "volonté" qui le dépasse: celle de Dieu.
Les bouddhistes enseignent ainsi une discipline du "travail
quotidien" (souvent du ménage) sous le nom de "samu" (école
japonaise). L'action juste est le message central de l'hindouisme (à travers la
notion de "karma") que Krishna expose à la perfection à Arjuna dans
la Baghavad Gita. Ce dernier doit, contre sa propre volonté, prendre les armes
pour combattre et tuer des membres de sa propre famille.
On retrouve exactement la même idée dans le Coran (8:17): "Ce
n’était pas toi qui décochait [des flèches] quand tu décochais ; Dieu est Celui
qui les décochait…" ["wa ma ramayta id ramayta
walakinna-Llaha rama…"]. Au passage, notons la coïncidence linguistique
heureuse de la fin du verset ("Allah Rama") qui est d'autant plus
remarquable que Rama, en tant qu'incarnation de Vishnu, est un autre nom de
Dieu dans l'hindouisme…. A tel point que Kabir, le célèbre poète mystique
indien, auquel Roger Garaudy a rendu hommage dans l'un de ses textes, se voulait ni hindouiste ni musulman mais hindouiste
et musulman à la fois, et les confondait volontiers tous
"Deux"…
Travail et jeu
Ainsi, par ce "petit verset", Che Guevara a en fait grand ouvert
les portes de la Conscience Universelle car il aborde ici la question de la culture
(celle du travail) en tant que jeu. Il évoque bien, dans son introduction,
l'enfant borné qui, au lieu de chanter un hymne à la joie de vivre sur terre,
se met à creuser cette dernière... L'attitude de cet enfant, ajoute-t-il à la
fin, est en fait celle en œuvre dans l'"autre monde" qui nous fait
face, celui du Capital, et ne devrait donc pas être celle du nôtre qui prétend
le dépasser spirituellement et moralement.
-Cette comparaison de nature anthropologique est tout d'abord conforme à
celle de l'ouvrage de sociologique classique de Johan Huizinga (1872-1945)
"Homo Ludens": la culture humaine comme champ permanent d'action du
jeu, y compris dans sa dimension transcendantale.
-Elle correspond aussi à la vision orientale d'un monde produit par le Jeu
Divin (la "Lila" hindouiste en particulier) durant lequel des acteurs
humains font face à des situations en tout genre. Les dieux, ou plus exactement
le Dieu Unique sous ses formes diverses, participe(nt) aussi activement au
Spectacle. L'homme est condamné à accepter ce Jeu et surtout, à ne
pas s'identifier aux acteurs sous peine de voir son bonheur partir en fumée…
Cette erreur classique, il la commet fréquemment et elle constitue la source
même de la tragédie humaine. Or, la sagesse locale avertit: "Savoir
que le film n'est qu'un jeu de lumière sur l'écran vous libère de l'illusion
que le film est réel" (Nisargadatta)
A noter que dans le "Lahw" (la Grande Distraction) musulman,
c'est-à-dire la vie avec ses objets infinis (Araignée 29), une prise de
conscience, quant au caractère illusoire du Spectacle, est attendue de la part
de l'homme ["Alha-kum attakaturu hatta zurtum al-maqabir"](Accumulation
1-2). Par ailleurs, les Jinns (génies), comme acteurs à part entière,
interviennent également sur la scène…
Egoïsme et communisme
Le marxisme n'est pas
l'"opposé", le "symétrique" (en mots et en maux pour
commencer) du capitalisme et n'a aucunement vocation à lui faire concurrence à
l'image du spectacle des partis politiques qui se succèdent périodiquement sur
le théâtre de la cité dite démocratique. Son adversaire réel est l'égoïsme,
source première du capitalisme. Le communisme représente un dépassement de ce
dernier.
Tous les sages (voir par exemple cet article) issus de toutes les religions (car il faut bien s'en détacher un jour
pour ne conserver que le souffle spirituel qu'elles canalisent) sont de fait
des communistes qui ont toutefois décidé, à l'instar du poète Maïakovski (qui
dans un poème, parvenait à s'élever si haut qu'il voyait la Tour Eiffel depuis
Moscou…), de faire d'abord, et comme Che Guevara, la Révolution dans leur tête.
Le sage oriental Nisargadatta, encore lui, donna d'ailleurs, lors d'un
entretien, une magistrale définition (sans la nommer ainsi toutefois) de la
société communiste à venir, critiquant la souffrance inhérente aux sociétés
capitalistes et comment elles tentent d'y remédier artificiellement:
"-Produisez pour distribuer;
-Nourrissez avant de manger;
-Donnez avant de prendre;
-Pensez aux autres avant de penser à vous-même;
Seule une société non-égoïste fondée sur le partage peut être stable et
heureuse. Si vous n'en voulez pas, continuez à vous battre…"
Comme Marx, Che Guevara ignorait peut-être ces autres références orientales
mais, comme tous les vrais communistes, par définitions humanistes, ils avaient
tous deux "vu juste". Rétrospectivement, Che, assassiné
par la CIA, main de fer et expression ultime du Capital, est, à la différence
de tant d'autres mystiques à travers le monde, mort les armes à la main.
Cependant, comme eux, ils nous a quittés en Pleine Conscience.
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Sources:
-Che Guevara: un versito
-Sur la question du jeu:
Johan Huizinga: "Homo ludens", 1938.
-Sur la question du Travail:
"Nous baratterons le lait sans cesser de penser à Dieu"
-Sur la question du communisme et de la spiritualité:
"Une idée révolutionnaire pour 2017…"