Roger Garaudy à la tribune du 19e Congrès du PCF en 1970 |
quo
et du maintien
de l'ordre ancien puisque les adversaires sont incapables d'en concevoir et d'en proposer
un nouveau.
Comment l'électeur pourrait-il faire un
choix fondamental alors
que, sur tous les problèmes dont dépend
notre avenir — le modèle de
croissance, l'armement nucléaire,
l'énergie nucléaire, avec toutes
leurs conséquences mortelles —, tous les
partis sont d'accord à
quelques nuances de vocabulaire près ?
La réalité du pouvoir reste donc aux
groupes de pression qui
fondent la « croissance économique » sur
les secteurs les plus
rentables pour eux : le nucléaire et
l'automobile, les seuls qui n'aient
pas été touchés par la crise et qui
poursuivent inflexiblement leur
progression. On pourrait dire aujourd'hui,
paraphrasant un axiome
du passé : nucléaire et automobile sont
les deux mamelles de la
croissance.
Du nucléaire, nous avons déjà évoqué les
méfaits physiques et
politiques. Mais nous pourrions tenir un
propos analogue sur l'automobile,
et sur l'ensemble du groupe de pression
(le plus fort en
France) qui gravite autour d'elle et
oriente la politique économique,
puisque les constructeurs de voitures, les
fabricants de pneus, les
promoteurs d'autoroutes, les pétroliers et
leurs satellites représentent
près de la moitié du budget de la France.
[…] Tous les partis et le Parlement
s'inclinent devant ce contre-pouvoir
réel des groupes de pression du nucléaire
et de l'automobile, masqués
en France, comme aux États-Unis, en
Allemagne, en Italie et ailleurs,
par le « pouvoir » aussi officiel
qu'illusoire des Parlements chargés de
persuader le public qu'en devenant
électeur i l devient « souverain »,
alors que les choix vitaux lui sont interdits
et que les décisions sont
prises, en dehors de tout contrôle, par la
technocratie des groupes de
pression.
Il faut que ceci soit clair : aucun
parti politique aujourd'hui n'est
capable
ni de réaliser un nouveau projet de société échappant à la
«logique»
mortelle de la croissance aveugle, ni même de le concevoir et
de
le proposer.
La politique, au sens vrai et fort du mot,
c'est-à-dire la volonté de
créer une société à visage humain, est
pourtant en gestation, surtout
depuis 1968, à l'extérieur des partis. Les
germes de l'avenir sont là où
de petits groupes d'hommes se rassemblent,
se concertent, se fédèrent
pour prendre en main leurs propres
affaires sans attendre « d'en
haut », d'élus ou de chefs auxquels ils
auraient délégué leurs pouvoirs,
les décisions concernant leur vie
quotidienne comme leur destin.
Déjà, en dehors des institutions
officielles, est en train de sourdre la
volonté de vivre autrement.
Au sein même des « foules solidaires »
naissent, meurent et se
recréent sans cesse des communautés d'un
type nouveau. Des regards
se rencontrent. Des mains se nouent. Des
projets sont bâtis en
commun. Ici un puits. Ici un stade ou une
garderie d'enfants. Ici une
prière. Ici une coopérative. Ici une
école. Ensemble. Et à l'initiative
de ceux « d'en bas » : communautés
chrétiennes de l'Amérique latine
à la France, ou communes chinoises, jeunes
n'acceptant plus d'être
estropiés par la pédagogie périmée des
écoles et des universités, ni par
les idéologies de récupération et
d'intégration sournoise au désordre
établi.
L'action s'organise pour le respect des
équilibres écologiques entre
l'homme et son environnement de terres,
d'arbres, de fleuves et de
lacs tués par la pollution, pour la
défense des océans, pour la
protection de l'espace contre des
satellites espions à équipement
nucléaire dont la chute fait peser sur nos
têtes une menace permanente.
La terre, l'eau, le ciel... l'homme est
devenu responsable de tous les
éléments. Nous sommes arrivés à ce point
crucial de l'épopée humaine
où nous ne survivrons pas par la seule
force d'inertie des dérives de
notre siècle : prolongées, elles
conduisent toutes au suicide planétaire.
« Changer ou disparaître ! » crie-t-on
dans les îles.
Le continent répond : « L'utopie ou la
mort ! »
Ceci doit être clair : survivre
et vivre dépendent désormais d'un choix
humain
et nul ne peut déléguer son pouvoir.
Les germes d'avenir naissent de toutes
parts : mouvements pour les
autonomies régionales contre la
centralisation dévorante, mouvements
de consommateurs, comités de quartiers pour
le contrôle et la
gestion des affaires locales et des
organismes élus, mouvement
antinucléaire, dont le référendum
autrichien est un bel exemple,
résistance à l'implantation des centrales
de la mort, en France, en
Allemagne, mouvement coopératif, action
non violente chez les
paysans du Larzac, comme chez les ouvriers
de Lip, exigence
autogestionnaire s'imposant même aux
directions syndicales qui s'en
défiaient, lutte des OS, en dehors des
structures et des méthodes
traditionnelles pour le dépassement de la
promotion individuelle des
qualifications et des salaires au profit
des qualifications collectives.
Roger Garaudy / Extrait de "Appel aux vivants" / A SUIVRE ICI