La parution, en septembre 1995, il y a tout juste vingt ans, des Mythes fondateurs de la politique israélienne par les éditions La Vieille Taupe de Pierre Guillaume, fut
l’occasion d’un véritable lynchage médiatique pour le philosophe Roger
Garaudy. Personnage au parcours atypique, il restera l’une des victimes de la religion
de la Shoah pendant les années 1990.
RIVAROL : Comment avez-vous été amenée à rencontrer Roger Garaudy ?
Maria POUMIER : Dans les
années 1970, la réflexion de Roger Garaudy sur l’esthétique
offrait
un nouveau paradigme aux communistes qui, se battant pour la justice sociale,
cherchaient
un horizon de transcendance. Le « réalisme sans rivage » de Garaudy était la
nouvelle
mouture du divin dont nous avions besoin : espace de liberté, de confiance, de
soumission
à la
beauté, naturelle ou fruit du travail des hommes. Et cette théologie diffuse
mais
incarnée
embrassait toute l’histoire, elle équilibrait le côté strictement daté du
marxisme.
Avec
l’esthétique garaudienne, nous les communistes retrouvions ainsi notre
appartenance
à la
tradition, alors que le slogan « du passé faisons table rase », indispensable
dans le feu
de
l’action révolutionnaire, était étouffant et stérilisant pour d’autres niveaux
du combat
L’art
occidental se voulait conceptuel, hypercritique et spéculatif, et se gaussait
de
l’aspiration
au reflet, à l’adoration du modèle ou à la ressemblance, se coupant du public
et
du
peuple. Garaudy nous ramenait au réel, et exaltait l’art comme le sommet de la
recherche,
l’activité
humaine la plus riche. Et bien entendu, il repoussait les limites de l’art
officiel du
monde
communiste aussi. Je n’hésiterais pas à dire qu’il retrouvait le réalisme
philosophique
du
Moyen Age, même si à l’époque, il ne faisait pas appel à la religion pour
expliquer sa
volonté
de faire une philosophie de l’acte, et non de l’être, comme il disait. Le
marxisme
avait
très judicieusement développé la dialectique, comme méthode d’analyse ; Garaudy
y
ajoutait
toutes les résonances analogiques que l’esprit scientiste repoussait hors du
champ de
la
vérité utile, redonnant son unité au monde.
Lorsque
le parti communiste décide d’expulser Garaudy, il se retrouve comme amputé
de
son potentiel militant, et de ses références qu’il croyait destinées à
convaincre à une
échelle
toujours plus large. C’est alors qu’il se centre plus exclusivement sur la
recherche
religieuse,
qu’il reprend son métier de philosophe toujours à la recherche d’un amont. En
amont
de la culture européenne, il approfondit les autres civilisations. Et il
rencontre l’islam,
ce
qui cause un scandale de taille, un nouveau scandale, chez les communistes
comme chez
tous
les intellectuels, parce qu’il trahissait l’eurocentrisme, tout en le révélant
comme tel,
alors
qu’il allait de soi pour ses pairs. Etant enseignante en banlieue, me battant
pour
l’intégration
des enfants de l’immigration, et constatant que le vide s’était fait autour de
lui,
j’ai
cherché à faire sa connaissance, en 1992. Je l’ai invité à faire une conférence
à Mantes-la-
Jolie,
devant des mères de famille musulmanes (les militants de gauche mantais ne se
sont pas
déplacés,
c’était une transgression), et l’accueil a été enthousiaste, la grande salle de
l’Agora
était
pleine. On avait besoin de sa vision souple d’un l’islam compatible avec la
modernité. A
chaque
étape de sa vie, il aura été un pionnier, dans l’instauration de nouveaux
paradigmes. Je
l’ai
ensuite invité à l’Université de Paris VIII, avec l’accord de la présidente, et
là, le rejet de
la
gauche a été franc, massif, explicite, sous la pression des personnels juifs,
et des organisations
communautaires.
R. : Son parcours politique débute au Parti Communiste Français, il
en deviendra
l’un des intellectuels les plus importants des années 1960. Quel
jugement portera-t-il sur
son passage au PCF après sa rupture ?
M. P. : Roger
Garaudy n’a jamais renié le parti communiste ni le marxisme. Le traumatisme
de
son exclusion a été le pire de sa vie, il voulait se donner la mort, il l’a
dit. Le parti,
c’était
sa famille, son quotidien et son horizon.
Victime
d’une purge après bien d’autres dirigeants, il aurait été bien accueilli
en
tant que renégat ; mais, tel un vaincu qui se retrouve en prison, il a refusé
de faire le jeu
de
ceux qui, en l’excluant, voulaient le punir d’avoir été plus audacieux et plus
généreux
qu’eux,
et qui auraient été ravis de le voir valider a
posteriori son exclusion. Il a refusé de
parler
et d’incriminer qui que ce soit. Cette hauteur de vues l’honore, et elle est
devenue
rare,
cette façon de refuser de donner libre cours à la rancune et la revanche. On
l’avait classé
dans
les meneurs d’un eurocommunisme s’éloignant radicalement du stalinisme. Mais il
est
resté admirateur de la stratégie stalinienne, du chef militaire et du
protecteur des peuples
qu’a
été Staline, et que le monde occidental ferait bien de redécouvrir maintenant,
alors que
nous
n’avons plus aucun dirigeant d’envergure, ni capable de nous arracher à la
logique
cannibale
du capitalisme financier.
R. : Roger Garaudy s’est converti au catholicisme puis s’est
rapproché de l’Islam.
Que penser de ce parcours intellectuel et spirituel ?
M. P. : Garaudy
avait un appétit spirituel sans limite, et il adorait le rôle de découvreur. Il
ne
pouvait
pas se contenter du catholicisme, qui lui apparaissait comme provincial, à
l’échelle
du
monde en pleine décolonisation. L’Eglise avait été le modèle pyramidal des
partis communistes,
mais
avait aussi été instrumentalisée pour justifier les conquêtes coloniales et ses
abus
; il cherchait un autre paradigme universel moins susceptible de se figer en
dogmatisme,
et
moins identifié à la blanchitude arrogante.
Mais
il n’est pas allé de conversion en conversion ; sa démarche est de riposte aux
urgences
successives
de son temps. Lorsque le communisme était férocement athée, il a fait tout
son
possible pour rétablir les ponts avec les catholiques. Puis, alors que l’Europe
méprisait
les
musulmans, il a voulu expliquer et rajeunir l’islam, qu’il considérait en
décadence depuis
le
XIVe siècle, en faire un moteur spirituel capable de désengourdir tous
les peuples.
R. : Pouvez-vous revenir sur l’origine de l’affaire de la
publication des Mythes
Fondateurs
de la Politique Israélienne ? Pourquoi avoir choisi les éditions de la Vieille Taupe à l’époque
?
M. P. : Garaudy a
proposé son livre LesMythes fondateurs
de la politique israélienne
à
ses éditeurs habituels, et à bien d’autres encore. Il espérait avoir une
audience dépassant
celle
de La Vieille Taupe, confidentielle, celle d’un éditeur qui s’était spécialisé
dans la critique
de
l’historiographie officielle au sujet des juifs. Mais seul Pierre Guillaume
l’intrépide a
eu
le courage d’accepter de le publier. De fait, le livre a eu une énorme
diffusion, grâce à ce
délicieux
parfum d’interdit que lui ont conféré le Crif, la Licra, etc.
R. : Quelle était la position de Roger Gauraudy sur la question du
révisionnisme ?
Garaudy
n’avait aucune envie d’entrer en révisionnisme, si on peut dire, de centrer
toute sa
réflexion
sur les manipulations de la mémoire par les dirigeants israéliens. Il aurait
certainement
soutenu
la démarche de Vladimir Poutine, qui contribue à partir de l’horizon russe
à
pulvériser la lecture holocausticocentrée de l’histoire contemporaine. Il
reprenait d’ailleurs
le
point de vue de Césaire, pour qui ce qui scandalisait les Occidentaux, c’était
qu’Hitler
ait
pu traiter une population blanche comme eux-mêmes avaient traité les Africains
et autres
«
peuples inférieurs » pendant des siècles.
Et
la convergence des comparaisons de tout bord a complété le travail des
historiens spécialisés
dans
le sujet. Le terme révisionniste d’ailleurs a peut-être fait du tort à la
recherche
parfaitement
rigoureuse de Robert Faurisson et d’autres historiens, parce que très marqué
comme
outil de propagande de droite, utilisé contre leurs franges réformistes tant
par les
communistes
russes que chinois, dans les années 1930 à 1980. Comme tous ceux qui ont
un
peu travaillé la question, Garaudy savait bien que tôt ou tard les
affabulations disproportionnées
seraient
remises à leur place par les historiens. Mais c’est comme pour l’histoire de
l’Inquisition
espagnole, fantastique outil manié par les juifs et les francs-maçons pour
accabler
l’Eglise,
depuis des siècles, alors que les spécialistes savent parfaitement que c’était
un tribunal
prudent
qui a fait bien moins de victimes qu’on ne l’imagine. La shoah, c’est la clôture
électrique qui sert à
éloigner
les troupeaux occidentaux d’un champ de réflexion qui pourrait leur faire
entrevoir
la
liberté, a dit Horst Mahler, je crois. Garaudy l’a traitée comme ce qu’elle
est, une arme de
propagande
puissante, qu’il fallait dénoncer comme telle, pour la rendre inoffensive, sans
plus
s’y attarder.
R. : Au-delà du révisionnisme, le thème principal des Mythes reste le refus du Nouvel
Ordre Mondial en pleine expansion dans les années 1990. En quoi sa
démarche est-telle
alors une affirmation d’un anti-impérialisme radical ?
M. P. : Le nouveau
désordre mondial reste occidental et reste l’expression d’une lutte des
classes
dans chaque pays, et entre un bloc de pays aspirant à l’hégémonie face à tous
les
autres.
Garaudy n’a jamais cessé de considérer qu’il fallait mener dans chaque pays une
lutte
de
libération nationale, contre les oligarchies locales à la solde de puissances
étrangères, et
contre
les Etats-Unis, la nouvelle métropole à prétention mondiale. Son
anti-impérialisme
n’était
pas démagogique, il refusait qu’on l’utilise pour occulter ou nier les erreurs
ou les
crimes
de tel ou tel gouvernement. Excellent orateur, il était aussi un redoutable
négociateur
politique,
il savait ne pas confondre les niveaux des combats à mener, et établir les passerelles
indispensables
pour avancer sur tel ou tel plan.
Voilà
pourquoi il cultivait ses liens avec certains penseurs jusqu’à
l’extrême-droite, qui
s’en
ouvraient d’autant à ses propres analyses.
R. : Garaudy fut envoyé devant les tribunaux et condamné pour son
livre. Quels
souvenirs gardez-vous de ce procès ? Vous rappelez-vous l’ambiance
des débats et des
affrontements en marge ?
M. P. : Je vous
recommande le témoignage de Ginette Skandrani à ce sujet, elle raconte
en
détail la ratonnade de certains excités juifs en plein palais de justice, dans Ma Palestine le
coeur du monde (*), Garaudy
s’est battu comme un lion, à l’audience, en 1998, c’était très impressionnant,
et
je me rappelle un moment extraordinaire, quand il a dit, en colère contre ses adversaires
hypocrites : « je n’aurais jamais l’idée
de faire du fric avec les ossements de mon grand-père » ; la trouvaille a fait rire
tout
le monde, y compris la partie civile ! Le président Nicolas Bonnal a beaucoup
appris, à
l’occasion
de ce procès…
R. : L’abbé Pierre fut cité comme témoin dans l’affaire. Garaudy
semble avoir placé
beaucoup (trop) de confiance dans le témoignage de l’abbé pour vous
?
M. P. : Pour
Garaudy, ce procès n’était qu’un épisode dans sa vie de militant, il ne se
faisait
pas
trop d’illusions sur le fonctionnement des tribunaux. Il a essayé de bâtir un
front d’honnêtes
gens
courageux, pour attirer l’attention de l’opinion publique. Ce sont les media
qui ont
d’abord
monté en épingle le soutien et l’antisionisme de l’abbé Pierre, pour l’accuser
d’antisémitisme
et
répandre la peur d’une contagion.
Mais
l’abbé Pierre, âgé et qui en avait vu d’autres, travaillait comme Garaudy,
plutôt sur
le
moyen terme. Personne, dans l’Eglise, n’a été dupe, l’Eglise a ses propres archives
sur
la
période que Pie XII a eu à gérer, on ne lui raconte pas d’histoires aussi
facilement ; et la
vérité
s’est frayée un chemin, souterrain certes, à ce moment, mais bien réel.
R. : L’affaire eut un écho particulier dans le monde arabe.
Marque-t-elle une étape
dans la prise de conscience des musulmans sur l’importance de
l’impérialisme américano-
israélien ?
M. P. : L’oeuvre
entière d’un converti aussi prestigieux que Garaudy a eu un énorme impact,
d’autant
plus qu’il avait renoncé, dans le cas des Mythes, à tout droit d’auteur y compris
sur
les traductions. Mais d’un autre côté, les musulmans comme bien d’autres ont
relativisé
ce
qui pour le public occidental relevait du scandale, de la négation du réel ou
“négationnisme”,
comme
on disait dans les années 1990 : « les
juifs ont toujours menti, rien d’étonnant à
ce qu’ils aient truqué aussi ce chapitre de leur histoire », disaient-ils. Ils n’ont pas attendu le
livre
de Garaudy pour rejeter l’implant israélien en Palestine, et l’impérialisme.
C’est Nasser,
l’iman
Khomeiny et Kadhafi qui, par leur résistance, ont révélé la conjonction
criminelle
entre
les deux phénomènes.
R. : Profondément marqué par le procès, Roger Garaudy fut-il la
première victime de
la Pensée Unique ?
M. P. : Robert
Faurisson appelle la loi Fabius- Gayssot « Lex Faurissonia ». Mais
effectivement,
c’est
Garaudy qui en a révélé au grand public l’absurdité et le viol du droit qu’elle
constitue toujours, vingt-cinq ans après sa promulgation forcée ; le procès des
Mythes a
été bien plus relayé par les media que lesprocès
d’autres historiens ou relais d’historiens authentiques. Je récuse l’expression
de
pensée
unique : c’est une non-pensée, c’est juste la manifestation d’une peur aveugle
qui
prétend
éradiquer la pensée. Garaudy a quand même été étonné de l’ampleur de
l’incompréhension.
Mais
il n’était pas imbu de lui-même, il faisait confiance à d’autres combattants
pour
faire
avancer la cause de la vérité qui rend libre, éventuellement par des chemins
bien différents.
R. : Quelle est votre opinion sur l’état de la liberté d’expression
en France après l’affaire
Dieudonné ?
M. P. : Notre
soumission à l’Otan contraint nos gouverneurs à réprimer le peuple dans
chaque
domaine où ils ne parviennent pas à l’acheter. Dieudonné a fait un travail
magnifique,
un travail pédagogique, en particulier en direction des 14-20 ans, saturés
à
l’école d’une propagande officielle qu’ils détestent, et qui n’apporte aucune
réponse à
leurs
interrogations vitales, en particulier sur notre rapport au passé. Quand ils
découvrent,
grâce
à l’aiguillon prodigieux du théâtre de Dieudonné, ce que j’aimerais appeler le
clairvisionnisme,
c’est la vraie révélation qui leur ouvre les portes de la perception :
brusquement
ils comprennent tout, du monde frelaté dont ils héritent ! Si les peines de
prison
se multiplient maintenant, l’effet sera double : restriction pour tous de
l’usage public
de
nos méninges, mais aussi affinement des méthodes de résistance, et
radicalisation de la
réflexion,
ce qui est très salutaire. L’internet a bien changé, depuis vingt ans, il faut
des
géants
pour éviter qu’il ne soit plus qu’un outil d’intoxication parmi d’autres. Il
nous
faut
des penseurs des nouvelles technologies pour l’esprit critique à l’échelle globale,
et
il
faut revenir à l’action sur le terrain local ; nous nous sommes bercés de
l’illusion d’une
liberté
d’expression à élargir sans limites, et nous nous sommes adonnés à Facebook et
autres
forums avec délices. Mais ce n’est plus suffisant !
Propos recueillis par
Monika BERCHVOK.http://www.rivarol.com/Rivarol.html
(*) Ouvrage à télécharger gratuitement sur :
http://plumenclume.org/home/22-ma-palestine-le-coeur-du-monde.html
http://plumenclume.org/home/22-ma-palestine-le-coeur-du-monde.html