10 janv. 2011
Etats-Unis : deux siècles de violence (Article sur http://polymedia.skynetblogs.be/ )
Beaucoup
d’Etasuniens voient leur pays et leurs soldats comme les « bons » qui
propagent la « démocratie » et la « liberté » dans le monde entier.
Quand les Etats-Unis infligent mort et destruction inutile, cela est vu
comme une erreur ou une aberration. Dans l’article suivant, Peter Dale
Scott et Robert Parry examinent la longue histoire de ces actes de
brutalité, une trajectoire qui suggère qu’il ne s’agit pas d’une «
erreur » ou d’une « aberration », mais plutôt d’une doctrine plutôt
consciente de contre-insurrection par le « côté obscur ».
Il
y a un fil obscur – rarement reconnu – qui parcourt la doctrine
militaire des Etats-Unis, qui provient des premiers jours de la
République.
Cette
tradition militaire a explicitement défendu l’usage sélectif de la
terreur, que ce soit dans la répression de la résistance des américains
natifs aux frontières du XIXe Siècle, dans la protection d’intérêts
étasuniens à l’étranger au XXe Siècle, ou dans « une guerre contre la
terreur » pendant la dernière décennie.
Une
grande partie du peuple étasunien ne prend pas en compte cette
tradition occulte parce que la plupart de la littérature qui défend la
terreur soutenue par l’État se limite soigneusement aux cercles de
sécurité nationale et elle s’étend rarement au débat public, qui est
dominé par des messages de bon ton sur les interventions bien
intentionnées des EU à l’étranger.
Pendant
des décennies, des enquêtes du Congrès et de journalistes ont mis en
lumière certains de ces abus. Mais quand cela arrive, généralement les
dossiers sont considérés comme des anomalies ou des excès de soldats
hors contrôle.
Mais
la documentation historique montre que les tactiques de terreur sont
depuis pas mal de temps le côté obscur de la doctrine militaire des EU.
Les théories demeurent toujours dans les manuels sur la guerre de
contre-insurrection, les conflits « de basse intensité » et le «
contre-terrorisme ».
Quelques
historiens datent l’acceptation formelle de ces doctrines brutales aux
années 1860 quand l’armée des EU affrontait le Sud rebelle et la
résistance des américains natifs à l’ouest. De ces crises, a émergé le
concept militaire moderne de la « guerre totale » qui inclut des
attaques contre les civils et l’infrastructure économique comme une
partie intégrale d’une stratégie victorieuse.
En
1864, le général William Tecumseh Sherman a laissé une trace de
destruction sur un territoire civil en Géorgie et en Caroline. Son plan
était de détruire la volonté de combattre du Sud et sa capacité de
maintenir une grande armée sur le terrain. La dévastation a incendié des
plantations et a généré les plaintes généralisées de la Confédération
sur des viols et des assassinats de civils.
Pendant
ce temps, dans le Colorado, le colonel John M. Chivington et la
Troisième Cavalerie du Colorado employaient ses propres tactiques de
terreur pour pacifier les cheyennes. Un explorateur appelé John Smith a
décrit par la suite l’attaque par surprise à Sand Creek, Colorado,
contre des indiens pris au dépourvu dans un campement pacifique.
«
Ils ont été scalpés ; leurs cerveaux vidés ; les hommes ont utilisé
leurs couteaux, ils ont étripé les femmes, ils ont battu les petits
enfants, ils les ont frappés sur la tête avec leurs fusils, ils ont vidé
leurs cerveaux par les coups, ils ont mutilé leurs corps dans tous les
sens du mot. » [Congrès des EU, Sénat, 39 eme Congrès, 2eme séance, «
The Chivington Massacre, des Rapports of the Committees ».
Bien
que l’objectivité de Smith fût controversée à l’époque, même des
défenseurs de l’incursion de Sand Creek acceptent que la majorité des
femmes et des enfants fut assassiné et mutilée. (Voir : lieutenant
colonel William R. Dunn, I Stand by Sand Creek.)
Cependant,
en 1860, de nombreux blancs du Colorado ont considéré le massacre comme
l’unique chemin réaliste pour obtenir la paix, comme Sherman a
considéré que sa « marche vers la mer » était nécessaire pour imposer la
reddition au Sud.
Les
tactiques brutales de l’[Far]Ouest ont aussi aidé à aplanir le chemin
pour le chemin de fer transcontinental, ont créé des fortunes pour les
hommes d’affaires favorisés et ont consolidé le pouvoir politique
républicain pendant plus de six décennies, jusqu’à la Grande Dépression
des années trente. Voir : « Indian Genocide and Republican Power », Consortiumnews.com, le 3 octobre 2010.
Quatre
ans après la Guerre civile, Sherman est devenu commandant général de
l’armée et a intégré les stratégies de pacification des indiens – ainsi
que ses propres tactiques – à la doctrine militaire des EU. Le général
Philip H. Sheridan, qui avait dirigé les guerres contre les indiens sur
le territoire du Missouri, a succédé à Sherman en 1883 et a encore plus
enraciné ces stratégies dans la politique. Voir : « Ward Churchill, A
Little Matter of Genocide. »
À
la fin du XIXe Siècle, les guerriers américains natifs avaient été
vaincus, mais les stratégies victorieuses de l’armée ont continué
d’exister.
Les Etats-Unis impériaux
Quand
les Etats-Unis ont revendiqué la conquête des Philippines dans la
guerre Hispano-Etasunienne, les insurgés philippins ont résisté. En
1900, le commandant étasunien, le général J. Franklin Bell, a
consciemment modelé sa campagne brutale de contre-insurrection comme les
guerres indiennes et « la marche à la mer » de Sherman.
Bell
croyait que, après avoir écrasé les Philippins les plus riches grâce à
la destruction de leurs maisons – comme Sherman l’avait fait au Sud –
Ils se trouveraient obligés d’aider à convaincre leurs compatriotes pour
qu’ils se soumissent.
Apprenant
des « guerres indiennes » il a aussi isolé les groupes de guérilleros
en obligeant les Philippins à aller dans des zones strictement
contrôlées où des écoles et d’autres installations sociales ont été
construites.
«
Toute la population en dehors des villes principales à Batangas a été
dirigée vers des camps de concentration », a écrit l’historien Stuart
Creighton Miller. « L’objectif principal de Bell fut les classes les
plus nanties et mieux élevées … Comme si ce n’était pas assez, Bell a
fait que ces gens transportent le pétrole utilisé pour brûler leurs
propres maisons de campagne. » Voir : « Benevolent Assimilation » de
Miller.
Pour
ceux qui étaient en dehors des zones protégées, la terreur a prévalu.
Le correspondant favorable a décrit une scène dans laquelle des soldats
étasuniens ont tué « des hommes, des femmes, des enfants … à partir de
10 ans et plus, puisque prévalait l’idée que le Philippin, tel quel,
était un peu moins qu’un chien … »
«
Nos soldats ont introduit de l’eau salée dans les hommes, ‘pour les
faire parler’, ils ont emprisonné les gens qui levaient les mains et qui
se rendaient pacifiquement, et une heure après, sans un atome de preuve
montrant qu’ils étaient des insurgés, ils les ont planté sur un pont et
ils les ont tué un à un par coup de feu, pour qu’ils tombent dans l’eau
et flottent comme exemple pour ceux qui trouvaient ces corps criblés de
balles. »
Pour
défendre ces tactiques, le correspondant souligne que « ce n’est pas
une guerre civilisée, mais nous n’avons pas à faire à des gens
civilisés. L’unique chose qu’ils connaissent et dont ils ont peur est la
force, la violence et la brutalité. » [Philadelphia Ledger, le 19
novembre 1900]
En
1901, des anti-impérialistes au Congrès sont sortis à la lumière et ont
dénoncé les tactiques brutales de Bell. Cependant, les stratégies de
Bell ont été acclamées par les militaires comme une méthode raffinée de
pacification.
Dans
un livre de 1973, un historien militaire favorable à Bell, John Morgan
Gates, a qualifié d’ « exagérés « les rapports sur ces atrocités et a
salué « une compréhension excellente de Bell du rôle de la bienveillance
dans la pacification ».
Gates
a rappelé que la campagne de Bell au Batanga a été considérée par des
stratèges militaires comme une pacification « dans sa forme la plus
perfectionnée ». ir : « Schoolbooks and Krags : The United States Army
in the Philippines, 1898-1902 de Gates ».
Ils propagent la méthodologie
Au
début du siècle, la méthodologie de pacification a aussi été un cliché
populaire parmi les puissances coloniales européennes. De la Namibie à
l’Indochine, les Européens ont eu des difficultés pour soumettre les
populations locales.
Souvent
le massacre sans limites a donné des résultats, comme les Allemands
l’ont démontré avec les massacres de la tribu Herrero en Namibie entre
1904 et 1907. Mais les stratèges militaires ont souvent comparé leurs
notes sur des techniques plus subtiles de terreur sélective combinée
avec des manifestations de bienveillance.
Les
stratégies de contre-insurrection sont revenues à la mode après la
Deuxième Guerre mondiale quand de nombreux peuples opprimés ont exigé
une indépendance du régime colonial et que Washington s’est préoccupé de
l’expansion du communisme. Dans les années cinquante, la rébellion Huk
contre la domination des EU a recommencé à transformer les Philippines
en laboratoire, et ils se sont clairement rappelé les leçons passées de
Bell.
«
La campagne contre le mouvement Huk aux Philippines … s’est
considérablement ressemblée à la campagne américaine de presque 50 ans
avant », a remarqué l’historien Gates. « L’objectif américain vers le
problème de la pacification avait été étudié ».
Mais
la guerre contre les Huk a eu quelques nouveaux objectifs,
particulièrement le concept moderne de la guerre psychologique ou
psy-war.
En
suivant les stratégies pionnières du général de division de la CIA,
général Edward G. Lansdale, la guerre psychologique a été un nouveau
tour de l’ancien jeu de briser la volonté d’une population cible. L’idée
était d’analyser les faiblesses psychologiques d’un peuple et de
développer des « sujets » qu’ils puissent induire des actions favorables
à ceux qui réalisaient l’opération.
Bien
que la guerre psychologique inclût la propagande et la désinformation,
elle était aussi basée sur des tactiques de terreur de nature
démonstrative. Un pamphlet de la guerre psychologique de l’armée, qui
est basé sur l’expérience de Lansdale aux Philippines, défendait « la
violence criminelle exemplaire – l’assassinat et la mutilation de
captifs et l’exhibition de leurs corps », selon « Instruments of
Statecraft » de Michael McClintock.
Dans
ses mémoires, Lansdale s’est vanté d’un truc légendaire de la guerre
psychologique utilisé contre les Huk, qui étaient considérés
superstitieux et peureux d’une créature similaire à un vampire appelée asuang.
« L’escadron de la guerre psychologique montait une embuscade le long d’un sentier utilisé par les Huk », a écrit Lansdale.
Quand
une patrouille Huk apparaissait par le sentier, les participants à
l’embuscade capturaient le dernier homme de la patrouille, sans que leur
action ne fût détectée dans l’obscurité de la nuit. Ils perforaient
deux trous dans son cou, comme si cela avait été un vampire, soutenaient
le corps par les pieds, le vidaient d’un sang, et replacaient le
cadavre dans le sentier. »
«
Quand les Huk revenaient chercher le disparu et trouvaient leur
compagnon saigné à blanc, tous les membres de la patrouille croyaient
que l’asuang en avait fini avec lui. » Voir : « In the midst of wars de
Lansdale ».
La
rébellion Hukfut aussi témoin du perfectionnement des zones de libre
feu, une technique utilisée effectivement par les forces de Bell un
demi-siècle avant. Dans les années cinquante, ils ont assigné des
escadrons spéciaux pour faire le sale travail.
«
La tactique spéciale de ces escadrons était de clôturer des zones ;
tous ceux qui se trouvaient dans celles-ci étaient considérés comme
ennemi », a expliqué un colonel philippin favorable aux EU « Presque
tous les jours on trouvait des corps flottant dans la rivière, plusieurs
d’eux s victimes de l’Unité Nenita du major [Napoléon] Valeriano » Voir
: « The Huk Rebellion : À Study of Peasant Revolt in the Philippines de
Benedict J. Kerkvliet. »
Vers le Viêt-Nam
La
répression heureuse des Huk a mené les architectes de la guerre à
partager leurs leçons dans d’autres endroits en Asie et au delà.
Valeriano a été coauteur d’un important manuel étasunien sur la
contre-insurrection et a fait partie de l’effort de pacification
étasunienne au Viêt-Nam, avec Lansdale.
En
suivant le modèle philippin, les Vietnamiens ont été entassés dans des «
villages stratégiques » ; déclarées « zones de libre feu », les maisons
et les cultures ont été détruites ; et le programme Phoenix a éliminé
des milliers de cadres présumés Vietcong.
Les
stratégies implacables ont été absorbées et acceptées, même par des
personnages militaires amplement respectés, comme le général Colin
Powell qui a servi deux fois au Viêt-Nam et a appuyé la pratique
routinière d’assassiner des hommes vietnamiens comme une partie
nécessaire de l’effort de contre-insurrection.
«
Je me rappelle une phrase que nous utilisons sur le terrain, MAM, pour
military-age male [homme en âge militaire] » a écrit Powell dans ses
mémoires si saluées My American Journey.
«
Si un hélico [hélicoptère étasunien] voyait un paysan avec des pyjamas
noirs qui paressait suspect, un MAM possible, le pilote tournait et
tirait face à lui. S’il bougeait, son mouvement était jugé comme une
intention évidente hostile, et la bordée suivante n’était pas lancée en
face de lui, mais contre sa personne. »
«
Brutal ? Peut-être. Mais un commandant de bataillon très capable avec
qui j’avais servi dans la Gelnhausen [Allemagne de l’Ouest], le
lieutenant colonel Walter Pritchard, est mort par le feu de
francs-tireurs ennemis pendant qu’il observait des MAMs depuis son
hélicoptère. Et Pritchard fut un parmi bien d’autres. La nature du tuer
ou mourrir au combat tend à émousser des perceptions fines du bien et
mal. »
En
1965, la communauté des renseignements des EU a formalisé ses leçons
apprises de contre-insurrection de la pire façon, en établissant un
programme de secret maximum appelé Project X. Basé au Centre et à
l’École d’Intelligence de l’Armée des EU à Fort Holabird, dans le
Maryland, le projet a été basé sur une expérience sur le terrain et a
développé des plans de formation pour « fournir un entraînement en
intelligence à des pays étrangers amis », selon un rapport du Pentagone
préparé en 1991 et publié en 1997.
Appelé
« guide pour la conduite d’opérations clandestines », le « Project X » a
été utilisé par l’École d’Intelligence des EU à Okinawa pour entraîner
pour la première fois des Vietnamiens et, peut-être, d’autres étrangers
», signale le rapport.
Linda
Matthews, de la Division de Contre-espionnage du Pentagone, a rappelé
qu’en 1967-68 une partie du matériel d’entraînement du Project X a été
préparé par des employés en liaison avec le programme Phoenix. « Elle a
suggéré la possibilité qu’une partie du matériel délictueux du programme
Phoenix ait pu être intégrée aux matériels du Project X à l’époque »,
dit le rapport du Pentagone.
Dans
les années soixante-dix, le Centre et l’École d’Intelligence de l’Armée
des EU ont déménagé à Fort Huachuca en Arizona et ont commencé à
exporter du matériel du Project X aux groupes d’aide militaire des EU
qui travaillaient avec « des pays étrangers amis ». Vers le milieu des
années soixante-dix, du matériel du Project X arrivait à des armées dans
le monde entier.
Dans
son étude de 1992, le Pentagone a reconnu que le Project X a été la
source de nombreuses leçons « réprouvables » de l’École des Amériques,
où des Officiers Latinoaméricains ont été entraînés aux chantages,
séquestrations, assassinats et espionnage contre des adversaires
politiques non violents.
Mais
la révélation de toute l’histoire a été bloquée juste à la fin du
premier gouvernement Bush, quand les hauts fonctionnaires du Pentagone
qui travaillaient pour le secrétaire de la Défense de l’époque Dick
Cheney, ont ordonné la destruction de la plupart des fichiers du Project
X. Voir : « Lost History » de Robert Parry.
Une vie dangereuse
Vers
le milieu des années soixante-dix, une partie des leçons étasuniennes
de contre-insurrection était aussi arrivée en Indonésie. L’entraînement
militaire des EU a été rapide, parce que Washington considérait que le
leader neutraliste Sukarno était politiquement suspect. L’entraînement
fut permis uniquement pour faciliter l’influence des EU sur les forces
armées indonésiennes qui étaient considérées plus fiables.
L’aide
étasunienne et l’entraînement ont consisté presque entièrement en «
action civique » de nature inoffensive, ce qu’ on pense en général
consiste à la construction de routes, à la fourniture de personnel de
cliniques de santé et à la réalisation d’autres activités « de cœurs et
d’ esprits » avec des civils. Mais l’ « action civique » a aussi servi
de couverture en Indonésie, comme aux Philippines et au Viêt-Nam, à la
guerre psychologique.
Les
connexions secrètes militaires entre les EU et l’Indonésie ont eu leur
compensation pour Washington quand a éclaté une crise politique, qui
menaçait le gouvernement de Sukarno.
Pour
contrer le puissant Parti Communiste d’Indonésie, connu comme PKI, les
Bérets Rouges de l’armée ont organisé le massacre de dizaines de
milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. Les nombreux corps qui ont
été jetés dans les rivières de la Java Orientale les ont teintées de
sang.
Dans
une classique tactique de guerre psychologique les cadavres gonflés ont
aussi servi d’avertissement politique aux villages en aval.
«
Pour assurer qu’ils ne coulaient pas, les cadavres ont été délibérément
attachés ou empalés avec un pieu en bambou », a écrit le témoin
oculaire Pipit Rochijat. « Et le départ des cadavres de la région Kediri
par le Brantas a atteint son âge d’or quand les corps ont été entassés
dans les radeaux sur lesquels ondoyaient orgueilleusement le drapeau du
PKI ». Voir : « Am I PKI or Non-PKI ? » de Rochijat, Indonésie, octobre 1985.
Quelques
historiens ont attribué la violence grotesque à une armée démente qui
s’est lancée dans une « brutalité non planifiée » ou dans une « hystérie
massive » qui a finalement conduit au massacre de près d’un million et
demi d’indonésiens, plusieurs d’entre eux d’origine chinoise.
Mais
la tactique répétée de mettre des corps en exhibition insupportable
s’adapte aussi aux doctrines militaires de guerre psychologique
[psy-war], mots que l’un des principaux assassins militaires a utilisés
de façon non traduite pour ordonner l’élimination du PKI.
Sarwo
Edhie, chef du bataillon para-commando politique connu comme les Bérets
Rouges, a remarqué que « il ne faut pas donner l’occasion de se
concentrer/consolider » à l’opposition communiste. « Elle doit
systématiquement être repoussée par tous les moyens, y compris la guerre
psychologique ». Voir : « The Revolt of the G30S/PKI and Its
Suppression » traduit par Robert Cribb dans The Indonesian Killingsr
Sarwo
Edhie avait été identifié comme contact de la CIA quand il a servi à
l’ambassade indonésienne en Australie. Voir : « Pacific, mai - juin 1968
».
Sympathie dans les médias des Etats-Unis.
La
réaction de l’élite des Etats-Unis devant l’horrible massacre fut et
continue à être ambivalente depuis ce temps-là. Le gouvernement de
Johnson a nié toute responsabilité dans les massacres, mais le
journaliste du New York Times, James Reston, a parlé pour beaucoup de
leaders d’opinion quand il a favorablement qualifié les événements
sanglants en Indonésie de « rayon de lumière en Asie ».
Les
démentis étasuniens quant à leur participation se sont maintenus
jusqu’à 1990 quand des diplomates des EU ont admis devant un journaliste
qu’ils avaient aidé l’armée indonésienne grâce à la fourniture de
listes de communistes présumés.
«
C’était réellement une grande aide pour l’armée », a dit le
fonctionnaire de l’ambassade Robert Martens à Kathy Kadane de States
News Service.« J’ai probablement beaucoup de sang sur mes mains, mais ce
n’est pas si mauvais. Il y a un temps où il faut frapper fort à un
moment décisif ». Martens avait dirigé l’équipe des EU qui ont établi
les listes de la mort.
L’histoire
de Kadane a provoqué une réaction significative de l’auteur confirmé
des éditoriaux du Washington Post, Stephen S. Rosenfeld. Il a accepté le
fait que des fonctionnaires des Etats-Unis ont aidé « cet épouvantable
massacre », mais ensuite il a justifié les assassinats.
Rosenfeld
a argumenté que le massacre « fut, et continue d’être amplement
considéré comme la chance sombre mais méritée d’un parti révolutionnaire
conspirateur que représentait le même monstre communiste qui était en
marche au Viêt-Nam ».
Dans
une colonne intitulée : « L’Indonésie 1965 : L’année pour vivre
cyniquement ? » Rosenfeld a justifié que « ou l’armée liquidait les
communistes, ou les communistes liquidaient l’armée », on pensait :
L’Indonésie était un domino, et la fin du PKI a maintenu l’Indonésie
dans le monde libre …
«
Bien que les moyens fussent gravement déshonorants, on peut dire que
nous –les exigeants ainsi que les obstinés et les cyniques – jouissons
des fruits de la stabilité géopolitique de cette partie importante de
l’Asie, de la révolution qui n’a jamais eu lieu ». Washington Post, 13
juillet 1990
Cependant,
le goût fut beaucoup plus amer pour les peuples de l’archipel
indonésien. En 1975, l’armée du nouveau dictateur de l’Indonésie, le
général Suharto, a envahi l’ancienne colonie portugaise du Timor
Oriental. Quand les timorais orientaux ont offert de la résistance,
l’armée indonésienne est revenue aux atrocités habituelles et a lancé un
vrai génocide contre la population.
Un missionnaire catholique a fourni un témoignage direct d’une mission de recherche et de destruction au Timor Oriental en 1981.
«
Nous avons vu de nos propres yeux le massacre de gens qui se rendaient :
tous morts, y compris femmes et enfants, même les plus petits … ils
n’ont même pas sauvé les femmes enceintes : elles ont été étripées … Ils
ont fait la même chose qu’ils avaient fait aux petits enfants l’année
précédente, ils les ont saisis par les jambes et ont frappé leurs têtes
contre des roches …
«
Les commentaires d’officiers indonésiens révèlent la qualité morale de
cette armée : « Nous avons fait pareil [qu’en 1965] à Java, Bornéo,
Célèbes, Irian Jaya, et cela a donné des résultats » ». Voir : “East
Timor : Land of Hope” d’A. Barbedo de Magalhaes.
Les
références au succès du massacre de 1965 n’ont pas été rares. Dans
Timor : « A People Betrayed », l’auteur James Dunn a remarqué que « du
côté indonésien, il y a eu de nombreux rapports selon lesquels beaucoup
de soldats ont vu leur opération comme une phase de plus dans la
campagne pour éliminer le communisme qui est venu après les événements
de septembre 1965 ».
Les
stratégies classiques de guerre psychologique et de pacification ont
été inconditionnellement suivies au Timor Oriental. Les indonésiens ont
exhibé des cadavres et les têtes de leurs victimes. Les timorais ont
aussi été dirigés vers des camps contrôlés par le gouvernement avant
d’être repositionnés d’une manière permanente dans des « villages de
réimplantation » loin de leur maison.
«
Le problème est que les gens sont obligés à vivre dans ces
installations et qu’on ne leur permet pas de voyager dehors, » a dit
monseigneur Costa Lopes, administrateur apostolique de Dili.« C’est le
motif principal pouruoi les gens ne peuvent pas cultiver assez
d’aliments. » Voir :« Indonesia’s Forgotten War : The Hidden History of
East Timor » de John G. Taylor.
Une aversion publique
À
travers la télévision dans les années soixante et soixante-dix, la
Guerre du Viêt-Nam a fini par rapprocher les horreurs de la
contre-insurrection de millions d’Etasuniens. Ils ont vu comment des
soldats des Etats-Unis incendiaient des villages et obligeaient des
vieilles désespérées à abandonner leurs foyers ancestraux.
Des
équipes de chasseurs d’images ont gravé dans des films les
interrogatoires brutaux de Vietcong présumés, l’exécution d’un jeune
officier Viêt-Cong, et le bombardement d’enfants avec du napalm.
En
effet, la Guerre du Viêt-Nam fut la première fois que les Etasuniens
sont arrivés à être au courant des stratégies de pacification qui
avaient été développées en secret comme politique de sécurité nationale
dès le XIXe Siècle. Résultat, des millions d’Etasuniens ont protesté
contre la conduite de la guerre et le Congrès a imposé tardivement en
1974 la fin de la participation des Etats-Unis.
Mais
les débats doctrinaires de la guerre psychologique n’ont pas été
résolus par la Guerre du Viêt-Nam. Les défenseurs de la
contre-insurrection se sont regroupés dans les années quatre-vingts
derrière le président Ronald Reagan qui a monté une défense enthousiaste
de l’intervention au Viêt-Nam et a réaffirmé la décision d’Etats-Unis
d’employer des tactiques similaires contre des forces gauchistes,
surtout en Amérique Centrale. Voir : « Guatemala : A Test Tube for Repression », Consortiumnews.com, le 3 octobre 2010.
Reagan
a aussi ajouté un nouveau composant important au mélange. En
reconnaissant que les images et les rapports honnêtes de la zone de
guerre avait affaibli l’appui public pour la contre-insurrection au
Viêt-Nam, Reagan a autorisé une opération intérieure agressive de «
diplomatie publique » qui correspond à ce qui a été appelé « gestion de
la perception » – en effet, l’intimidation de journalistes pour assurer
que seule l’information épurée arrivait au peuple étasunien.
Les
journalistes qui ont révélé les atrocités des forces entraînées par les
Etats-Unis, comme le massacre El Mozote par le bataillon Atlacatl au
Salvador en 1981, ont été durement critiqués et leurs carrières
bloquées.
Quelques
opérateurs de Reagan ne se sont pas montrés timides au sujet de sa
défense de la terreur politique comme nécessité de la Guerre Froide.
Neil Livingstone, consultant en contre-terrorisme du Conseil National de
Sécurité, a qualifié les escadrons de la mort « d’un instrument
extrêmement efficient, aussi odieux qu’ il est, dans le combat contre le
terrorisme et les défis révolutionnaires ». Voir : « Instruments of
Statecraft » de McClintock.
Quand
les démocrates au Congrès ont protesté contre les excès des
interventions de Reagan en Amérique Centrale, le gouvernement a réagi
avec plus de pression dans les relations publiques et politiques, en
mettant en cause le patriotisme des critiques. Par exemple,
l’ambassadrice de Reagan danauxNations Unies, Jeane Kirkpatrick, a
accusé tous ceux qui prêtaient attention aux crimes appuyés par les
Etats-Unis « d’accuser d’abord les Etats-Unis »
Beaucoup
de démocrates au Congrès et de journalistes dans le milieu de la presse
de Washington se sont pliés devant les attaques, en donnant beaucoup de
liberté au gouvernement de Reagan pour mener les stratégies brutales «
des escadrons de la mort » au Salvador, en Honduras, au Guatemala et
Nicaragua.
Ce
qui reste clair dans ces expériences en Indonésie, au Viêt-Nam, en
Amérique Centrale et dans d’autres endroits, c’est que les Etats-Unis,
pendant des générations, ont maintenu deux formes de pensée parallèles
mais opposées sur les atrocités militaires et les droits de l’homme :
l’une, d’une bienveillance étasunienne, en général soutenue par le
public, et l’autre de la brutalité dans laquelle la fin justifie les
moyens, embrassée par les spécialistes de la contre-insurrection.
Normalement
les spécialistes mènent leurs actions dans des endroits lointains, sans
que la presse nationale informe beaucoup sur le sujet. Mais parfois les
deux visions en concurrence – d’un Etats-Unis juste et de l’autre
implacable – se heurtent ouvertement, comment c’est arrivé avec le
Viêt-Nam.
Ou
le côté obscur de la politique de sécurité des Etats-Unis est sorti à
la lumière par des exfiltrations non autorisées, comme les photos de
détenus abusés dans la prison Abu Ghraib en Irak, ou par des révélations
sur waterboarding [asphyxie avec de l’eau] et d’autres tortures
autorisées par la Maison Blanche de George W. Bush comme faisant partie «
de la guerre contre la terreur ».
Alors
seulement le public arrive à avoir une idée de la réalité atroce, des
tactiques sanglantes et brutales qui ont été considérées « nécessaires »
pendant plus de deux siècles pour défendre des supposés « intérêts
nationaux ».
Article original en anglais : A Long History of America's Dark Side, Consortium News, le 8 octobre 2010
Traduit de l’espagnol (publication en espagnol par Rebelión) pour « El Correo » de : Estelle et Carlos Debiasi.
Peter Dale Scott
est un écrivain et poète dont les livres se sont concentrés sur la «
politique occulte », « l’intersection d’économie, de criminalité et de
sécurité nationale ». « Nouvel ordre mondial ou nouveau désordre mondial
» (en français). (Pour plus d’information, voyez http://www.peterdalescott.net/)
Robert Parry est un véteran journaliste d’investigation à Washington. (Pour ses livres, voyez http://www.neckdeepbook.com)