UN MONDE NOUVEAU,
UNE NOUVELLE HUMANITE DANS L'HOMME.
« Parce
que notre démocratie représentative est à bout de souffle, elle a fait
son temps et montre ses limites. Une majorité de Français ne se sent ni
écoutée ni représentée, y compris par des élus qu’ils ont pourtant
choisi mais dont ils sentent bien qu’ils sont tenus en laisse par des
lobbies et par les puissances économiques et financières d’un
capitalisme incontrôlable. »
Ce
n'est là qu'une des raisons parmi celles énumérées par Christian Maurel
pour montrer que « l'éducation populaire (est) un immense besoin, une
urgente nécessité ».
Voyons avec lui l'ensemble des objectifs que se fixent ces Etats Généraux de l'Education Populaire.
Michel Peyret
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POUR DES ETATS GENERAUX DE L’EDUCATION POPULAIRE.
L’éducation populaire, un immense besoin, une urgente nécessité. Pourquoi ?
Parce
que nous vivons une crise économique, sociale, environnementale et
anthropologique telle que le monde ne peut continuer en l’état et qu’il
est plus que jamais nécessaire que les hommes reprennent leur destin en
main.
Parce
que nous assistons à un redéploiement des inégalités. De 1960 à nos
jours, selon le Programme des Nations Unies pour le Développement, le
rapport de la fortune et des revenus entre les 5% les plus pauvres de la
planète et les 5% les plus riches serait passé de 1 à 30, à 1 à 72.
« Cet état… ne peut plus subsister et le genre humain périrait s’il ne
changeait de manière d’être » écrivait déjà Rousseau au 18ème Siècle à
propos d’un état de nature dégradé, justifiant ainsi le bien-fondé de
son contrat social.
Parce
que notre démocratie représentative est à bout de souffle, elle a fait
son temps et montre ses limites. Une majorité de Français ne se sent ni
écoutée ni représentée, y compris par des élus qu’ils ont pourtant
choisi mais dont ils sentent bien qu’ils sont tenus en laisse par des
lobbies et par les puissances économiques et financières d’un
capitalisme incontrôlable.
Parce
que le développement accéléré des Nouvelles Technologies de
l’Information et de la Communication remettent chaque jour un peu plus
en contradiction les rapports de travail et au travail hérités de la
modernité industrielle, ainsi que - phénomène nouveau - les rapports
interindividuels, dans l’intimité de chacun, dans la famille, dans la
vie collective, sociale et politique. Ainsi, sommes-nous
vraisemblablement à un tournant décisif de notre histoire, ce moment où
un monde nouveau nait dans l’ancien, un monde dans lequel l’homme peut
devenir son pire ennemi – « un loup pour l’homme », comme le martèle
toute une tradition de pensée allant de Plaute à Freud en passant par
Hobbes -, mais aussi l’acteur lucide et déterminé d’une nouvelle
humanité, comme on peut le voir dans certains mouvements sociaux et de
citoyens en lutte, dans une société civile porteuse de formes émergentes
de démocratie s’attachant à changer les choses sans prendre ni
accaparer le pouvoir.
C’est
ce monde nouveau porteur d’une nouvelle humanité dans l’Homme que
l’éducation populaire veut, à la mesure de ses forces, contribuer à
créer. Selon quels axes de travail ?
Ils sont, à notre sens au nombre de quatre :
Prendre
une conscience plus ample, plus lucide et plus collective de ce qui se
joue, de la réalité des rapports sociaux dans lesquels nous sommes pris,
de la place que l’on pourrait ou devrait y occuper. En quelque sorte,
savoir mieux lire la réalité sociale, pouvoir débusquer, démasquer et
déconstruire les frappes idéologiques qui, en travestissant la vérité,
s’évertuent à rendre inéluctables les postures contraignantes et
aliénantes. « Substituer enfin l’ambition d’éclairer les hommes à celle
de les dominer » écrivait déjà Condorcet dans son Rapport sur
l’Instruction publique de 1792. « Avoir la science de son malheur…
instruire pour révolter » dira, cent ans plus tard, Fernand Pelloutier,
Secrétaire Général de la Fédération des Bourses du travail. « Rendre la
raison populaire », réaffirment aujourd’hui les initiateurs de nouvelles
Universités populaires.
Ouvrir
les chemins d’une émancipation consistant à sortir, aussi modestement
que cela soit (une première prise de parole, un premier engagement…) de
la place qui nous a été assignée par les rapports sociaux, le genre, le
handicap, les accidents de la vie, quelques fois notre culture
d’origine… Ainsi, à la différence d’autres formes d’éducation,
l’éducation populaire n’est pas un acte autoritaire mais un processus
d’autorisation à penser, dire et faire ce qui était préalablement
interdit ou nous semblait impossible.
Augmenter
notre puissance individuelle et collective d’agir en passant du
« pouvoir sur » (potestas) que l’on subit ou que l’on impose – et
souvent que l’on impose parce que on le subit -, au « pouvoir de »
(potentia), ce que nous nommons la « puissance d’agir », cette capacité à
peser sur les choses et à décider de sa destinée. Cette puissance
d’agir est d’autant plus forte qu’elle est démocratique, souveraine, ni
déléguée ni aliénée, mais qu’elle engage chacun dans l’expression,
l’analyse et la mise en propositions délibératives des contradictions
qui traversent la société et chacun d’entre nous. Autrement dit, il
s’agit de fertiliser nos désaccords et non de les nier, de traduire les
souffrances en paroles, en savoirs puis en propositions d’actions, pour
ainsi construire de nouvelles coopérations publiques et collectives qui
n’entament pas les capacités de création, d’interpellation, de
contribution et d’action des individus. C’est souvent ce qui
s’expérimente et se vit dans les mouvements sociaux et les associations
qui font de l’éducation populaire et de la démocratie la plus
participative, leur projet et leur mode d’action.
Se
transformer et transformer les rapports sociaux et politiques, l’un
n’allant pas sans l’autre. Cette ambition est la clé de voûte d’une
éducation populaire réactualisée et à la dimension des enjeux de notre
temps.
Ne
s’agit-il-pas en effet de construire une nouvelle figure de l’homme
dans une nouvelle configuration sociale par la mise en mouvement
d’individus conscients, à l’esprit critique plus aiguisé, émancipés ou
en voie d’émancipation, et mobilisant leur intelligence et leur
puissance collective d’agir au service d’un nouveau projet de société en
construction ?
Les
individus, auteurs et acteurs de leur devenir, se mettent alors à faire
l’Histoire comme on peut le voir dans les différents mouvements
sociaux, éducatifs, culturels et politiques qui jalonnent le temps, les
plus parcellaires comme les plus spectaculaires. Dans ce basculement
vertueux de la résignation à l’indignation puis à la mobilisation,
l’éducation populaire a toute sa place, forte des expériences qu’elle a
en héritage et portée par sa capacité d’invention.
L’éducation populaire à l’œuvre dans tous les domaines de l’activité humaine ?
Il
est dommageable, tant pour le bien commun que pour l’éducation
populaire elle-même, que de confiner cette dernière dans un ministère
et, comme le font souvent les politiques publiques, de
l’instrumentaliser à des dispositifs plus préoccupés de paix sociale que
de la nécessaire transformation des rapports sociaux et politiques.
L’éducation populaire est « humaine et rien de ce qui est humain ne lui
est étranger » pour reprendre la formule de Térence. Ou plus encore,
elle est « centre partout et circonférence nulle part », pour le dire
avec les mots que Nicolas de Cues, bien avant Pascal, appliquait à la
« machine de l’univers ».
Plus
prosaïquement mais avec détermination, l’éducation populaire a sa place
dans l’économique où elle interroge les manières de produire et de
partager la richesse, dans le politique où elle contribue à une
conscience renouvelée du peuple et à un approfondissement de la
démocratie, dans tous les espaces de construction et de transmission des
savoirs et de la culture où elle expérimente des modes d’action
s’opposant à des rapports d’appropriation inégalitaires, dans le travail
social et l’humanitaire où elle oppose ses visées émancipatrices aux
tendances lourdes de l’assistanat et de la reproduction des rapports de
dépendance… A ceux-ci, on pourrait ajouter d’autres domaines comme le
cadre de vie et l’environnement, les loisirs, les médias, la santé
physique et mentale… et tous les lieux où les hommes pensent, agissent,
coopèrent, vivent et, quelques fois, luttent pour leur survie face à
toutes les contraintes que leur imposent la nature et les violences
humaines.
La
liste serait sans fin des mouvements sociaux, éducatifs et culturels,
des associations, regroupements et collectifs, des coopératives et
autres structures d’économie solidaire, des institutions et réseaux
locaux, nationaux et internationaux qui, au quotidien et chacun avec
leurs objets, méthodes et supports, œuvrent à l’émancipation des
consciences et à la transformation d’un monde en recherche d’une
nouvelle humanité.
Qu’attendre d’Etats Généraux de l’éducation populaire ?
Sans
préjuger d’une réflexion qui doit rester largement ouverte tant dans
les idées que dans les engagements de chacun, on peut cependant avancer
les hypothèses suivantes :
Établir
des cahiers de doléances, de propositions et de revendications qui
témoigneraient des expériences, des situations et des attentes de chacun
dans les domaines les plus divers : économique, social,
environnemental, politique, éducatif, culturel, socioculturel, loisirs…
Un état des lieux et des pratiques de l’éducation populaire, même s’il
ne peut prétendre à l’exhaustivité, est plus que jamais nécessaire.
Repenser
et réaffirmer le sens profond d’une éducation populaire héritière de
son histoire et désormais confrontée à une globalisation planétaire qui
requiert une expérimentation sans limites ainsi que la construction
d’alliances avec les forces de transformation sociale les plus inédites.
L’éducation populaire doit plus que jamais ouvrir portes et fenêtres,
faire tomber les murs, jeter des ponts, et s’émanciper des cadres
institutionnels dans lesquels elle s’est trop facilement enfermée, par
choix, par instrumentalisation des pouvoirs en place, ou tout simplement
pour se préserver des fureurs du monde.
Travailler
à une reconnaissance publique de la place qu’entend occuper une
éducation populaire répondant aux enjeux de notre temps et à sa mission
éminemment sociale et politique. L’éducation populaire a, en effet,
besoin d’une loi de liberté l’autorisant à agir dans tous les domaines
où les femmes et les hommes cherchent à s’émanciper des contraintes que
les logiques sociales, économiques et environnementales font peser sur
eux.
Construire
les espaces associant chercheurs, praticiens et praticiens-chercheurs
attachés à la construction pluridisciplinaire d’une « science de
l’action », à la conception de nouvelles expériences et à la
socialisation des savoirs de la pratique. L’éducation populaire, comme
tout domaine d’activité, a plus que jamais besoin de se construire une
intelligence collective et partagée de ses modes d’action ainsi que du
sens et des objectifs qui les guident.
La
tache qui nous attend est immense tant les enjeux sont multiples et les
choix décisifs. Cette tache est à la fois culturelle, sociale et
politique.
Culturelle
au sens où l’éducation populaire doit s’attacher à la construction des
savoirs et des méthodes, des modes de représentation et d’organisation
nous permettant de mieux comprendre notre situation dans le monde, de la
décrire, de lui donner un sens, pour pouvoir la transformer
collectivement et en conscience.
Sociale
et politique au sens où, dans tous les domaines de l’activité humaine,
l’éducation populaire - éducation du peuple, par le peuple, pour le
peuple - doit contribuer à libérer, créer et organiser les consciences
et les forces favorables à un nouvel âge de la démocratie, mais d’une
démocratie qui, loin de se limiter à un régime particulier et à un mode
de gouvernement parmi d’autres, doit être pensée comme l’engagement
d’individus devenus des sujets politiques venant déborder, subvertir et
transformer les logiques sociales en place.