« Il est devenu de bon ton, écrit Le Petit Blanquiste, d’affirmer que les crimes et exactions qui accompagnèrent les
conquêtes et les occupations coloniales se sont déroulées dans un silence
complice généralisé et que ce serait un archaïsme d’affirmer le contraire.
L’exemple de Paul Vigné d’Octon nous montre que c’est faux. Même à
contre-courant, il y a toujours eu des opposants à l'impérialisme français et à
ses crimes. »
Faisons donc connaissance avec Vigné
d'Octon.
Michel Peyret
Vigné d'Octon et les crimes coloniaux de la République
A un moment où l’armée française nous rejoue sans gloire la
prise de Tombouctou, le moins qu’on puisse faire est de rappeler comment, à une
autre époque, d’autres soldats de la République ont martyrisé cette région
d’Afrique.
Paul Vigné d’Octon, médecin de la Navale, affecté au
Sénégal puis en Guinée dans les années 1880, en a été le témoin révolté.
En 1885, il accompagne une colonne d’infanterie de marine chargée
de consolider le contrôle de la France sur la région des Rivières du Sud (Guinée
actuelle) alors divisée par des rivalités entre deux chefs locaux. La mission
est d’appuyer un camp contre l’autre en supprimant trois villages et en faisant
disparaître leurs chefs. Les villages sont effectivement brûlés et leurs chefs
abattus avant que la troupe française se replie abandonnant le terrain à ses
supplétifs qui torturent et achèvent les blessés.
Ecœuré par cet épisode et par bien d’autres, et désireux de
témoigner de tout ce qu’il voit, Vigné expédie d’abord des articles à des
journaux sous des pseudonymes divers puis démissionne finalement de l'armée.
Peu après, il se présente à la députation dans sa circonscription
de l’Hérault. Il est élu et sera réélu deux fois.
A la Chambre des députés, il accuse la politique coloniale de la
France et s'oppose à l'octroi des crédits destinés à financer les expéditions
militaires.
Quand il interpelle le chef du gouvernement c'est pour lui
demander de mettre fin à la politique de conquête coloniale, cause de « ces
actes abominables » qui « porteraient à croire que les véritables sauvages ne
sont pas au Soudan ». [1]
C'est lui encore qui dénonce le massacre perpétré dans le village
d’Ambike à Madagascar. Un adjoint de Galliéni, gouverneur de l’île, commande ce
meurtre de nuit contre une population endormie. Mitraillées ou éventrées à la
baïonnette, les victimes (femmes et enfants compris) se comptent entre 2.500 et
5.000.
« Quand il fit grand jour, la ville n’était plus qu’un affreux
charnier dans le dédale duquel s’égaraient les Français, fatigués d’avoir tant
frappé », raconte Vigné.
En 1899, il sera celui qui révèle les crimes que l’armée française
est en train de commettre en Afrique où, durant une mission de reconnaissance
sur des territoires situés entre le Niger et le Tchad, deux officiers, le
capitaine Voulet et le lieutenant Chanoine, se livrent à des massacres
monstrueux jonchant leur parcours de milliers de cadavres, et de villages
dévastés et incendiés.
Le gouvernement finira par ordonner l’arrestation des deux
officiers mais l’affaire est enterrée par la Chambre des députés qui rejette à
une écrasante majorité la commission d'enquête demandée par Vigné.
En 1910, Vigné obtient du gouvernement l'autorisation de conduire
une mission d'information en Afrique du Nord au désagrément des milieux
coloniaux qui le redoutent, certains le considérant « plus dangereux que
les criquets »...
Persuadé que le gouvernement allait censurer ses rapports, Vigné
les fait publier dans les colonnes du journal antimilitariste La Guerre
sociale, puis les regroupe dans une brochure intitulée La Sueur du
Burnous. Il y dénonce notamment les spoliations des meilleures terres
tunisiennes : « On ne compte plus le nombre de tribus qui après avoir été
chassées des terres assez fertiles qui les nourrissaient et refoulées sur un sol
ingrat, en ont été dépouillées le jour même où l’on y découvrit des richesses
minières à exploiter... »
Après la guerre 1914-1918, il publie un nouveau pamphlet où il
condamne entre autres les atrocités de la guerre menée en Syrie et au Liban lors
de l’expédition du général Gouraud.
C'est aussi à cette époque, qu'un jeune vietnamien Nguyen
Aï Quoc (le futur Ho Chi Minh) demande à le rencontrer. De leur travail en
commun à la Bibliothèque nationale, celui qui conduira les guerres de
libération de son pays contre la France et les Etats-Unis puise des éléments qui
contribueront à l’écriture de deux de ses brochures : Les opprimés et
Procès de la colonisation. [2]
Il est devenu de bon ton d’affirmer que les crimes et exactions
qui accompagnèrent les conquêtes et les occupations coloniales se sont déroulées
dans un silence complice généralisé et que ce serait un archaïsme d’affirmer le
contraire. L’exemple de Paul Vigné d’Octon nous montre que c’est faux. Même à
contre-courant, il y a toujours eu des opposants à l'impérialisme français et à
ses crimes.
[1] Il s’agit, au temps de l’Afrique occidentale française, du «
Soudan français » ou « Soudan occidental » devenu aujourd’hui le Mali.
[2] En exergue de ce dernier écrit, Ho Chi Minh place une citation
de Paul Vigné d’Octon : « Après avoir volé des terres fertiles, les requins
français prélèvent sur les mauvaises terres des dîmes cent fois plus
scandaleuses que les dîmes féodales. »
21 février 2013