Ma plus
grande fierté est d'avoir conscience, à 84 ans, d'être resté fidèle aux rêves de mes
vingt ans.
Seuls des
plumitifs, marmonnant le "bréviaire de la haine", se sont acharnés à écrire
"l'histoire de mes variations", en collectionnant les étiquettes :
chrétien, marxiste,
musulman, sans imaginer qu'on puisse changer de communauté -surtout
lorsqu'elles vous excluent - sans pour autant changer de but.
Ma joie fut
de sentir combien j'étais compris, au cours de ma vie et de ma lutte contre tous
les intégrismes, par quelques uns des plus hauts esprits de ce siècle..
Depuis
Romain Rolland, qui ne célébra pas seulement la fraternité franco-allemande à travers
son oeuvre majeure : "Jean Christophe" mais fit connaître la grandeur
de Vivekananda et de Gandhi dans la construction de l'unité dumonde.
Sa lettre du
11 mai 1939, où il me félicite de "reprendre la mission de Jean
Christophe"
pour charrier, comme une artère, toutes les forces de vie de l'une
à l'autre
rive", ne reste pas seulement un tison qui me réchauffe aux heures des
plus
haineuses attaques, mais aussi le fil conducteur de ma pensée et de mon
action
depuis 60 années.
Dans cette
recherche d'une "fissure pour la grâce" chez ceux de nos
compagnons
communistes athées, je fus aidé par le plus éloigné pourtant de
mes
convictions politiques : le Père Bruckberger, tenant, en 1938, à me faire
dialoguer
avec Jacques Maritain et Georges Bernanos, en attendant de
m'apporter
par ses lettres, (qu'en 41 l'on pouvait encore faire passer) une
chaleur
d'amour dans le camp de concentration où mon compagnon de camp
et mon frère
d'espérance, Bernard Lecache, fondateur de la LICA (devenue la
LICRA)
m'aidait, par sa connaissance biblique juive, à faire à nos camarades
athées,
internés dans le même camp, des cours clandestins sur "Les Prophètes
d'Israël"
dont l'universalisme et la passion de la justice leur paraissaient
proches et
fraternels.
Après la
Libération, lorsque l'Abbé Pierre, lui député MRP et moi député
communiste,
à la première Assemblée Constituante, nous sommes rencontrés,
une
fraternité naquit dans notre lutte commune contre la répression de la
grève des
mineurs. Depuis lors, nos routes étaient lointaines mais convergentes
dans un
commun amour de la justice que renforçait chacune de nos
rencontres.
De la
continuité de mes efforts témoignent les textes de mes plus lointains
adversaires
politiques d'alors : François Mauriac ou le Général De Gaulle.
Grâce à la
rencontre, à Genève, de Dom Helder Camara (alors Archevêque de
Récife au
Brésil) pour la commémoration de l'Encyclique "Pacem In Terris" du
providentiel
Pape Jean XXIII et du Concile de Vatican II, je créais "L'Institut
International
pour le Dialogue des Civilisations" qui nous permit de fonder, au
Sénégal,
dans l'île de Gorée, avec le Président Senghor : "L'Université des
Mutants"
pour aider au développement "endogène" de l'Afrique, puis, en
Espagne, le
seul musée évoquant la présence musulmane en Andalous.
Ce Musée fut
inauguré, en 1987, sous la présidence conjointe de Dom Helder
Camara, du
Directeur musulman de l'UNESCO : Mokhtar M'bow, avec un
merveilleux
message inaugural de Yehudi Menuhin. Aujourd'hui encore, 10 ans
après,
100.000 visiteurs par an, venus du monde entier, y sont accueillis dès
l'entrée par
le juif Maïmonide, le catholique Alphonse X le Sage, et le soufl
musulman Ibn
Arabi.
A Paris,
comme en témoignent les lettres de ce recueil, mon marxisme était
accueilli
avec respect, et enrichi dans des polémiques cordiales avec Sartre sur
l'existentialisme
et avec Lévi-Strauss sur le structuralisme.
Puis ce fut
la grande aventure et la grande ouverture qui se développa avec le
dialogue
chrétiens - marxistes que j'organisais dans le monde, du Canada et de
l'Amérique à
l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie, avec les grands théologiens de
notre temps,
en général experts au Concile Vatican II, comme le Père Chenu ou
le Père
Rahner, ou protestants comme Jurgen Moltman le "théologien de
l'espérance"
ou le Pasteur Hromadka, figure de proue du christianisme dans les
pays de
l'Est.
Au centre de
tout cela : Jésus, sur lequel le Père Carré, en un recueil
retentissant,
pose aux personnalités les plus diverses la question : "Pour vous,
qui est
Jésus-Christ ?".
De la
réponse que je lui donnai, et qu'il publia largement, j'ai pu écrire, en 1997
:
"Cette réponse date d'une époque où j'étais un dirigeant communiste. Je
suis
aujourd'hui
musulman et je n'éprouve pas le moindre besoin d'y changer un
seul
mot."
Les témoins,
parmi tant d'autres, dont j'invoque, dans le présent reliquaire, le
témoignage
écrit, ne se sont pas trompés sur la continuité de mon combat : pas
plus Dom
Helder Camara, dont le fidèle amour est une grande force, que le
Père Chenu,
l'Abbé Pierre ou le théologien Leonardo Boff qui ont préfacé les
ouvrages du
musulman que je suis.
Certes, ce
ne fut pas sans difficultés avec une presse au service de la "pensée
unique".
Le Parti
dont j'étais membre depuis 33 ans et l'un des dirigeants depuis 20 ans,
m'exclut, en
1970, lorsque je déclarai :
"L'Union Soviétique n'est pas un pays socialiste".
Certains
chrétiens s'émurent lorsque j'écrivis :
"Le Christ de Paul n'est pas Jésus !"
Certains musulmans
n'aimèrent pas que je dise :
" L ' islamisme est une maladie de l '
Islam " , et moins encore que
j'affirme,
recevant le
"Prix Faycal":
"J'entre en Islam avec la Bible sous un bras et le
" Capital " de Marx sous
l'autre."
Tout cela
donna lieu à des polémiques vives mais courtoises.
Il en fut
autrement lorsque je déclarai [Dans le livre "Les mythes fondateurs de la politique israélienne", interdit en France - NDLR]:
"Le Judaïsme est une religion que je respecte.
Le sionisme est une politique
que je combats."
Alors un
lobby sioniste, prétendant parler au nom de tous les juifs, appela la
police et la
justice.
J'avais
pourtant précisé qu'il s'agissait exclusivement de politique, d'une
politique
israélienne colonialiste qui pouvait servir de détonateur à une
troisième
guerre mondiale. En effet, cet Etat, qui se prétend titulaire d'une
donation
signée : DIEU, viole systématiquement les lois internationales
(notamment
les condamnations des Nation-Unies) grâce à l'appui
inconditionnel
des Etats-Unis. Il menace la sécurité de tous les Etats voisins en
occupant
illégalement leurs frontières et en visant à leur désintégration, avec
l'approbation
vociférante des plus sectaires. En 1982 l'année de l'invasion du
Liban où
furent assassinés 20.000 civils libanais, et massacrés les Palestiniens de
Sabra et de
Chatila, Elie Wiesel écrivait : " Comme juif appartenant à l a
génération traumatisée qui est la nôtre, je suis totalement solidaire de ce qui
se passe en Israël. Ce que fait Israël, Israël le fait en mon nom aussi. " (Paroles
d'étranger.-1982).
(Exemple typique de l'équation menteuse : Juif = Sioniste)
Et ceci se
traduit par le mépris de "l'autre" :
Bernard-Henri
Levy, par exemple, pousse à son terme la haine de la culture
française.
Dans son livre : "L'idéologie française", unissant dans un même
mépris
Voltaire et Péguy, il écrit : "C'est toute la culture française
.... q ui
témoigne de notre ancienneté dans l'abjection." (p. 61) et qui fait de la France
: " la patrie du national -
socialisme . " (p. 125)
Puis c'est
le tour de l'Allemagne tout entière proclamée par un certain
Goldhagen : " un peuple de tueurs
!"
Goethe comme
Wagner, Thaelman comme Karl Barth devenant sans doute les
fondateurs
de la Gestapo, comme Voltaire et Péguy ceux de la milice !
Après quoi,
avec le film américain : "The Nazi Gold", c'est tout le peuple suisse
qui est
rendu complice de l'infamie de certains de ses banquiers.
De cette
colonisation spirituelle, comme du colonialisme tout court de la
politique
israélienne, tous les peuples se sentent ainsi menacés, comme en
témoigne la
traduction en 21 pays de mon livre "Les mythes fondateurs de la
politique
israélienne" dénonçant le danger d'une guerre à l'échelle mondiale.
Cette menace
est de plus en plus ressentie par tous les peuples par l'infiltration
d'un lobby
de la haine dont la direction est à Brooklyn et les exécutants
mercenaires
à Hébron.
Cette
politique colonialiste menaçant le monde est aujourd'hui la plus
dangereuse
provocation à l'antisémitisme. C'est pourquoi la dénonciation de la
politique
actuelle d'Israël fait partie intégrante de notre lutte permanente
contre
l'antisémitisme.
Heureusement
des juifs du monde entier refusent cette usurpation israélienne.
En Israël
même, des héros osent dénoncer ces mythes malfaisants, comme le
Professeur
Zimmerman de l'Université hébraïque de Jérusalem ou Israël
Shahak
retraité de la même Université.
Aux
Etats-Unis le Rabbin Elmer Berger, qui vient de mourir, et qui fut le
Président de
la Ligue pour le judaïsme aux Etats-Unis fonda la revue :
"Alternative
au Sionisme". Il le fit en plein accord avec le Rabbin Moshe
Menuhin (le
pére du grand musicien Yehudi Menuhin) qui dénonça le
nationalisme
et le militarisme agressif du "sionisme" dans son livre :
"Décadence
of Judaism". Il prévoit prophétiquement les provocations et les
dangers de
cette politique. Mon livre n'est que l'actualisation de ses lucides
prévisions.
Une dépêche
d"'Associated Press" du 10 août 1996, consacrée à la mort du
Rabbin Elmer
Berger, nous apprend que le Rabbin "était d'accord pour écrire la
Préface d'un
livre français : "Les mythes fondateurs de la politique israélienne"
Au temps de
la première invasion du Liban Pierre Mendés-France et Nahum
Goldman
(Président du Congrès juif mondial) protestèrent contre le massacre.
Aujourd'hui,
Finkelraut, qui m'attaqua si violemment lorsque je dénonçais les
mythes
fondateurs de cette politique, considère comme une "catastrophe" le
retour de
"l'apartheid" sous Natanyahu, et un collectif d'intellectuels juifs
parmi
lesquels
Vidal-Naquet et Jacques Derogy dénient au gouvernement israélien le
droit de
parler au nom de tous les juifs lorsqu'il mène sa "politique
suicidaire"
(Le Monde 13
août 1997). Ils rappellent que le juriste Daniel Jacoby salue cette
vague de
résistance en estimant que " la diaspora a été trop longtemps à
l a
remorque du gouvernement israélien sur le
problème de la pai . "
Quelles que
soient les injures haineuses qui m'ont été adressées par certains de
ceux qui
aujourd'hui ont le courage de se dresser contre cette politique de
guerre (sur
laquelle j'ai eu le tort d'avoir raison trop tôt en en déterrant les
racines) je
considère fraternellement les auteurs de cette première résistance
comme des
alliés dans la lutte contre la guerre dont nous sommes menacés.
Si je publie
aujourd'hui les lettres de quelques uns des plus illustres
représentants
de la culture de ce siècle comme mes "Témoins", c'est pour
montrer que
je n'ai pas à me défendre d'un "antisémitisme" que je considère
comme un
crime. Je l'ai prouvé en étant toute ma vie (comme en témoignent
ces lettres)
l'organisateur du "dialogue des civilisations".
Pas plus que
je n'ai à me défendre de mes adhésions critiques à des
communautés
différentes pour essayer toujours de les convier à viser le même
but d'unité
humaine. Sur cette continuité de Romain Rolland à l'Abbé Pierre,
en passant
par le Père Chenu, Sartre, Levy-Strauss, De Gaulle, Mauriac, Dom
Helder
Camara, nul n'a émis le moindre doute en s'adressant à moi, quelle que
soit mon
"étiquette" du moment, pour travailler ensemble à la même oeuvre
d'unité
humaine sans "Elus" ni "Exclus".
Ces lettres,
et bien d'autres, furent mes "tisons" aux heures les plus glaciales
de
60 années de
lutte pour l'unité humaine contre tous les "bréviaires de la haine".
Puisse leur
lecture aider des milliers d'autres, au delà des mensonges qui
pervertissent
la culture et l'histoire, à multiplier, pour le siècle qui vient, des
"Réseaux de résistance au non-sens."
Roger Garaudy
Introduction du livre « Mes témoins », Editions « A
contre-nuit », 1997,
Pages 5 à 10
Pour se procurer le livre "Mes témoins", deux liens parmi d'autres: