« Pourquoi un homme d’Etat,
un chef de gouvernement n’aurait-il pas l’audace de déclarer à la radio ou à la télévision à ses compatriotes :
"Nous tous qui sommes rassemblés sur cette
parcelle de la Terre, vous autant
que moi-même, dans cent ans nous aurons disparu, nous et ceux qui nous entourent,
que nous les aimions, les détestions ou qu’ils nous soient indifférents. Cent
ans, c’est beaucoup pour chacun de nous,
et nombreux sont ceux qui ne les atteindront pas.
Mais c’est une poussière de temps au regard de la marche du
monde et des galaxies. Pensez-y ce soir en regardant le ciel. Ne trouvez-vous
pas non seulement injuste, mais simplement absurde qu’ainsi
soumis au même sort, alors
que la même fin nous attend, nous ne regardions pas notre existence et celle des êtres qui nous entourent comme une seule et même vie ? Ne
pensez-vous pas que ce morceau de temps que nous partageons ensemble devrait
nous amener à partager également les ressources de ce siècle ? (…) Ce bref
passage sur Terre, qui est le lot de chacun de nous, il faut en améliorer le
cours pour tous, puisque nous sommes embarqués sur le même bateau, celui de ce
siècle, navire de plaisance pour les uns, galère pour les autres. Pourquoi ne
deviendrait-il pas un grand voilier profitant des mouvements de l’air et de l’eau, sans cabines de luxe pour les uns ni entrepont pour les autres, dont bénéficieraient
au mieux tous ceux que la vie a réunis à son bord ?" Un tel discours pourrait être entendu. Mais sa réalisation serait redoutée par certains. Si nul n’a plus le souci d’assurer
exclusivement son existence quotidienne et celle des siens, ne risque-t-on pas
de voir surgir des pensées grosses de réflexions refoulées comme celle du sens de la vie, puisque celle-ci est
limitée ? Certes, mais c’est la grandeur de l’être humain, qui "dès sa naissance est déjà assez vieux pour mourir"
(Heidegger), de reconnaître et accepter son inquiétude existentielle. »
Léon Schwartzenberg, Face à la détresse, Ed. Fayard, 1994.
(Texte proposé par Ahmed D.)