[NDLR: NOUS POURSUIVONS LA PUBLICATION DE LARGES EXTRAITS DU LIVRE DE ROGER GARAUDY SUR LENINE PHILOSOPHE. CETTE PUBLICATION TOMBE "A PIC" AU MOMENT OU UNE SERIE D'OUVRAGES D'IDEOLOGUES DE L'ANTI-COMMUNISME VISCERAL PRESENTE LENINE COMME UN AFFREUX DICTATEUR, LES COMMUNISTES COMME DES BOURREAUX, LA REVOLUTION D'OCTOBRE 1917 COMME L'ABOMINATION DE L'HISTOIRE]
Lénine
écrit ses premières oeuvres au moment où meurt
Frédéric
Engels. Sur le plan international, le marxisme
«
orthodoxe » est représenté par Kautsky, théoricien dont
l'autorité
est incontestée dans la IIe Internationale.
En 1880,
il a publié un petit ouvrage sur la démographie et
le
progrès social où, appliquant mécaniquement le darwinisme
à la
sociologie, il transforme la dialectique révolutionnaire
de Marx
en une métaphysique de l'évolution.
L'ouvrage
fondamental de Kautsky : La
doctrine économique
de Marx (1887),
qui eut un immense succès, est le
prototype
des ouvrages de vulgarisation dogmatique du
marxisme.
C'est une réduction positiviste de la pensée de
Marx à
des lois économiques. Toute réflexion sur le fondement
philosophique
est exclue. Le marxisme est présenté
comme
une vérité achevée, à la manière d'un catéchisme.
L'idée
maîtresse de l'oeuvre, c'est que le déterminisme
structurel
du capitalisme est tel que le système s'achemine
inévitablement
et automatiquement à sa perte.
Cette
conception de l'automatisme, de la nécessité mécanique,
est le
fondement théorique de l'opportunisme. Tout
en
élevant « une protestation implacable » contre le régime
politique
et social existant, la doctrine de Kautsky justifiait
la
passivité, puisque le socialisme devait naître d'une
évolution
inéluctable. II suffisait de s'organiser et d'attendre.
Ces
conséquences furent longtemps masquées, chez Kautsky,
par son
exceptionnelle « érudition » marxiste (il
connaît
Marx et Engels par coeur, dira Lénine), par sa
très
grande culture et son talent littéraire d'exposition,
par ses
études historiques et statistiques remarquablement
informées
: la perversion fondamentale du marxisme
ne
pouvait apparaître qu'au moment où, une situation
révolutionnaire
se présentant, il fallait passer delà connaissance
à
l'action. Jusque-là, les analyses « descriptives »
du
développement capitaliste de l'agriculture, par exemple,
pouvaient
être fort riches. C'est pourquoi le détachement de
Lénine à
l'égard de Kautsky s'opérera en deux temps :
d'abord
dans la période qui a suivi la Révolution de 1905
où
Kautsky, après une analyse théorique juste de cette
révolution
(à laquelle il n'avait pas eu à participer), commença
à soutenir
les courants menchevicks, et surtout au
moment
de la guerre de 1914, où la théorie de l'automatisme
révéla
toute sa malfaisance opportuniste et conduisit
Kautsky
à justifier le chauvinisme d'abord, puis toutes les
forces
hostiles à la Révolution socialiste d'Octobre, sous prétexte
que la
Russie n'était pas « mûre pour le socialisme ».
Mais,
dans un premier temps, et surtout jusqu'en 1905,
Lénine
s'appuya sur l'oeuvre de Kautsky pour combattre,
en
Russie, les idéologies rétrogrades empêchant la prise de
conscience,
par le prolétariat, de sa mission historique.
menée
contre les populistes, en 1894, dans son pamphlet :
Ce que sont les amis du peuple . Le point
de départ de la
doctrine
des populistes était idéaliste et subjectif : « La
sociologie
doit partir d'une certaine utopie », écrivait l'un
de leurs
principaux théoriciens, Mikhaïlovski. Disciples
attardés
de Rousseau, ils fondaient leurs jugements sur
une
certaine conception de la « nature humaine » et cherchaient
à
définir un ordre politique et social idéal, c'est-à-dire
conforme
à cette nature. Ils n'avaient pas conscience
que leur
conception de la « nature humaine » et de « l'idée
socialiste
» qu'ils en déduisaient, était l'expression de
l'ordre
social existant : « Il ne comprend pas, dit Lénine
de
Mikhaïlovski, que seul le capitalisme a rendu possible
cette
protestation de l'individu », pas plus d'ailleurs
qu'il ne
comprenait que sa conception particulière de la
«
justice » s'expliquait par le caractère arriéré du capitalisme
russe,
où existaient de multiples survivances féodales:
la critique populiste protestant contre l'oppression
la critique populiste protestant contre l'oppression
au nom
d'une nostalgie des formes primitives de l'économie
capitaliste,
du petit producteur indépendant, devenait
d'autant
plus rétrograde que le développement du capitalisme
s'accentuait
en Russie.
Si le
populisme avait joué un rôle positif de 1860 à 1870-
comme
forme primitive de la protestation pour l'abolition
du
servage féodal, ce rôle devenait désormais négatif.
Leur
théorie sur le développement de la Russie allait à
contresens
de la réalité : « considérant comme seule « morale »
la
petite économie indépendante », ils ne voient dans le
capitalisme
qu'un phénomène accidentel qui ne se développera
pas. Le
prolétariat n'est donc pas la classe d'avant garde.
La
principale force révolutionnaire est la paysannerie
dirigée
par les intellectuels. « La foi dans le régime communautaire
de la
vie russe, d'où la foi en la possibilité d'une
révolution
socialiste paysanne », avait inspiré des luttes
héroïques
au temps du servage. Un quart de siècle plus tard
ce vieux
socialisme paysan russe, devenant la négation du
socialisme
ouvrier, a dégénéré en un vulgaire « opportunisme
petit-bourgeois
», « détournant les ouvriers de leur tâche
immédiate
: l'organisation d'un parti ouvrier socialiste ».
Lénine,
qui a alors vingt-quatre ans, combat ces thèses
au nom
d'un marxisme encore sommairement assimilé et vu
surtout
à travers l'interprétation scientiste de Kautsky et
de
Plekhanov. Ce dernier avait déjà mené, contre les populistes,
une lutte
idéologique vigoureuse à laquelle Lénine
n'a
cessé de rendre un juste hommage. En réaction contre
le
subjectivisme populiste Lénine retient, sans les nuances
et les
correctifs que Marx y ajoutait , les affirmations
les plus
tranchantes dans le sens du naturalisme fataliste
de
Kautsky : « le développement de la formation économique
de la
société est assimilable à la marche de la nature
et à son
histoire ».
A cette
étape du débat, pour « saper à la racine cette
morale
puérile qui prétend au titre de sociologie », ce
matérialisme,
même non dialectique, joue un rôle positif,
et
Lénine donne une définition remarquable de ce matérialisme
opératoire
: « la seule méthode scientifique exigeant
que tout
programme exprime exactement le processus
réel ».
Lénine élabore à partir de là le concept de « formation
économique
et sociale » hiérarchisant, comme
l'avait
fait Marx, les divers niveaux de la vie sociale à partir
des
rapports de production, et les saisissant dans leurs rapports
organiques
sans nier leur spécificité ni leur autonomie
relative,
car Lénine souligne que « l'idée de nécessité historique
n'infirme
en rien le rôle de la personnalité en histoire
», mais,
au contraire, permet de définir et de créer les
conditions
du succès de son activité. Lénine proteste enfin
contre
la calomnie (à laquelle déjà Engels avait répondu
dans sa
polémique contre Duhring) selon laquelle Marx
avait
utilisé spéculativement la dialectique pour tenter de
«
prouver avec les triades » : « La méthode dialectique ne
consiste
pas du tout dans les triades, mais dans la négation
des
méthodes de l'idéalisme et du subjectivisme en sociologie».
« Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique
« Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique
— par
opposition à la méthode métaphysique —
n'est ni
plus ni moins que la méthode scientifique en sociologie,
qui
considère la société comme un organisme vivant,
en
perpétuel développement (et non comme quelque chose
de
mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes
de
combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux),
un
organisme dont l'étude requiert une analyse
objective
des rapports de production constituant une formation
sociale
donnée et une étude des lois de son fonctionnement
et de
son développement ».
Il n'y a
pas jusque-là d'apport philosophique de Lénine
non
seulement par rapport à Marx et Engels, mais même
par
rapport à Kautsky et à Plekhanov.
L'originalité
de Lénine s'affirme, par contre, dans la
mise en
oeuvre de ces principes pour l'analyse des conditions
spécifiques
de la société russe de son temps. Son
étude sur Le développement du capitalisme en R
u s s i e (1896-
1899) en
témoigne, de même que sa critique des théories
économiques
des populistes. Il établit que toute l'histoire
de la
Russie, après l'abolition du servage, a consisté dans
« une
expropriation massive des paysans » et que, ce qui
domine,
en cette fin du 19e siècle, ce ne
sont pas les anciens
rapports
patriarcaux mais le rôle croissant du capital, du
capital
commercial surtout. L'économie de marché gagne
rapidement
du terrain. Sous des formes diverses (le travail à
domicile,
par exemple), l'exploitation capitaliste des travailleurs
est le
système dominant, si bien que le prolétariat
des
usines, où l'exploitation de type capitalistes se manifeste
sous sa
forme pure, non dissimulée par des survivances
féodales,
n'a plus de liens qui le rattachent à la vieille
société
: l'ouvrier d'usine est « le représentant avancé de
toute la
population exploitée » . Ce n'est donc pas,
souligne
Lénine, au nom d'une dialectique a priori que
l'on
extrapole à la Russie les schémas élaborés pour
l'Europe
occidentale. Que le rythme de développement
dialectique
défini par Marx s'étende à la Russie,
c'est ce
qui
ressort de la plus méticuleuse analyse des faits.
S'il est
vrai que « l'ouvrier est l'homme de l'avenir en
Russie »,
l'organisation des éléments les plus conscients
de la
classe ouvrière en un parti socialiste est la première
tâche à
accomplir. Ici encore, Lénine suit de très près,
dans son
élaboration de la conception du Parti, les conceptions
de Kautsky.
Dans Que
faire ?, les thèses principales sont
explicitement
empruntées
à Kautsky.
1° La
thèse selon laquelle il n'y a pas de lien mécanique
entre la lutte de classe du
prolétariat et la conscience
socialiste.
2° La
thèse selon laquelle la conscience socialiste ne peut
surgir
que sur la base d'une
profonde connaissance scientifique.
3° La
thèse selon laquelle cette conscience socialiste ne
peut
être apportée que « du dehors » à la classe ouvrière.
4° La
thèse selon laquelle le Parti c'est « la fusion du
mouvement
ouvrier et du socialisme ».
Il n'y a
donc rien de spécifiquement léniniste dans ces
thèses
sur « le Parti d'avant-garde » exposées dans Que
faire
?. Cette conception est celle de Kautsky et
Lénine
le
souligne expressément.
Rien ne
serait donc plus faux et plus dangereux que de
s'en
tenir à Que faire ? pour
définir la conception léniniste
du
Parti. Rien de plus faux, car Lénine lui-même se réfère
constamment
à Kautsky. Rien de plus dangereux, car
l'histoire
nous a montré qu'il suffisait comme l'a fait
Staline,
de substituer le Parti aux « intellectuels bourgeois »
comme
porteurs de la science, pour aboutir à l'idée que le
Parti
(et bientôt son chef seul) est détenteur d'un savoir
absolu,
qu'il est le seul centre d'initiative en face d'une
classe
ouvrière incapable de s'élever au-delà d'une conscience
«
trade-unioniste », et à laquelle il faut « inculquer
l'esprit
de discipline et d'organisation » et faire « des organisations
sans
parti les plus diverses de la classe ouvrière, les
organismes
auxiliaires et les courroies de transmission
reliant
le Parti à la classe » . Il y a là plus qu'une image :
une
conception des rapports entre le Parti et les masses
bloquant
la dialectique et lui substituant un « mécanisme »
de type
militaire où tout vient d'en haut, à partir d'une
« force
directrice » en dehors de laquelle il n'y a plus que
des «
leviers » et des « courroies de transmission », plus
des
hommes mais des choses, plus des sujets mais des
objets.
Nous sommes là aux antipodes du léninisme.
Ce qu'il
importe, à cette étape, de souligner, c'est d'abord
le rôle
éminent attribué à la subjectivité dans l'activité
révolutionnaire
: « Affirmer que les idéologues (c'est-à-dire
les
dirigeants conscients) ne peuvent détourner le mouvement
de la
voie déterminée par l'interaction du milieu
et des
éléments, c'est oublier cette vérité première que la
conscience
participe à cette
interaction et à cette détermination...
Cette
profonde erreur théorique entraîne nécessairement....
une
immense faute de tactique » .
La
conception léniniste de la subjectivité ne cessera de
s'enrichir
notamment en faisant une place toujours plus
grande à
l'initiative historique des masses. Mais déjà
à
l'époque de Que faire ? Lénine
ne réduit nullement la subjectivité
à la
«théorie » interprétée en un sens « scientiste »
comme
chez Kautsky. Certes, c'est à partir de 1905 surtout
que
Lénine prendra clairement conscience que l'initiative
historique
des masses déborde constamment l'anticipation
conceptuelle.
Il écrira alors : « La supériorité morale est
indéniable,
la force morale est déjà écrasante ; sans elle,
bien
entendu, il ne saurait être question d'aucune révolution.
Elle est
une condition nécessaire, mais encore insuffisante.
Quant à
savoir si elle va se muer en une force matérielle
capable
de briser la résistance extrêmement sérieuse
de
l'autocratie... c'est ce que montrera l'issue de la
lutte » .
Mais
déjà dans Que
faire ? Lénine, aux dernières pages
de son
livre, évoque ce qui, dans l'élaboration théorique,
dépasse
la logique interne du concept : « Il faut rêver.
J'écris
ces mots et tout à coup j'ai peur. Je me vois siégeant
au «
Congrès d'Unification », avec en face de moi les rédacteurs
et les
collaborateurs du Rabotcheïe
Dielo... C'est le
camarade
Kritchevski qui se dresse... « Je vous demande :
« un
marxiste a-t-il en général le droit de rêver, s'il n'a
« pas
oublié que, d'après Marx, l'humanité s'assigne
toujours des tâches réalisables ?... »
toujours des tâches réalisables ?... »
« La
seule idée de ces questions menaçantes me donnent
le
frisson et je ne pense qu'à une chose : où me cacher ?
Essayons
de nous retrancher derrière Pissarev :
« « Il y
a désaccord et désaccord, écrivait Pissarev,
« au
sujet du désaccord contre le rêve et la réalité. Mon
« rêve
peut dépasser le cours naturel des événements,
« ou
bien il peut donner un coup de barre dans une direction
où le cours naturel des événements ne peut jamais
où le cours naturel des événements ne peut jamais
«
conduire. Dans le premier cas, le rêve ne fait aucun tort ;
« il
peut même soutenir et renforcer l'énergie du travailleur...
Rien, dans de tels rêves, ne peut pervertir ou
Rien, dans de tels rêves, ne peut pervertir ou
« paralyser
la force de travail. Bien au contraire. Si
«
l'homme était entièrement dépourvu de la facilité de
« rêver
ainsi, s'il ne pouvait de temps à autre devancer
« le
présent et contempler en imagination ce tableau
«
entièrement achevé de l'oeuvre qui s'ébauche entre ses
« mains,
je ne saurais décidément me représenter quel
« mobile
ferait entreprendre à l'homme et mener à bien
« de
vastes et fatigants travaux dans l'art, la science et
« la vie
pratique... Le désaccord entre le rêve et la réalité
« n'a
rien de nocif, si toutefois l'homme qui rêve croit
«
sérieusement à son rêve, s'il observe attentivement la
« vie,
compare ses observations à ses châteaux en Espagne,
« et,
d'une façon générale, travaille consciencieusement à la
«
réalisation de son rêve. »
« Des
rêves de cette sorte, écrit Lénine, il y en a malheureusement
trop peu
dans notre mouvement. Et la faute en
est
surtout aux représentants de la critique légale et du
«
suivisme » illégal, qui se targuent de leur pondération, de
leur
sens du « concret » » .
Il
convient enfin de ne pas oublier que Que faire ? n'est
qu'un
aspect et un moment, moment nécessaire d'ailleurs,
de la
théorie du Parti. Réduire le léninisme à cet aspect,
c'est le
propre de l'interprétation stalinienne du léninisme.
Que
faire ? n'est qu'un moment de la théorie du
Parti.
Il
correspondait à une exigence historique impérieuse. Il
était
dirigé contre l'opportunisme, notamment sous la
forme de
1' « économisme » qui
prétendait limiter l'action
de la
classe ouvrière à des revendications économiques,
mettant
ainsi le mouvement à la remorque des éléments
les
moins conscients. Cette exaltation de la « spontanéité »
conduisait
à désarmer la classe ouvrière devant la bourgeoisie,
car,
selon la remarque de Karl Marx, les idées
dominantes
étant les idées de la classe dominante, en
régime
capitaliste l'on peut s'attendre à ce que, livrée à la
seule
spontanéité, la majeure partie de la classe ouvrière
soit
orientée par l'idéologie bourgeoise. Contre ce suivisme
l'ouvrage
de Lénine, introduisant dans le mouvement
russe la
rigueur doctrinale de la social-démocratie allemande
et de
Kautsky, a joué un rôle très important pour
la
constitution d'un véritable parti marxiste.
Mais ce
qui est l'apport propre de Lénine à la conception
d'un
parti de type nouveau n'est pas là : la preuve c'est
que les
discussions, et la scission entre bolcheviks et
mencheviks,
survenue quelques mois plus tard, n'ont mis
en cause
aucun des principes énoncés jusqu'ici. Le point
central
de l'opposition entre Lénine et les opportunistes,
c'était
la conception de l'appartenance au Parti. Les
opportunistes,
dont le porte-parole principal était Martov,
estimaient
qu'il suffisait, pour être membre du Parti,
d'en
accepter le programme et de payer une cotisation.
Lénine
exigeait une condition supplémentaire : militer
dans une
cellule de base. Ce qui était en cause, ce n'était
pas une
question d'organisation, mais une question fondamentale,
et
suffisamment décisive, pour caractériser le
Parti
d'un type nouveau, pour que Lénine demeure intransigeant,
même si
cette intransigeance conduisait à la
scission,
au départ des opportunistes.
L'obligation
de militer dans une organisation de base
était
d'abord la seule manière de préserver le caractère de
classe
du Parti : la discipline à l'égard de l'organisation
locale
impliquait, pour les intellectuels et les éléments issus
de la
bourgeoisie et des professions libérales, de se mettre
à
l'école des ouvriers rompus à la discipline de l'usine,
et de se
dépouiller ainsi des défauts propres à ces couches
sociales
que Lénine énumère dans Un
pas en avant, deux
pas en arrière (1904)
: « le girondisme », tendance à accuser
de «
jacobinisme » les marxistes qui exigent un parti discipliné
et la
dictature du prolétariat ; le « suivisme », sensibilité
aux
influences de la bourgeoisie et défense des formes
arriérées
d'organisation ; l'anarchisme de grand seigneur
et
l'individualisme des intellectuels ; l'autonomisme : selon
Martov,
« la partie ne doit pas être soumise au tout ».
L'obligation
de militer dans une organisation de base
c'était
aussi une manière proprement léniniste de lutter
contre
l'économisme et l'opportunisme, car la différence
fondamentale
entre Lénine et Kautsky c'est que lorsqu'ils
exigeaient
l'un et l'autre que l'on ne s'en tienne pas aux
luttes
économiques et que l'on combatte sur le plan politique,
Kautsky
entendait par lutte politique la seule
action
parlementaire, alors que Lénine entendait aussi
la lutte
clandestine. De là découlent, d'ailleurs, les aspects
souvent
militaires de la discipline et du centralisme dans
la
conception de Lénine : il ne s'agissait pas là d'une question
de
principe, mais de la nécessité de mener le combat
dans les
conditions d'illégalité imposées par la répression
tsariste.
L'organisation du Parti est fonction, en chaque
période,
de l'état du développement économique et poli
tique de la nation et des conditions générales
régissant
l'activité politique. Si donc l'on ne perd pas de
vue la
distinction entre ce qui découle des principes et ce
qui
est exigé par les circonstances, si l'on n'oublie
pas qu'à
cette étape Lénine a en vue un parti voué à la
clandestinité
pour une longue période, alors on peut dégager ce
qui caractérise
fondamentalement la conception léniniste du Parti :
la confiance dans « l'initiative historique » des
masses et,
notamment, de la classe ouvrière.
A cette confiance, la Révolution
de 1905 va apporterune justification éclatante, permettant à Lénine
d'approfondir,
à partir de l'expérience d'une révolution, la
conception
du rôle de la subjectivité dans la lutte politique.
Roger
Garaudy
Lénine, pages 14
à 25
(NDLR : pour « alléger » la lecture,
nous avons supprimé l’appareil de notes de bas de page)
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