07 octobre 2017

Lénine philosophe (suite): de 1894 à 1905. Par Roger Garaudy

[NDLR: NOUS POURSUIVONS LA PUBLICATION DE LARGES EXTRAITS DU LIVRE DE ROGER GARAUDY SUR LENINE PHILOSOPHE. CETTE PUBLICATION TOMBE "A PIC" AU MOMENT OU UNE SERIE D'OUVRAGES D'IDEOLOGUES DE  L'ANTI-COMMUNISME VISCERAL PRESENTE LENINE COMME UN AFFREUX DICTATEUR, LES COMMUNISTES COMME DES BOURREAUX, LA REVOLUTION D'OCTOBRE 1917 COMME L'ABOMINATION DE L'HISTOIRE]

Lénine écrit ses premières oeuvres au moment où meurt
Frédéric Engels. Sur le plan international, le marxisme
« orthodoxe » est représenté par Kautsky, théoricien dont
l'autorité est incontestée dans la IIe Internationale.
En 1880, il a publié un petit ouvrage sur la démographie et
le progrès social où, appliquant mécaniquement le darwinisme
à la sociologie, il transforme la dialectique révolutionnaire
de Marx en une métaphysique de l'évolution.
L'ouvrage fondamental de Kautsky : La doctrine économique
de Marx (1887), qui eut un immense succès, est le
prototype des ouvrages de vulgarisation dogmatique du
marxisme. C'est une réduction positiviste de la pensée de
Marx à des lois économiques. Toute réflexion sur le fondement
philosophique est exclue. Le marxisme est présenté
comme une vérité achevée, à la manière d'un catéchisme.
L'idée maîtresse de l'oeuvre, c'est que le déterminisme
structurel du capitalisme est tel que le système s'achemine
inévitablement et automatiquement à sa perte.
Cette conception de l'automatisme, de la nécessité mécanique,
est le fondement théorique de l'opportunisme. Tout
en élevant « une protestation implacable » contre le régime
politique et social existant, la doctrine de Kautsky justifiait
la passivité, puisque le socialisme devait naître d'une
évolution inéluctable. II suffisait de s'organiser et d'attendre.
Ces conséquences furent longtemps masquées, chez Kautsky,
par son exceptionnelle « érudition » marxiste (il
connaît Marx et Engels par coeur, dira Lénine), par sa
très grande culture et son talent littéraire d'exposition,
par ses études historiques et statistiques remarquablement
informées : la perversion fondamentale du marxisme
ne pouvait apparaître qu'au moment où, une situation
révolutionnaire se présentant, il fallait passer delà connaissance
à l'action. Jusque-là, les analyses « descriptives »
du développement capitaliste de l'agriculture, par exemple,
pouvaient être fort riches. C'est pourquoi le détachement de
Lénine à l'égard de Kautsky s'opérera en deux temps :
d'abord dans la période qui a suivi la Révolution de 1905
où Kautsky, après une analyse théorique juste de cette
révolution (à laquelle il n'avait pas eu à participer), commença
à soutenir les courants menchevicks, et surtout au
moment de la guerre de 1914, où la théorie de l'automatisme
révéla toute sa malfaisance opportuniste et conduisit
Kautsky à justifier le chauvinisme d'abord, puis toutes les
forces hostiles à la Révolution socialiste d'Octobre, sous prétexte
que la Russie n'était pas « mûre pour le socialisme ».
Mais, dans un premier temps, et surtout jusqu'en 1905,
Lénine s'appuya sur l'oeuvre de Kautsky pour combattre,
en Russie, les idéologies rétrogrades empêchant la prise de
conscience, par le prolétariat, de sa mission historique.
La première grande controverse théorique de Lénine fut
menée contre les populistes, en 1894, dans son pamphlet :
Ce que sont les amis du peuple . Le point de départ de la
doctrine des populistes était idéaliste et subjectif : « La
sociologie doit partir d'une certaine utopie », écrivait l'un
de leurs principaux théoriciens, Mikhaïlovski. Disciples
attardés de Rousseau, ils fondaient leurs jugements sur
une certaine conception de la « nature humaine » et cherchaient
à définir un ordre politique et social idéal, c'est-à-dire
conforme à cette nature. Ils n'avaient pas conscience
que leur conception de la « nature humaine » et de « l'idée
socialiste » qu'ils en déduisaient, était l'expression de
l'ordre social existant : « Il ne comprend pas, dit Lénine
de Mikhaïlovski, que seul le capitalisme a rendu possible
cette protestation de l'individu », pas plus d'ailleurs
qu'il ne comprenait que sa conception particulière de la
« justice » s'expliquait par le caractère arriéré du capitalisme
russe, où existaient de multiples survivances féodales:
la critique populiste protestant contre l'oppression
au nom d'une nostalgie des formes primitives de l'économie
capitaliste, du petit producteur indépendant, devenait
d'autant plus rétrograde que le développement du capitalisme
s'accentuait en Russie.
Si le populisme avait joué un rôle positif de 1860 à 1870-
comme forme primitive de la protestation pour l'abolition
du servage féodal, ce rôle devenait désormais négatif.
Leur théorie sur le développement de la Russie allait à
contresens de la réalité : « considérant comme seule « morale »
la petite économie indépendante », ils ne voient dans le
capitalisme qu'un phénomène accidentel qui ne se développera
pas. Le prolétariat n'est donc pas la classe d'avant garde.
La principale force révolutionnaire est la paysannerie
dirigée par les intellectuels. « La foi dans le régime communautaire
de la vie russe, d'où la foi en la possibilité d'une
révolution socialiste paysanne », avait inspiré des luttes
héroïques au temps du servage. Un quart de siècle plus tard
ce vieux socialisme paysan russe, devenant la négation du
socialisme ouvrier, a dégénéré en un vulgaire « opportunisme
petit-bourgeois », « détournant les ouvriers de leur tâche
immédiate : l'organisation d'un parti ouvrier socialiste ».
Lénine, qui a alors vingt-quatre ans, combat ces thèses
au nom d'un marxisme encore sommairement assimilé et vu
surtout à travers l'interprétation scientiste de Kautsky et
de Plekhanov. Ce dernier avait déjà mené, contre les populistes,
une lutte idéologique vigoureuse à laquelle Lénine
n'a cessé de rendre un juste hommage. En réaction contre
le subjectivisme populiste Lénine retient, sans les nuances
et les correctifs que Marx y ajoutait , les affirmations
les plus tranchantes dans le sens du naturalisme fataliste
de Kautsky : « le développement de la formation économique
de la société est assimilable à la marche de la nature
et à son histoire ».
A cette étape du débat, pour « saper à la racine cette
morale puérile qui prétend au titre de sociologie », ce
matérialisme, même non dialectique, joue un rôle positif,
et Lénine donne une définition remarquable de ce matérialisme
opératoire : « la seule méthode scientifique exigeant
que tout programme exprime exactement le processus
réel ». Lénine élabore à partir de là le concept de « formation
économique et sociale » hiérarchisant, comme
l'avait fait Marx, les divers niveaux de la vie sociale à partir
des rapports de production, et les saisissant dans leurs rapports
organiques sans nier leur spécificité ni leur autonomie
relative, car Lénine souligne que « l'idée de nécessité historique
n'infirme en rien le rôle de la personnalité en histoire
», mais, au contraire, permet de définir et de créer les
conditions du succès de son activité. Lénine proteste enfin
contre la calomnie (à laquelle déjà Engels avait répondu
dans sa polémique contre Duhring) selon laquelle Marx
avait utilisé spéculativement la dialectique pour tenter de
« prouver avec les triades » : « La méthode dialectique ne
consiste pas du tout dans les triades, mais dans la négation
des méthodes de l'idéalisme et du subjectivisme en sociologie».
« Ce que Marx et Engels appelaient la méthode dialectique
— par opposition à la méthode métaphysique —
n'est ni plus ni moins que la méthode scientifique en sociologie,
qui considère la société comme un organisme vivant,
en perpétuel développement (et non comme quelque chose
de mécaniquement assemblé et permettant ainsi toutes sortes
de combinaisons arbitraires des divers éléments sociaux),
un organisme dont l'étude requiert une analyse
objective des rapports de production constituant une formation
sociale donnée et une étude des lois de son fonctionnement
et de son développement ».
Il n'y a pas jusque-là d'apport philosophique de Lénine
non seulement par rapport à Marx et Engels, mais même
par rapport à Kautsky et à Plekhanov.
L'originalité de Lénine s'affirme, par contre, dans la
mise en oeuvre de ces principes pour l'analyse des conditions
spécifiques de la société russe de son temps. Son
étude sur Le développement du capitalisme en R u s s i e (1896-
1899) en témoigne, de même que sa critique des théories
économiques des populistes. Il établit que toute l'histoire
de la Russie, après l'abolition du servage, a consisté dans
« une expropriation massive des paysans » et que, ce qui
domine, en cette fin du 19e siècle, ce ne sont pas les anciens
rapports patriarcaux mais le rôle croissant du capital, du
capital commercial surtout. L'économie de marché gagne
rapidement du terrain. Sous des formes diverses (le travail à
domicile, par exemple), l'exploitation capitaliste des travailleurs
est le système dominant, si bien que le prolétariat
des usines, où l'exploitation de type capitalistes se manifeste
sous sa forme pure, non dissimulée par des survivances
féodales, n'a plus de liens qui le rattachent à la vieille
société : l'ouvrier d'usine est « le représentant avancé de
toute la population exploitée » . Ce n'est donc pas,
souligne Lénine, au nom d'une dialectique a priori que
l'on extrapole à la Russie les schémas élaborés pour
l'Europe occidentale. Que le rythme de développement
dialectique défini par Marx s'étende à la Russie, c'est ce
qui ressort de la plus méticuleuse analyse des faits.
S'il est vrai que « l'ouvrier est l'homme de l'avenir en
Russie », l'organisation des éléments les plus conscients
de la classe ouvrière en un parti socialiste est la première
tâche à accomplir. Ici encore, Lénine suit de très près,
dans son élaboration de la conception du Parti, les conceptions
de Kautsky.
Dans Que faire ?, les thèses principales sont explicitement
empruntées à Kautsky.
1° La thèse selon laquelle il n'y a pas de lien mécanique
entre la lutte de classe du prolétariat et la conscience
socialiste.
2° La thèse selon laquelle la conscience socialiste ne peut
surgir que sur la base d'une profonde connaissance scientifique.
3° La thèse selon laquelle cette conscience socialiste ne
peut être apportée que « du dehors » à la classe ouvrière.
4° La thèse selon laquelle le Parti c'est « la fusion du
mouvement ouvrier et du socialisme ».
Il n'y a donc rien de spécifiquement léniniste dans ces
thèses sur « le Parti d'avant-garde » exposées dans Que
faire ?. Cette conception est celle de Kautsky et Lénine
le souligne expressément.
Rien ne serait donc plus faux et plus dangereux que de
s'en tenir à Que faire ? pour définir la conception léniniste
du Parti. Rien de plus faux, car Lénine lui-même se réfère
constamment à Kautsky. Rien de plus dangereux, car
l'histoire nous a montré qu'il suffisait comme l'a fait
Staline, de substituer le Parti aux « intellectuels bourgeois »
comme porteurs de la science, pour aboutir à l'idée que le
Parti (et bientôt son chef seul) est détenteur d'un savoir
absolu, qu'il est le seul centre d'initiative en face d'une
classe ouvrière incapable de s'élever au-delà d'une conscience
« trade-unioniste », et à laquelle il faut « inculquer
l'esprit de discipline et d'organisation » et faire « des organisations
sans parti les plus diverses de la classe ouvrière, les
organismes auxiliaires et les courroies de transmission
reliant le Parti à la classe » . Il y a là plus qu'une image :
une conception des rapports entre le Parti et les masses
bloquant la dialectique et lui substituant un « mécanisme »
de type militaire où tout vient d'en haut, à partir d'une
« force directrice » en dehors de laquelle il n'y a plus que
des « leviers » et des « courroies de transmission », plus
des hommes mais des choses, plus des sujets mais des
objets. Nous sommes là aux antipodes du léninisme.
Ce qu'il importe, à cette étape, de souligner, c'est d'abord
le rôle éminent attribué à la subjectivité dans l'activité
révolutionnaire : « Affirmer que les idéologues (c'est-à-dire
les dirigeants conscients) ne peuvent détourner le mouvement
de la voie déterminée par l'interaction du milieu
et des éléments, c'est oublier cette vérité première que la
conscience participe à cette interaction et à cette détermination...
Cette profonde erreur théorique entraîne nécessairement....
une immense faute de tactique » .
La conception léniniste de la subjectivité ne cessera de
s'enrichir notamment en faisant une place toujours plus
grande à l'initiative historique des masses. Mais déjà
à l'époque de Que faire ? Lénine ne réduit nullement la subjectivité
à la «théorie » interprétée en un sens « scientiste »
comme chez Kautsky. Certes, c'est à partir de 1905 surtout
que Lénine prendra clairement conscience que l'initiative
historique des masses déborde constamment l'anticipation
conceptuelle. Il écrira alors : « La supériorité morale est
indéniable, la force morale est déjà écrasante ; sans elle,
bien entendu, il ne saurait être question d'aucune révolution.
Elle est une condition nécessaire, mais encore insuffisante.
Quant à savoir si elle va se muer en une force matérielle
capable de briser la résistance extrêmement sérieuse
de l'autocratie... c'est ce que montrera l'issue de la
lutte » .
Mais déjà dans Que faire ? Lénine, aux dernières pages
de son livre, évoque ce qui, dans l'élaboration théorique,
dépasse la logique interne du concept : « Il faut rêver.
J'écris ces mots et tout à coup j'ai peur. Je me vois siégeant
au « Congrès d'Unification », avec en face de moi les rédacteurs
et les collaborateurs du Rabotcheïe Dielo... C'est le
camarade Kritchevski qui se dresse... « Je vous demande :
« un marxiste a-t-il en général le droit de rêver, s'il n'a
« pas oublié que, d'après Marx, l'humanité s'assigne
toujours des tâches réalisables ?... »
« La seule idée de ces questions menaçantes me donnent
le frisson et je ne pense qu'à une chose : où me cacher ?
Essayons de nous retrancher derrière Pissarev :
« « Il y a désaccord et désaccord, écrivait Pissarev,
« au sujet du désaccord contre le rêve et la réalité. Mon
« rêve peut dépasser le cours naturel des événements,
« ou bien il peut donner un coup de barre dans une direction
où le cours naturel des événements ne peut jamais
« conduire. Dans le premier cas, le rêve ne fait aucun tort ;
« il peut même soutenir et renforcer l'énergie du travailleur...
 Rien, dans de tels rêves, ne peut pervertir ou
« paralyser la force de travail. Bien au contraire. Si
« l'homme était entièrement dépourvu de la facilité de
« rêver ainsi, s'il ne pouvait de temps à autre devancer
« le présent et contempler en imagination ce tableau
« entièrement achevé de l'oeuvre qui s'ébauche entre ses
« mains, je ne saurais décidément me représenter quel
« mobile ferait entreprendre à l'homme et mener à bien
« de vastes et fatigants travaux dans l'art, la science et
« la vie pratique... Le désaccord entre le rêve et la réalité
« n'a rien de nocif, si toutefois l'homme qui rêve croit
« sérieusement à son rêve, s'il observe attentivement la
« vie, compare ses observations à ses châteaux en Espagne,
« et, d'une façon générale, travaille consciencieusement à la
« réalisation de son rêve. »
« Des rêves de cette sorte, écrit Lénine, il y en a malheureusement
trop peu dans notre mouvement. Et la faute en
est surtout aux représentants de la critique légale et du
« suivisme » illégal, qui se targuent de leur pondération, de
leur sens du « concret » » .
Il convient enfin de ne pas oublier que Que faire ? n'est
qu'un aspect et un moment, moment nécessaire d'ailleurs,
de la théorie du Parti. Réduire le léninisme à cet aspect,
c'est le propre de l'interprétation stalinienne du léninisme.
Que faire ? n'est qu'un moment de la théorie du Parti.
Il correspondait à une exigence historique impérieuse. Il
était dirigé contre l'opportunisme, notamment sous la
forme de 1' « économisme » qui prétendait limiter l'action
de la classe ouvrière à des revendications économiques,
mettant ainsi le mouvement à la remorque des éléments
les moins conscients. Cette exaltation de la « spontanéité »
conduisait à désarmer la classe ouvrière devant la bourgeoisie,
car, selon la remarque de Karl Marx, les idées
dominantes étant les idées de la classe dominante, en
régime capitaliste l'on peut s'attendre à ce que, livrée à la
seule spontanéité, la majeure partie de la classe ouvrière
soit orientée par l'idéologie bourgeoise. Contre ce suivisme
l'ouvrage de Lénine, introduisant dans le mouvement
russe la rigueur doctrinale de la social-démocratie allemande
et de Kautsky, a joué un rôle très important pour
la constitution d'un véritable parti marxiste.
Mais ce qui est l'apport propre de Lénine à la conception
d'un parti de type nouveau n'est pas là : la preuve c'est
que les discussions, et la scission entre bolcheviks et
mencheviks, survenue quelques mois plus tard, n'ont mis
en cause aucun des principes énoncés jusqu'ici. Le point
central de l'opposition entre Lénine et les opportunistes,
c'était la conception de l'appartenance au Parti. Les
opportunistes, dont le porte-parole principal était Martov,
estimaient qu'il suffisait, pour être membre du Parti,
d'en accepter le programme et de payer une cotisation.
Lénine exigeait une condition supplémentaire : militer
dans une cellule de base. Ce qui était en cause, ce n'était
pas une question d'organisation, mais une question fondamentale,
et suffisamment décisive, pour caractériser le
Parti d'un type nouveau, pour que Lénine demeure intransigeant,
même si cette intransigeance conduisait à la
scission, au départ des opportunistes.
L'obligation de militer dans une organisation de base
était d'abord la seule manière de préserver le caractère de
classe du Parti : la discipline à l'égard de l'organisation
locale impliquait, pour les intellectuels et les éléments issus
de la bourgeoisie et des professions libérales, de se mettre
à l'école des ouvriers rompus à la discipline de l'usine,
et de se dépouiller ainsi des défauts propres à ces couches
sociales que Lénine énumère dans Un pas en avant, deux
pas en arrière (1904) : « le girondisme », tendance à accuser
de « jacobinisme » les marxistes qui exigent un parti discipliné
et la dictature du prolétariat ; le « suivisme », sensibilité
aux influences de la bourgeoisie et défense des formes
arriérées d'organisation ; l'anarchisme de grand seigneur
et l'individualisme des intellectuels ; l'autonomisme : selon
Martov, « la partie ne doit pas être soumise au tout ».
L'obligation de militer dans une organisation de base
c'était aussi une manière proprement léniniste de lutter
contre l'économisme et l'opportunisme, car la différence
fondamentale entre Lénine et Kautsky c'est que lorsqu'ils
exigeaient l'un et l'autre que l'on ne s'en tienne pas aux
luttes économiques et que l'on combatte sur le plan politique,
Kautsky entendait par lutte politique la seule
action parlementaire, alors que Lénine entendait aussi
la lutte clandestine. De là découlent, d'ailleurs, les aspects
souvent militaires de la discipline et du centralisme dans
la conception de Lénine : il ne s'agissait pas là d'une question
de principe, mais de la nécessité de mener le combat
dans les conditions d'illégalité imposées par la répression
tsariste. L'organisation du Parti est fonction, en chaque
période, de l'état du développement économique et poli
tique de la nation et des conditions générales régissant
l'activité politique. Si donc l'on ne perd pas de vue la
distinction entre ce qui découle des principes et ce qui
est exigé par les circonstances, si l'on n'oublie pas qu'à
cette étape Lénine a en vue un parti voué à la clandestinité
pour une longue période, alors on peut dégager ce qui caractérise
fondamentalement la conception léniniste du Parti :
la confiance dans « l'initiative historique » des masses et,
notamment, de la classe ouvrière.
A cette confiance, la Révolution de 1905 va apporterune justification éclatante, permettant à Lénine d'approfondir,
à partir de l'expérience d'une révolution, la conception
du rôle de la subjectivité dans la lutte politique.


Roger Garaudy
Lénine, pages 14 à 25
(NDLR : pour « alléger » la lecture, nous avons supprimé l’appareil de notes de bas de page)

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