C’est la faute « aux » Grecs que nous sommes dans la gadoue !
Tranquillisez-vous ! Ce titre provocateur ne s’adresse pas au peuple grec d’aujourd’hui.
Les réflexions qui suivent concernent la
Grèce de l’Antiquité. Mère de la civilisation occidentale, elle qui
nous a révélé la grandeur du génie humain avec ses penseurs et ses
mathématiciens, ses artistes et ses écrivains qui nous ont ouvert la
voie royale du progrès. Imprégnés de culture hellène, grisés par son
rayonnement, nous n’avons vu que la magnificence du siècle de Périclès,
et en chœur, dans toutes les langues, nous nous sommes écriés Parthénon,
Acropole ! A l’unisson nous avons proclamé Athènes centre du monde !
Cela se comprend.
A l’aube des temps modernes, le contexte
historique ne pouvait nous révéler ni surtout nous faire comprendre que
cette glorieuse culture avait jeté les bases d’une civilisation qui
allait bouleverser le monde pour le meilleur comme pour le pire, car
fondée sur l’individualisme et la maîtrise de l’univers elle ne pouvait
que conduire à l’avènement d’un Kosmocratôr, maître du cosmos,
dont Alexandre le Grand fut l’incarnation. De cette volonté de puissance
et de conquête est né l’impérialisme qui, dans sa forme actuelle, est
prête à précipiter le monde dans un abîme.
De prime abord ce jugement peut vous
paraître outré, inapproprié, voire insultant pour les Grecs modernes
issus d’une longue histoire qu’ils vénèrent à juste titre. Pourtant, en
dépit du titre de cet article – qui n’est qu’une taquinerie – mon
intention n’est pas d’accuser ni d’insulter, mais de proposer une
réflexion sur la civilisation hellène et d’en tirer une leçon pour la
survie de notre planète. Pour ce faire, laissons la parole à Guy de
Bosschère (1924-2003) historien de formation, tiers-mondain engagé et
auteur de « Les deux versants de l’histoire : Autopsie de la colonisation (tome 1) et Perspectives de la décolonisation (tome 2),
Albin Michel, 1968, deux ouvrages de référence qui malgré les années
restent d’actualité. Les pages qui suivent sont extraites de la première
partie du premier tome intitulée « Le fondement et la structure »
« Des mythes significatifs.
Sur les décombres de la civilisation
mycéenne (IIIème siècle av. J.C) les Hellènes, le nouveau peuple né des
invasions, vont édifier une civilisation qui sera désormais
incomparable… Des siècles plus tard, naîtra le mythe d’Œdipe qui
illustrera fabuleusement l’événement. Selon Hegel, le Sphinx, qui est
Egyptien, représente l’esprit voilé ou inconscient. La question qu’il
pose à Œdipe, il n’en connaît pas lui-même la réponse claire. Lorsque
Œdipe répondra correctement, le Sphynx tombera à la mer et se noiera. Ce
qui signifie que la Grèce (qu’Œdipe personnifie) a désormais donné
forme à son destin, qu’elle a pris conscience de la voie singulière où
elle s’engage…
La singularité du destin hellène
sera postérieurement éclairée par deux autres mythes essentiels. Le
premier est le mythe de Narcisse qui exalte à travers la prise de
conscience de soi-même, le culte de l’individu. Et il apparaît, en
effet, que la démarche grecque sera désormais gouvernée par
l’individualisme. A la propriété collective la Grèce oppose la propriété
privée… Le second mythe est le mythe de Prométhée : l’homme qui viole
les secrets de la nature, qui dérobe le feu du ciel pour en éclairer le
monde. Ce mythe réfléchit l’image de l’homo faber, l’homme-inventeur,
mais aussi l’homme de l’aventure et de l’exploration, préfiguration du
colonisateur…
La conjugaison de l’individualisme
et de l’esprit créateur conférera à l’homme européen ses
caractéristiques fondamentales. (Ainsi) le citoyen grec, le seigneur
féodal et le bourgeois capitaliste sont tous, aux différents stades de
l’évolution économique européenne, des propriétaires des moyens de
production.
Une philosophie émancipatrice.
La philosophie grecque, dont la
spécificité tient précisément au fait qu’elle fonde la notion de
philosophie renvoie fidèlement l’image de la réalité en cours
d’élaboration… Elle salue l’avènement de l’homme et instaure
virtuellement son culte, dégage l’homme des liens qui le retiennent à la
nature… Elle contredit tous les courants de pensée religieuse
d’Afrique, d’Asie et de l’Amérique précolombienne. L’animisme d’Afrique
noire ainsi que celui des Amérindiens enseigne l’indissociabilité de
l’homme et de la nature. Les religions d’Asie invitent à une
intériorisation perpétuelle… Les religions sémitiques, seules,
font exception… La religion judaïque sera messianique, la religion
chrétienne, qui en est issue, catholique universelle et la religion
musulmane prosélytique. Ces trois religions partagent en outre le même
fanatisme intolérant, qui les porte à la guerre sainte…
L’Europe hellène.
L’Europe historique naît donc de la
Grèce des Hellènes… Et, c’est grâce à sa singularité que l’Europe
réussira à dominer le reste du monde. L’esprit prospectif et spéculatif,
au service de l’intérêt individuel, fait naître le besoin du profit
personnel. Celui-ci constituera désormais la plus puissante motivation
des principales entreprises européennes… Les découvertes scientifiques
et géographiques du XVème siècle prépareront le grand assaut que
l’Europe médite inconsciemment de lancer contre le monde… La supériorité
écrasante de son armement, alliée à un sens de l’organisation héritée
de Rome et à l’esprit de synthèse dont se nourrissent les grands
desseins politiques et militaires, assurera à l’Europe, en l’espace de
quatre siècles la domination de la planète.
Ainsi, c’est par son rayonnement que la
Grèce antique a balayé les civilisations primitives pour créer son
propre univers et imprimer sa marque sur l’histoire de l’Occident. A
l’heure des génocides et des écocides, ayons le courage d’écouter la
leçon de sagesse que nous donnent les Amérindiens, Polynésiens et
Mélanésiens – peuples “primitifs que l’Histoire a oubliés”. La survie de
notre planète est en jeu.