[ Après la session -historique - du Comité Central du PCF à Argenteuil (mars 1966)consacrée à la culture, les réflexions de Roger Garaudy, membre du Bureau Politique du parti.
Lire aussi: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/01/pcf-argenteuil-1966-althusser-garaudy.html
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Les débats du Comité Central du Parti
Communiste français du 13 mars dernier sur les problèmes de la culture ont
suscité des commentaires passionnés. La publication in extenso des
interventions faites au cours de ces trois journées, dans le numéro spécial des
Cahiers du Communisme de mai 1966 permet de mesurer 1’importance des décisions
prises et de préciser leur signification.
Roger Garaudy avec le Président Ahmed Ben Bella Alger,17/03/1965 |
1/ L'idée maîtresse qui s'en dégage est
l'affirmation du caractère humaniste du marxisme. A la différence des formes antérieures de l'humanisme,
fondées sur l'idée d'une essence éternelle de l'homme, l'humanisme marxiste est
fondé sur une conception historique de 1'homme : l'homme, c'est
la création continuée de l'homme par l'homme. Le point de départ, défini par
Marx dans Le Capital c'est le travail sous sa forme spécifiquement humaine,
c'est-à-dire le travail précédé de la conscience de son but, par
lequel l'homme émerge de l a nature et fait
sa propre histoire à travers ses luttes de classes. Le but final de cet
humanisme concret est de faire de chaque homme un homme, c'est-à-dire un centre
d'initiative et de création à tous les niveaux, depuis la production économique
jusqu'à la création artistique, et ceci en luttant pour réaliser les conditions
matérielles de cet épanouissement de l'homme par le socialisme et le
communisme. La suppression de la propriété privée des moyens de production
permet de mettre à la disposition de tous les richesses matérielles et
spirituelles créées par tous.
Garaudy arrive à Alger le 10/03/1965 |
2/De cet humanisme découle la conception spécifiquement
marxiste de l'athéisme. A La différence de l'athéisme du XVIIIe qui, dans sa lutte
légitime contre la consécration religieuse des absolutismes anciens, ne voyait
dans la religion qu'illusion et tromperie, à la différence de l'athéisme du
XIXe siècle qui, dans
sa lutte contre les superstitions et les
explications pré-scientifiques se fondait sur une conception positiviste et
scientiste de la raison, l'athéisme spécifiquement marxiste est une conséquence
de l'humanisme. Marx soulignait que le marxisme ne se définissait pas d'une
manière négative, par la négation de Dieu mais par l'affirmation de l'homme.
Cette affirmation de l'homme conduit à une prise de position à l'égard de la
religion.
a) Sur le plan historique : une lutte de
classe, contre les solidarités de fait des institutions religieuses avec les
forces réactionnaires qu'elles contiennent
et justifient, par exemple en donnant une consécration religieuse à
tous les régimes de classe (esclavage, servage, salariat). C'est ce que Marx,
se fondant sur une expérience historique irrécusable et aujourd'hui encore très
largement vérifiée, résumait dans cette formule lapidaire : "La
religion, c'est l'opium du peuple.
b) Sur le plan philosophique : une lutte
idéologique contre la oonception traditionnelle de la transcendance en levant à
l'homme la pleine autonomie de son action.
La libération de l'homme implique la lutte
contre cette
double aliénation, politico-sociale ou
idéologique.
Cet humanisme concret n'exclut nullement le
dialogue mais au contraire le fonde. Il n'implique aucun sectarisme. Déjà Marx
et Engels avalent répudié toute tentative de faire de l'athéisme une religion
d'état. Lénine a toujours refusé d'inscrire l'athéisme dans les statuts du
Parti. Maurice Thorez, et c'est l'un de ses plus grands mérites à l'égard de
notre pays et de notre Parti, a dégagé le sens profond de ce que notre résolution appelle la "convergence
morale". Il écrivait le 26 octobre 1937 (Œuvres,t.XIV, p.164-165) : "Le
matérialisme philosophique des communistes
est loin de la foi religieuse des
catholiques. Cependant, aussi opposées que soient leurs conceptions
doctrinales, 11 est impossible de ne pas
constater, chez les uns
et chez les autres, une même ardeur
généreuse à vouloir répondre aux aspirations millénaires des hommes à une vie meilleure : la promesse d’un rédempteur
illumine la
première page de l'histoire humaine, dit le catholique. L'espoir
d'une cité nouvelle, réconciliée dans
le travail et dans l'amour soutient l'effort des prolétaires qui luttent pour le
bonheur des
hommes, affirme l e communiste".
Waldeek Rochet, dans ses conclusions au Comité Central, après avoir
repris notre argumentation historique et
philosophique fondamentale, a
donné du sectarisme en matière
de religion une définition d'Importance
capitale pour 1'avenir : "Nous rejetons, dit-il, toute interprétation sectaire et
bornée du fait religieux... nous ne nous représentons pas la pensée religieuse
d'une manière unilatérale en ne voyant en elle que l'aspect par lequel elle est
un frein et un obstacle au progrès humain.»
Reconnaître ainsi, comme l'avait fait Maurice Thorez, que le christianisme a joué, et peut jouer encore, un rôle positif et progressif,
dans l'institution de rapports humains plus justes et par son apport à la culture,
c'est donner au dialogue le seul fondement théorique valable, en ouvrant la
possibilité d'un enrichissement mutuel des deux interlocuteurs, chacun avant
quelque chose à apprendre de l'autre.
Conférence salle Ibn Khaldoun Alger, 11/03/1965 |
3/ La lutte contre une conception dogmatique
du matérialisme est symétrique de la lutte contre le dogmatisme religieux. Le
matérialisme est dogmatique lorsqu'il a l'illusion et la prétention de s'installer
dans les choses et de dire sur elles une vérité définitive, de posséder (à la manière d'un dogme
religieux) un savoir absolu, non-humain.
Le marxisme, précisément parce qu'il est un
humanisme, au sens plein du mot, est une philosophie critique, c'est-à-dire qu'il
a conscience que tout ce que nous disons des choses c'est nous qui le disons.
Le matérialisme dialectique est, par principe antidogmatique, puisque, reconnaissant que la
matière (quelle que soit l'Image que puisse nous en donner la science à telle
ou telle étape de son développement) existe en dehors de nous et sans nous, et
qu'elle est, comme disait Lénine "inépuisable", ce matérialisme exige
que nous construisions et reconstruisions sans cesse, en les vérifiant par la
"pratique", des "modèles" plus complexes pour adapter nos concepts
aux choses et non les choses à nos concepts.
Il découle de cette conception dialectique,
non dogmatique, du matérialisme que plusieurs "modèles" différents
peuvent saisir des aspects partiels mais réels de la nature et de l'histoire.
Cela est vrai pour les sciences comme pour
les arts, et la résolution finale souligne la légitimité et la nécessité d'une pluralité
d'écoles, de manières et de styles.
"L'on ne saurait limiter à aucun moment
le droit qu'ont les créateurs à la recherche, proclame la résolution finale,
les exigences expérimentales de la littérature et de l'art ne sauraient être
niées ou entravées sans que soit gravement porté atteinte au développement de la culture et de l'esprit
humain lui-même."
4. Cette réflexion sur le sens de la
"pluralité" est le fondement théorique du dialogue. Il n'y a de
dialogue réel que si l'on est convaincu que l'on ne possède pas tout seul la
vérité et que l'on a quelque chose à apprendre des autres.
II en est ainsi de la thèse développée avec
force par
Waldeck Rochet sur la possibilité de la
construction du socialisme avec plusieurs partis qui ne soient pas des satellites artificiels de l'un
d'entre eux. Le fait que le socialisme s'est construit dans certains pays sous
la direction d'un parti unique est le résultat de conditions historiques
déterminées (notamment, l'appel fait par d'autres partis à l'intervention étrangères pour
appuyer la contre-révolution), mais cela ne découle nullement des principes. Lénine
lui-même, en décembre 1917 encore, considérait cette pluralité comme possible. La
thèse de la possibilité de la construction du socialisme avec plusieurs partis
n'implique nullement l'abandon de la lutte de classes ou des
perspectives de la classe ouvrière, mais simplement renonce à la prétention de conférer
à la classe ouvrière et à son Parti le privilège métaphysique d'être détenteurs
de la vérité totale et exclusive, et cela permet d'ouvrir concrètement
la perspective d'une construction du socialisme avec des partis , des
mouvements ou des hommes décidés à réaliser le socialisme mais no partageant
pas notre conception du monde ni notre philosophie.
Il serait paradoxal que ce dialogue, dont le
Parti communiste français, en pratiquant systématiquement la méthode du débat contribue
à faire le style même d'une politique démocratique en France, ne se réalise pas
à l'intérieur même du Parti. La publication des discussions du dernier Comité
Central apporte l a preuve qu'il en est ainsi. Des positions différentes
notamment sur les problèmes de la culture et de l a religion ont été défendues avec
passion sans que l'affrontement se termine par des excommunications.
Par exemple, mon livre « De l'anathème
au dialogue » a été critiqué et j'ai pu tirer profit de certaines
critiques. La résolution finale rejette la thèse que j'avais autrefois avancée
sur la possibilité de "convergences philosophiques", mais retient l'idée
de "convergences morales" entre chrétiens et marxistes.
Autre exemple : les conceptions de notre
camarade Althusser sur l'humanisme n'ont pas été retenues et l'on a souligné le
danger doctrinaire de la séparation de la théorie et de la pratique à laquelle
peut conduire sa méthode, sans que ces critiques mettent en cause le respect de
chacun pour sa personne et même pour l'apport de ses recherches à la tâche
commune.
Cette diversité d'orientation sur des
problèmes ouverts ne compromet nullement l'unité profonde du Parti mais au contraire
la renforce en la rendant plus riche, symphonique.
Cette ouverture du Parti Communiste français
donne un élan nouveau au dialogue à l'extérieur, notamment avec les socialistes
et avec les chrétiens. Elle constitue une contribution éminente à la
réalisation de l'unité de la classe ouvrière et de l'union des forces
démocratiques et nationales pour la construction, avec des socialistes, des
chrétiens, des démocrates, de l'avenir démocratique et socialiste de la France.
Roger Garaudy
Archives personnelles de l’auteur
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