16 juillet 2011

Relire "L'Islam un autre nationalisme" de Luiza Toscane


Chaab signifie peuple. Quel peuple ? Oumma signifie communauté des croyants ? Est-ce là l’autre nationalisme ?
"Musulmans de tous les pays, unissez-vous !" reste un slogan de mise les jours de fête... écrit Luiza Toscane (p73) dans L’ISLAM Un autre nationalisme (1). Les campistes pro-sud le regrettent car ils voudraient sa réalisation contre l’impérialisme occidental. Ceux qui soulignent l’existence de multiples classes dominantes prédatrices dans les pays arabo-musulmans se félicitent au contraire de la faible portée d’un tel slogan nationaliste et trompeur. Qu’en est-il au juste ? Relisons en 2011 Luiza Toscane.
L’ouvrage a été publié en 1995 après la guerre du Golf "Tempête du désert" et la victoire du FIS en Algérie . Il ne porte pas sur l’Islam comme religion. Il étudie la montée de l’islam engagé à la suite du déclin des mouvements communistes ou nationalistes.

- Débat entre Islam engagé et islamisme.
Son approche a pu être jugée trop conciliante avec l’islamisme et cela lui sera reproché plus tard dans Rouge par l’auteur de Islam et islamisme Retour sur un débat (3) . Il écrit : "l’islamisme est un mouvement avant tout politique, et qu’il constitue une force se basant sur une vision proprement réactionnaire et antiémancipatrice de la société, anti -mouvement ouvrier, antilaïque et anticommuniste".
A la dernière page (202) du livre elle précise un aspect important : "Fondamentalisme a une connotation religieuse et non politique. L’islam politique, terme le plus proche de notre approche, a déjà servi. Celui de l’islam engagé, qui indique plus l’aspect militant du phénomène qu’islam politique, plus institutionnel, ne sera sans doute pas le terme retenu ; il présente simplement l’avantage de ne pas être connoté, pour n’avoir pas été utilisé largement." Les courants étudiés n’ont jamais eu l’exercice du pouvoir. Aucun militant de l’islam engagé ne se revendique de la Charia.
Luiza Toscane évoque pour le critiquer Abraham Serfaty qui en 1993 (2) souhaitait "une conjonction entre un courant musulman progressiste et un courant progressiste laïc. Il faut donc travailler à ce que puisse apparaître, au sein du courant islamiste, l’équivalent de ce qu’a été le courant de la "théologie de la libération" chez les catholiques d’Amérique latine. Mais elle fait remarquer que ce projet non seulement manque de la moindre base réelle à l’exception de rares personnalités comme Ali Shariati mais qu’en plus l’islam engagé se construit sur des bases contraire à la lutte des classe (vs Serfaty) ou à la "préférence sociale pour les pauvres" (vs Théologie de la libération).
Luiza Toscane rejette la thèse du fascisme de Rachid Boudjedra dans Fis de la haine (Denoel 1992). Elle explique notamment que "l’assimilation de l’intégrisme au fascisme se traduit presque toujours par un appel du pied au pouvoir en place ou d’une légitimation d’alliances larges et pour le moins douteuses contre l’ "ennemi numéro un" face auquel les dictatures en place dans bien des pays font figure de démocrates".

- Quel nationalisme ? quelle conflictualité ?
L’Oumma, l’entité qui doit rassembler tous les musulmans n’existe pas réellement mais conserve une force d’inspiration dans la mesure ou les luttes intermusulmanes sont en principe proscrites. La stratification en caste est condamnée en Inde. C’est positif. C’est donc contre cette unité musulmane que les divisions nationales perdurent avec succès. Par contre la lutte de classe peine à trouver reconnaissance malgré les fortes inégalités sociales et des pratiques prédatrices de la classe dominante. L’impérialisme occidental est omniprésent mais les classes dominantes existent et sont agissantes. Autre conflit qui peine à être reconnu celui de genre. C’est pourquoi le féminisme doit ruser et trouver à s’exprimer sous des formes qui peinent à être perceptible aux yeux des féministes occidentales. La femme, en tant qu’objet sexuel, est une création du capitalisme. Le voile est une arme anticapitaliste et anti-impérialiste.
Cet ensemble de principes pose problème aux progressistes de culture musulmane engagés pour l’émancipation des peuples-classe des pays arabo-musulmans. On l’a vu avec la proposition d’ Abraham Serfaty . En fait, l’islam comme croyance libératrice est censé, dans le discours des militants, remplacer le passé. Pour autant ces militants ne sont pas des théologiens fonctionnarisés mais plutôt de jeunes étudiants issus des couches moyennes. Le programme politique s’inscrit dans le cadre du système capitaliste et la direction du mouvement aura naturellement tendance à s’allier avec les bourgeoisies. L’auteure pointe aussi les mouvements se réclamant de l’islam qui furent instrumentalisés par les grandes puissances.
A propos de la démocratie : "Les militants de l’islam engagé vont s’intégrer à des degrés divers dans les luttes démocratiques. Ils ne se saisissent que de l’aspect formel de la démocratie, qui exclut toute démocratisation du fonctionnement de l’économie, et de plus, ils s’y inscrivent dans une vision à court terme" (p109). Rached Ghannouchi, dirigeant de la Nahdha, écrit "La démocratie, c’est le mot, c’est l’apparence. La réalité de cette démocratie, la "chura", appartient à notre patrimoine". La démocratie est assimilée à la liberté de croyance et dans cette logique, la démocratie est représenté par l’islam engagé : "Il n’y a pas de démocratie sans nous" va même écrire R Ghannouchi (le 19-20 février 1989 in Le Monde)

- Brèves notes sur d’autres aspects.
Luiza Toscane reconnait que "l’économie islamiste est une fumisterie" (p 97). L’islam n’est pas une idéologie qui détermine les options économiques comme veulent le faire croire les militants, mais les justifie. Même contre le FMI et la Banque mondiale le flou subsiste.
Au plan statégique, elle remarque que le Jihad contre le grand Satan relève plus de l’incantation défensive et oratoire que de la menace. Elle écrit (p146) : "L’impérialisme semblant indéboulonable, le Jihad se retourne contre l’ennemi intérieur, le mauvais musulman, donc le suppôt de Satan". "Un non-musulman est un ignorant (jahil) auquel doit s’adresser un prédicateur ; un non musulman d’origine "musulmane" est un apostat, la seule réponse est le Jihad."
A propos de la montée du sentiment religieux L Toscane fait cette remarque : "La nouvelle visibilité de l’islam ne traduit pas un accès de religiosité, mais la conquête d’un droit à pratiquer une religion, ce qui est resté interdit pendant plus d’un demi-siècle en URSS et est encore contesté en Europe". (p196)

Christian DELARUE


1) Ed L’Harmatan 1995. En annexe figure "Entrevues avec Tariq Ramadan et François Burgat" suite à la seconde Conférence populaire arabe et islamique des 3, 4 et 5 décembre 1993 à Khartoum. La première datait de 1991. Dans l’appellation le "et" est important. Tourabi un modéré a alors expliqué qu’être arabe est une chose et qu’être musulman en est une autre et qu’il fallait réunir ces gens-là.
2) "Le Nord, le Sud" A. Serfaty in Politis-La Revue, été 1993.
3) in Islam et islamisme Retour sur un débat http://orta.dynalias.org/archivesrouge/article-rouge?id=3672