31 mars 2020

Joseph, bienfaiteur de l'Égypte, vraiment ?

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Le triomphe de Joseph, Cathédrale de Toulouse
Qui ne connaît l’histoire de Joseph ? On retient le récit d’un homme, fils du patriarche Jacob, vendu par ses frères jaloux et conduit en Égypte. Après pas mal de péripéties, il devient gouverneur du pays, le second après le Pharaon. On retient surtout que sa gestion avisée a permis au pays d’entasser des réserves considérables de grains, pendant les années d’abondance. Stocks ayant permis de nourrir les habitants pendant les années de  famine qui ont suivi. Quant à l’authenticité de cette histoire, les exégètes et historiens la mettent en doute. Nous examinerons leurs arguments. Mais au-delà de cette question, une analyse plus poussée de ce récit va nous présenter un aspect méconnu de Joseph et d’ailleurs soigneusement évité par les commentateurs. On notera en effet que les commentaires émanant, tant des milieux religieux juifs que chrétiens, sont toujours admiratifs devant un homme qui a ‘’ sauvé ‘’ les Égyptiens  de la famine.

L’histoire de Joseph, un ‘’ roman’’ ou un récit historique ?

Le récit est suffisamment connu pour ne pas y revenir. Il est haut en couleur, plein d’éléments propres à restituer le contexte historique local. La trame du récit alterne les épisodes successifs( sans oublier la case prison comme dans le feuilleton télévisé Plus belle la vie) avec un art consommé du suspense. Ne manque même pas une séquence de sexe, sur le thème de la femme séductrice aguichant un beau jeune homme( on l'appellerait une femme cougar aujourd’hui).

 La recherche historique a soigneusement étudié les termes et les expressions utilisés.

Werner Keller (1) signale que Donald Redford(2)  a relevé 23 indices, comme l’usage de ‘’ sacs d’argent’’,  le titre de ‘’ Putiphar’’, le récit de l’investiture de Joseph, ...etc, concluant que ces éléments ne peuvent provenir que d’une époque tardive de l’ancienne Égypte. Et Werner Keller s’interroge: «  La question reste posée aujourd’hui plus que jamais: le Joseph égyptien de la Bible peut-il être considéré comme un personnage historique?». » Selon Guy Rachet, « Il semblerait d'ailleurs  que la rédaction finale de l'histoire de Joseph, à partir d'un ensemble de traditions, se soit réalisée à l'époque de la domination perse . »(3)

Mais l’important n’est pas de savoir si ce récit est historique ou un récit fictif, mélangeant habilement des faits et des légendes. Ce qui est certain, c’est qu’il est considéré comme historique par beaucoup, aussi bien juifs que chrétiens. L’important c’est de comprendre quel est le message véhiculé par cette histoire.

Joseph,  bienfaiteur ou rapace ?

L'Égypte va bénéficier de sept années de récoltes abondantes. Joseph, nommé gouverneur du pays par le pharaon, va mettre  à profit ces années pour amasser des stocks de grains dans les greniers

 Pendant les sept années de fertilité, la terre rapporta abondamment.
 Joseph rassembla tous les produits de ces sept années dans le pays d'Égypte; il fit des approvisionnements dans les villes, mettant dans l'intérieur de chaque ville les productions des champs d'alentour.
 Joseph amassa du blé, comme le sable de la mer, en quantité si considérable que l'on cessa de compter, parce qu'il n'y avait plus de nombre.
Genèse  41:48-49


Succédèrent alors 7 années de famine et de disette

 Il n'y avait plus de pain dans tout le pays, car la famine était très grande; le pays d'Égypte et le pays de Canaan languissaient, à cause de la famine.
Genèse 47:13


 Joseph recueillit tout l'argent qui se trouvait dans le pays d'Égypte et dans le pays de Canaan, contre le blé qu'on achetait; et il fit entrer cet argent dans la maison de Pharaon.
Genèse 47:14

La lecture de ces passages nous interpelle. Si, à la rigueur, on peut comprendre  la politique de Joseph vendant du blé aux populations du pays de Canaan[ la Palestine actuelle], par contre il est beaucoup plus choquant de le voir monnayer le grain aux Égyptiens. Nous supposons que ce blé a été acheté à très bas prix, selon la loi de l’offre et de la demande.

 Fallait-il pour autant accaparer tout l’argent disponible du peuple, en échange de blé. N’était-il pas du devoir du Pharaon de sauver son peuple de la famine, sans l’étrangler financièrement? A-t-on jamais vu, dans l’histoire des peuples, même au temps des rois et des empereurs, aucune autorité organiser un tel chantage à la famine pour récupérer tout l’argent de sa population ?. Et dans quel intérêt épuiser les ressources financières, sans doute déjà minimes, de  son propre peuple?

Après avoir soutiré tout leur l’argent, Joseph va maintenant exiger en paiement que le peuple lui fournisse tout son bétail, c’est à dire les seuls biens meubles qu’ils possèdent encore.


 Quand l'argent du pays d'Égypte et du pays de Canaan fut épuisé, tous les Égyptiens vinrent à Joseph, en disant: Donne-nous du pain! Pourquoi mourrions-nous en ta présence? car l'argent manque.
 Joseph dit: Donnez vos troupeaux, et je vous donnerai du pain contre vos troupeaux, si l'argent manque.
 Ils amenèrent leurs troupeaux à Joseph, et Joseph leur donna du pain contre les chevaux, contre les troupeaux de brebis et de bœufs, et contre les ânes. Il leur fournit ainsi du pain cette année-là contre tous leurs troupeaux.
Genèse 47: 15-17

Et dans une dernière étape, ne disposant plus d’argent ni de cheptel, le peuple s’offre comme esclaves au Pharaon. Prêts à lui abandonner, pour de la nourriture, leurs terres et leurs propres personnes.


 Lorsque cette année fut écoulée, ils vinrent à Joseph l'année suivante, et lui dirent: Nous ne cacherons point à mon seigneur que l'argent est épuisé, et que les troupeaux de bétail ont été amenés à mon seigneur; il ne reste devant mon seigneur que nos corps et nos terres.

Pourquoi mourrions-nous sous tes yeux, nous et nos terres? Achète-nous avec nos terres contre du pain, et nous appartiendrons à mon seigneur, nous et nos terres. Donne-nous de quoi semer, afin que nous vivions et que nous ne mourions pas, et que nos terres ne soient pas désolées.
Genèse 47:18-19


Ici, on atteint le sommet de l’ignominie et du racket. C’est abuser de la misère du peuple, pour l’exploiter et le saigner jusqu’à l'extrême. Le comportement de Joseph nous rappelle les agissement  des spéculateurs et de certains commerçants qui, et  malheureusement  cela se passe encore de nos jours, stockent des produits de première nécessité, en attendant les temps de pénurie pour les revendre au prix fort.


Le rôle d'autorités, soucieuses du bien de la population, serait, bien au contraire, de venir à son aide, comme nous le montre l’exemple de certains villes en France, après la terrible famine survenue à la à la fin du 17e siècle, sous le règne de Louis XIV, sans doute l’une des pires famines de l’Ancien Régime.

« Sur les 22 millions de personnes peuplant alors la France, les historiens estiment que la famine et les épidémies de 1693-94 firent 1,5 million de victimes. Soit autant que la Première Guerre mondiale, mais en seulement deux ans au lieu de quatre, et dans un pays deux fois moins peuplé sous Louis XIV qu’au début du 20e siècle !

Pour ne plus sombrer dans une telle horreur, les villes réagirent en construisant de grands bâtiments destinés à stocker du blé acheté avec l’argent public juste après les moissons, lorsque son prix était au plus bas. Ainsi ce blé irait alimenter les marchés en cas de pénurie, tout en restant à un prix raisonnable. » (4)



                                      Le bâtiment de Lyon existe toujours. Il a été construit en bord de Saône,
                                     en contrebas de la Croix-Rousse, et fut justement baptisé le Grenier              d’abondance ».  car il servait de lieu de stockage des grains

                                                 
Laurent Guyénot a raison lorsqu’il écrit :

« L'histoire de Joseph, endettant jusqu'au servage les paysans égyptiens, est profondément immoral. Il est tout à fait central dans la saga du peuple élu(5), en garantissant la bénédiction divine[ du dieu Yahweh](6) sur les abus pratiqués contre des étrangers par les descendants de Jacob. Il illustre aussi la capacité d'accaparer l'argent par la combinaison de deux leviers complémentaires, le fermage d'impôt et le prêt à intérêt.[...]

Les classes dirigeants confiaient souvent à des descendants d'Abraham le fermage de la collecte de l'impôt.[..] et les paysans, lors de mauvaises récoltes, devaient recourir à l'intermédiation des usuriers, les mêmes bien souvent que les collecteurs, pour disposer des ressources financières nécessaires.

Les taux d'intérêt pratiqué sur la population rurale pauvre avoisinaient communément les 65% et pouvaient atteindre plus de 150%. Dans ces conditions, le prêt usurier n'est pas un facteur de développement économique, mais d'appauvrissement du peuple.. »(7)



 Pour conclure, et en nous basant sur les  textes bibliques précités, Joseph, présenté comme le   sauveur  de Égypte, un homme providentiel, un gestionnaire extraordinaire, se révèle, au final, comme un accapareur, un rapace jusqu'à l'os, un usurier, exploitant la misère humaine sans la moindre compassion. De quoi réviser tous nos manuels de catéchisme....


MARC


 (1) Werner KELLER, La Bible arrachée aux sables, p.151-155

(2)  Donald REDFORD, A Study of the Biblical Joseph Story, Leyde, 1970

(3) Guy RACHET , La Bible, mythe et réalités tome 1, p.383



(6) Le livre Qui est le dieu Yahweh?   analyse la véritable nature du dieu tribal nommé Yahweh


(7)Laurent GUYENOT, Du Yahwisme au sionisme, Dieu jaloux, peuple élu, terre promise,2500 ans de manipulations, p.153-154