Je découvris que je n'aimais pas
vivre à l'étage du salon de la société. Intellectuellement, je m'y ennuyais.
Moralement et spirituellement, cela me rendait malade. Je me rappelai mes
intellectuels et mes idéalistes, mes prédicateurs défroqués, mes professeurs
brisés, et les ouvriers avec leur esprit propre et leur conscience de classe.
Je me rappelai mes jours et mes nuits sous
la lumière du soleil et des étoiles, là où la vie tout entière était une
merveille sauvage et douce, un paradis spirituel d'aventure généreuse et de
roman éthique. Et j'aperçus devant moi, toujours brûlant et flamboyant, le
Saint-Graal.
Ainsi, je suis retourné à la classe
ouvrière dans laquelle je suis né et à laquelle j'appartiens. Je n'ai plus
envie de monter. L'imposant édifice de la société qui se dresse au-dessus de ma
tête ne recèle plus aucun délice à mes yeux. Ce sont les fondations de
l'édifice qui m'intéressent. Là, je suis content de travailler, la barre à mine
à la main, épaule contre épaule avec les intellectuels, les idéalistes et les
ouvriers qui ont une conscience de classe - et nous donnons de temps en temps
un bon coup de cette barre à mine pour ébranler tout l'édifice. Un jour, lorsque
nous aurons un peu plus de bras et de barres à mine, nous le renverserons, lui
et toute sa pourriture et ses morts non enterrés, son monstrueux égoïsme et son
matérialisme abruti. Puis nous nettoierons la cave et construirons une nouvelle
habitation pour l'humanité. Là, il n'y aura pas de salon, toutes les pièces
seront lumineuses et aérées, et l'air qu'on y respirera sera propre, noble et
vivant.
Telle est ma vision. J'aspire à un
temps où l'homme aura une perspective plus haute et plus vaste que son ventre.
Un temps où l'homme sera poussé par un stimulant plus intéressant que le
stimulant d'aujourd'hui, qui est celui de son ventre. Je conserve ma foi en la
noblesse et l'excellence de l'être humain. Je crois que la douceur spirituelle
et la générosité finiront par avoir raison de la grossière gloutonnerie
actuelle. Et, pour conclure, ma foi va à la classe ouvrière.
Jack
London
Newton, Iowa
,Novembre 1905
dans Ce que la
vie signifie pour moi
Editions du
Sonneur, 2011, p 34-35
Traduit de
l’américain par Moea Durieux