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Notre empathie a trop longtemps
fait défaut. Aux musulmans, aux Arabes, aux juifs, aux Noirs, aux Roms et aux Tziganes, etc.
: à tous ceux qui, successivement ou en même temps, sont les victimes de cette
idéologie barbare des civilisations supérieures contre des peuples maudits qui
rôde de nouveau parmi nous. C'est dans l'espoir de rattraper ce retard que j'ai
voulu lui opposer, ici, l'expérience du monde, du divers et du pluriel, qui a
fait de nous des Français.
J'en suis un, parmi des
millions d'autres, et je n'ai d'autre titre que celui-là pour justifier ce
livre. Celui d'un Français qui ne se réduit pas à son origine. Né en Bretagne,
de parents bretons, l'un élevé catholique, l'autre élevée protestante, je n'ai
pas été baptisé. J'ai grandi outre-mer jusqu'à l'âge de dix-huit ans, loin de
la France hexagonale, en Martinique puis en Algérie (après l'indépendance) qui sont, en
vérité, mes vrais pays d'enfance et d'adolescence, mes patries de jeunesse.
J'ai donc été façonné par une
diversité de cultures (bretonne, antillaise, créole, caraïbe,
maghrébine, arabe, berbère,
française, etc.) où se jouent diverses influences spirituelles (catholicisme,
protestantisme, vaudou ou quimbois, islam, etc.) jusqu'à celle, d'un judaïsme
diasporique, que m'a apportée la famille construite avec ma compagne, issue de
l'immigration juive
d'Europe centrale. Sans
compter, évidemment, l'éducation républicaine transmise par des parents
profondément attachés à l'école
laïque.
Bref, je suis a-religieux, sans
goût pour la transcendance mais sans obsession maladive vis-à-vis de ceux pour
qui elle importe. Et ceci d'autant moins que ma génération, celle qui est née
après les catastrophes mondiales de la première moitié du XXE
siècle,
a appris que les civilisations qui se réclament de la raison, voire du refus de
Dieu, peuvent aussi bien céder à la déraison collective jusqu'à commettre de redoutables
folies criminelles.
Je suis donc seulement soucieux
du royaume immédiat dont nous avons tous la charge, au présent,
que l'on croie au ciel ou que
l'on s'y refuse : ce monde commun qu'il nous revient de construire tous
ensemble, et non pas de détruire en sombrant dans la guerre de tous contre
tous. Ce monde si fragile et si incertain dont les divinités secrètes se
nomment la beauté et la bonté. C'est en leur nom qu'il faut dire non à l'ombre
qui approche, par la solidarité concrète avec celles et ceux qu'elle menace. Au
premier chef desquels, nos compatriotes d'origine, de culture ou de croyance
musulmanes.
Présentant en avril 1941, alors
que la nuit était tombée sur l'Europe, le premier numéro de
sa revue Tropiques , née à
Fort-de-France, le poète Aimé Césaire écrivait ceci : « Où que nous
regardons, l'ombre gagne. L'un
après l'autre les foyers s'éteignent. Le cercle d'ombre se resserre
parmi des cris d'hommes et des
hurlements de fauves. Pourtant nous sommes de ceux qui disent
non à l'ombre. Nous savons que
le salut du monde dépend de nous aussi. Que la terre a besoin de n'importe
lesquels d'entre ses fils. Les plus humbles. L'Ombre gagne... "Ah ! tout
l'espoir n'est pas de trop pour regarder le siècle en face !" Les hommes
de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière. »
Hommes et femmes de bonne
volonté, qu'attendons-nous ?
Edwy Plenel
Pour les musulmans
Pages 141 à 144, Chapitre X (conclusion)
Pages 141 à 144, Chapitre X (conclusion)