VIE NOUVELLE ET LIBERTÉ
Raimon Pannikar Initiation aux
Vedas Actes Sud 2003
Qu'est-ce que la vie immortelle ? Certainement pas le prolongement
d'une vie mortelle. La vraie vie ne meurt pas, mais implique non seulement la
transformation de l'objet ("vie") mais encore la transformation du
sujet "vivant". Cette métamorphose radicale est libération (moksa).
Qu'est-ce qu'une vie pleine et authentique et comment pouvons-nous
l'atteindre ?
L'expérience védique est une expérience de libération, d'être libéré
de tout, y compris donc d'être libéré du temps. Ce qui fascine et obsède l'homme
upanishadique n'est pas ce qui vient après, mais ce qui n'a pas d'après. L'homme,
pour atteindre la plénitude ontologique de son être, doit briser la circularité
du temps. Entrer dans cette sphère atemporelle, mais non moins réelle pour
autant, signifie atteindre la réalisation, parvenir à être libéré de
l'encerclement du temps et des liens temporels. C'est une vie véritablement
nouvelle, non dans le sens d'une vie "recyclée", mais dans le sens d'un
nouveau type, d'un nouveau genre de vie, ou, pour le dire mieux, de la seule
vie véritable et authentique.
La voie vers la "vie nouvelle" est longue et complexe. Les
Upanishad traitent presque exclusivement de la révélation de cette expérience
qui amène à la libération, à la plénitude.
LA VOIE
ASCENDANTE. BRAHMAJNANA
…
"L'homme est en pèlerinage vers son atman." Dans ce
pèlerinage, il recherche l'unité qui sous tend toutes choses et découvre, en
cours de route, la conscience qui s'emploie à cette recherche.
L'unité et la conscience sont les deux points de référence au long de
la vie ascendante.
Le but du pèlerinage est la connaissance de brahman, comprise comme la
réalisation parfaite et lucide de ce qu'est brahman : le Réel, la Vérité, l'Un.
Quelle est la nature de la réalité ? Comment est constitué l'Un
lui-même, de sorte qu'il soit
un lieu pour la pluralité sans détruire l'unité ?
Y a-t-il quelque chose qui permette le mouvement, les
différenciations, la vie sans entamer l'Un ? Quel type de pluralité peut
coexister avec l'unité ?
La conscience et seulement la conscience peut assumer la multiplicité
sans mettre l'unité en danger. Dans le monde de l'expérience humaine, la
conscience est la seule faculté qui embrasse le multiple sans perdre son
identité et son unité propres. La conscience peut avoir connaissance des
multiples sans se diviser dans la multiplicité.
La découverte de la conscience pure comporte un éloignement radical du
premier mouvement naturel de notre être. Elle implique, en conséquence, l'inversion
du mouvement naturel vers l'objet, vers l'autre, et comporte un changement de
direction vers le sujet, vers celui qui connaît.
Le discours sur brahman part de la découverte que la conscience pure
n'est pas autoconscience.
Brahman n'est pas l'objet de la conscience ni son sujet. Brahman est
conscience pure : la conscience pure n'a pas de support. Brahman est ce non support
; brahman n'est pas une substance, mais une action, un acte. Brahman n'a pas de
conscience ni d'autoconscience. Brahman est conscience.
Les hommes ont conscience, sont des êtres conscients, mais ils ne sont
pas (encore) conscience, et encore moins conscience pure. La seule conscience
qui existe est une conscience omnicompréhensive; c'est brahman.
Une Upanishad dit :
Ce dont sont nés les êtres,
ce par quoi, quand ils sont nés, ils vivent,
ce en quoi, mourant, ils entrent,
ce que tu dois désirer connaître :
c'est brahman.
T U III, 1
Ce brahman, source et fin de toutes choses, n'est pas un
"être" séparé, ne se trouve pas seulement au début et à la fin du
pèlerinage ontique : brahman est conscience. Nous ne sommes que dans la mesure
où nous sommes en brahman et venons de brahman. Il est l'Unité ultime de la réalité.
Il est le centre profond de notre existence, à savoir la conscience (cit) et
aussi la joie et la béatitude (ananda). La définition védantique ultérieure de brahman comme sut (être), cit (conscience) et ananda (béatitude)
est mentionnée de façon voilée de différentes manières dans les Upanishad mais l'accent
est mis toujours sur la "connaissance", sur la
"réalisation" de cet inconnaissable qui est caché dans le coeur de
chacun, parce que le connaître véritablement, c'est devenir ce qu'il est. Et le
but de la connaissance upanishadique n'est rien d'autre que l'acte de rejoindre
cet état d'être qui est l'être de brahman lui-même.
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53 à 57