SERVICE DES TRANSCRIPTIONS ET DÉRIVÉS
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M U LTIPLES FACETTES
DE TEILHARD
30 octobre 1982
Recherchiste :
Mireille Lanctôt
Réalisateur: Raphaël
Plrro
PIERRE TEILHARD DE
CHARDIN: LA VICTOIRE SUR LE "NON-SENS"
cahier no 8
cahier no 8
Humaniste et
philosophe, Roger Garaudy nous parle de Teilhard, l'homme de la réconciliation.
M.L. Roger Garaudy,
on dit que Teilhard a fasciné même les marxistes — dans le fond vous en êtes un
— comment expliquer cela?
R.G.Je ne pense pas que Teilhard soit jamais allé dans le sens du marxisme mais il est vrai qu'un marxiste se reconnaissait volontiers en lui et je m'y suis aisément reconnu. J'ai d'ailleurs été son introducteur dans la traduction russe qui en a été faite par les soviétiques. Précisément parce que pour lui l'histoire a un sens. Et je crois que, ce qui nous unissait, c'était une même lutte contre l'idée de l'absurde.
R.G.Je ne pense pas que Teilhard soit jamais allé dans le sens du marxisme mais il est vrai qu'un marxiste se reconnaissait volontiers en lui et je m'y suis aisément reconnu. J'ai d'ailleurs été son introducteur dans la traduction russe qui en a été faite par les soviétiques. Précisément parce que pour lui l'histoire a un sens. Et je crois que, ce qui nous unissait, c'était une même lutte contre l'idée de l'absurde.
J'ai toujours été
contre la conception de l'homme de Sartre: l'homme est une passion inutile. Je
n'ai jamais pensé avec Camus que le monde était absurde. Je crois au contraire
que ce monde a un sens et c'est en quoi nous nous reconnaissions si aisément en
Teilhard.
M.L. Est-ce que la
vision cosmique du monde du père Teilhard peut apporter quelque chose à la
réflexion marxiste?
R.G. Oui... par ce
respect qu'il avait de la transcendance. Et je ne pense pas qu'il puisse y
avoir une pensée révolutionnaire sans transcendance, c'est-à-dire sans
possibilité de rupture. Par transcendance, je n'entends pas ce que les
théologiens classiques ou dogmatiques entendent, mais d'abord le contraire du
fatalisme: on peut vivre autrement, un moment de rupture
est possible.
Deuxièmement,le
contraire de l'individualisme. C'est-à-dire, je pense que chacun de nous est
responsable de l'avenir et du destin de tous les autres. Cette forme de
transcendance, en nous rappelant qu'elle était la condition essentielle de
toute pensée révolutionnaire, car si l'histoire était déjà déterminée, nous
n'aurions pas besoin d'être révolutionnaires, il n'y aurait plus qu'à attendre
que le socialisme naisse. Or, il ne peut naître que de l'effort de chaque jour.
Et je crois que, chez
Teilhard, cette notion du travail, de l'effort, qui rejoint une pensée qui m'a
toujours frappé chez le père Chenu, un de nos plus grands et plus aimés
théologiens: "Plus je travaille, plus Dieu est créateur", à mon avis,
c'est la plus grande leçon que nous puissions tirer et de Teilhard et de Chenu.
M.L. Et ça, ça
rapproche d'ailleurs Teilhard de Marx, c'est-à-dire que l'homme est responsable
de sa vie, est au centre de son avenir.
R.G. Et surtout
d'un Marx non dogmatique. Je crois que Teilhard d'ailleurs en a souffert comme
Marx lui-même, si des disciples souvent trop hâtifs ont durci une pensée, l'ont
simplifiée, l'ont réduite. Mais il y a, chez l'un comme chez l'autre, à la fois
ce sentiment que la vie a un sens, mais aussi ce sentiment de notre
responsabilité à l'égard de ce sens. L'avenir n'est pas un scénario déjà écrit
que je n'aurais plus qu'à jouer; en réalité, c'est une réalité toujours en
train de se faire. Je crois que des disciples trop hâtifs et finalement qui ont
porté tort à la mémoire et à l'oeuvre de Teilhard ont voulu la transformer en
une sorte de finalisme, d'optimisme béat. Ce qui n'était pas du tout dans la
pensée de Teilhard. Pour moi, Teilhard c'est l'homme du "Milieu
divin", l'homme qui nous fait sentir que nous baignons dans une réalité
qui nous dépasse et que nous y baignons avec joie. C'est un grand maître de la
joie.
Je sais bien que,
pour saint Paul déjà, le Christ était le rédempteur de la nature entière. Mais
il faut bien dire qu'en dehors de saint François d'Assise, qui a si
profondément senti la nature — la nature généralement était tenue en suspicion par
le christianisme - alors cette merveilleuse réhabilitation de la matière, de la
chair, de la nature chez Teilhard c'est un élément, pour moi, exaltant. Sa "Messe
sur le monde", ça reste, je crois, le cri de joie de la nature spirituelle,
et acceptant sa propre nature, acceptant la matière, et ne se cantonnant pas
dans ce dualisme qui a toujours stérilisé le
christianisme à
certaines époques.
M.L. Est-ce que sa
pensée est encore actuelle?
R.G. Je le crois,
parce qu'il a réussi à se placer au point central de toute vie humaine, au
sommet d'où on peut dominer tout le reste, c'est-à-dire au point ou l'acte de
création artistique — et je tiens Teilhard pour un grand poète — l'action
politique au sens le plus large du mot, c'est-à-dire celle qui concerne
l'avenir de l'homme, celle qui permet de faire de chaque homme un homme,
c'est-à-dire un créateur, à l'image de Dieu, je crois que c'est là le mérite
essentiel de Teilhard, d'avoir réussi à unir ainsi l'acte de foi, l'acte
politique au sens le plus large et l'acte de création poétique.