18 décembre 2010

Le militant et le croyant

L'ETONNANT PARCOURS DE ROGER GARAUDY 



Né dans une famille athée de Marseille en 1913, Roger Garaudy s'est converti au protestantisme avant de devenir un membre éminent du Parti communiste français. Il en fut longtemps un fidèle compagnon de route, toujours présent à l'heure des grands défis ce qui lui valut de connaître les affres de la déportation dans le désert d'Algérie au début de la Seconde Guerre mondiale parce qu'il avait créé un premier foyer de résistance dans le Tarn.
En 1970, cependant, le PCF, étonnante survivance d'un certain intégrisme stalinien devait exclure le philosophe pour «révisionnisme droitier».
Douze ans plus tard, Garaudy franchit une nouvelle étape: il est devenu musulman! Son Islam à lui n'était, évidemment, pas celui des intégristes. Octogénaire aujourd'hui, il n'en abandonne pas pour autant son double combat pour la tolérance et contre l'injustice dans un monde malheureusement dominé par un nouveau monothéisme, celui du marché...
Cet étonnant parcours n'est pas celui d'un opportuniste qui aurait humé les bonnes senteurs du temps mais plutôt la progression d'un homme de ce siècle qui a toujours voulu rapprocher les deux grands courants de pensée essentiels à ses yeux que sont le christianisme et le marxisme.
Assez étonnamment, ce grand penseur qui se double d'un des meilleurs spécialistes de l'esthétique, principalement dans le domaine de la peinture et dans celui de la danse, ne figurait pas encore parmi les invités de «Noms de dieux», la (toujours) passionnante émission d'Edmond Blattchen! La lacune sera réparée dès ce dimanche soir.
Et comme on peut s'y attendre, on y découvrira autant l'évolution d'un esprit et d'une pensée libres qu'une analyse pointue des grands phénomènes de ce siècle qui s'achève.
Garaudy est et demeure un homme de carrefours: à l'heure du concile Vatican II, et alors qu'il était un militant communiste affirmé, il rencontra à de nombreuses reprises le cardinal de Vienne, Frans Koenig qui était chargé des relations de l'Eglise avec les non-croyants. A l'évidence, le prélat appréciait celui qui affirmait qu'un révolutionnaire avait plus besoin de transcendance que de déterminisme!
ETRE UN AVEC LE TOUT
Interlocuteur de grandes figures théologiques de ce temps comme les pères Chenu ou Rahner, le philosophe français aura aussi contribué à sa manière au grand dialogue interreligieux. Et ce ne fut, bien entendu, pas un hasard si sa quête de l'absolu l'a amené à devenir musulman. Sans doute un peu par provocation, comme il reconnaîtra à Edmond Blattchen mais aussi parce qu'il est de ceux qui pensent qu'il y a une unicité par-delà les religions et les cultures. Sa devise, à l'instar de Tchouang Tseu, c'est «être un avec le tout». Loin de verser dans un syncrétisme dont on sait qu'il peut être terriblement ravageur à l'heure de l'émergence des sectes et du Nouvel âge, Garaudy croit dans un créateur unique. Le drame, selon lui, est bien résumé dans une sentence de Charles Péguy: tout commence en mystique, tout finit en politique... Sous-entendu: avec les excès qui s'y rapportent. Tout en reconnaissant que les religions peuvent jouer un rôle utile, le philosophe n'est pas loin de se dire comme Ricoeur que la religion peut être l'aliénation de la foi...
Mais au-delà des dangers des affrontements au nom des religions, il y en a un autre bien plus menaçant à ses yeux pour le siècle à venir: le monothéisme du marché ou, si on préfère, le culte de l'argent. Si nous continuons dans ces dérives, explique Garaudy, nous allons vers des explosions de plus en plus incontrôlées. Et vers un suicide planétaire... C'est la raison pour laquelle il s'est lancé dans une nouvelle opération d'envergure visant à ne pas creuser encore le fossé entre le nord et le sud...

«Noms de dieux», RTBF1, 22 h 50 (Samedi 5 novembre 1994)