17 juin 2012

Roger Garaudy, témoin de son temps

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      Qui est Garaudy ?


  Garaudy est un grand philosophe du XXe siècle. Né à Marseille en 1913 dans une famille de petits employés, Roger Garaudy commence son engagement comme militant protestant, ce qui ne l'empêche pas d'entrer en 1933 au Parti communiste et d'y faire une ascension fulgurante après guerre, tout en poursuivant des études de philosophie. Mobilisé en 1939, il est déporté dans les camps vichystes d'Afrique du Nord. Il se montre très critique à l'égard du régime de Vichy au point d'être condamné à mort. Mais les soldats musulmans refusent de le fusiller. C'est là un événement fondateur dont il montrera l'importance par la suite. Devenu membre du Comité central du Parti en 1945, il est élu député communiste du Tarn (1945-1951), puis de la Seine (1956-1958), et sénateur de Paris (1962).
Directeur du Centre d'études et de recherches marxistes, il fut pendant des années le philosophe officiel du Parti, avant d'en être exclu en juin 1970, après sa protestation face à l'invasion de Prague par les soviétiques. Il devient alors catholique  sans renier son idéal communiste. Il pense même que christianisme et marxisme sont complémentaires et se sent très proche des théologies de la libération.
Garaudy a évoqué dans son œuvre la plupart des grands événements du XXe siècle en ne cessant de souligner le fossé entre les pays riches et les pays pauvres et en dénonçant le « monothéisme du marché », la course effrénée de la société occidentale derrière le profit et l'individualisme de jungle. Mais ses analyses les plus fines, il les a réservées à l'esthétique. 60 œuvres qui annoncèrent le futur (Skira) paru en 1974, est un véritable chef-d'œuvre. Il y montre que les grandes œuvres d'art, à chaque époque, manifestent les rapports que l'homme établit avec son environnement, avec ses semblables et avec Dieu.
En 1982, il se convertit à l'islam sans renier ses idéaux antérieurs. L'islam est une religion qui « subsume » les deux autres, qui parachève la révélation. Il veut aussi être du côté des « dominés » et de ceux qui lui ont jadis épargné la vie. Il a créé sa propre fondation en Espagne à Cordoue, la fondation Roger Garaudy. Avec Senghor, il a aussi créé sur l'île de Gorée l'Université des Mutants (un mutant étant un homme ou un groupe d'hommes portant en lui le projet d'un ordre économique, social et culturel nouveau et préparant ainsi une « mutation historique ».).
En 1996, il publie Les Mythes fondateurs de la politique israélienne qui lui vaut un procès et le lynchage des médias. Depuis lors, on ne trouve plus, dans les librairies occidentales, un seul livre de Roger Garaudy.
Durant sa période communiste, Garaudy a été un porte-parole du matérialisme historique. Mais ses idées dépassent largement une simple illustration des idées de Marx et Lénine. Il a notamment montré l'importance de la révolution scientifique et technique propre au XXe siècle, la révolution cybernétique : il est l'un des seuls hommes de gauche à souligner ce qui est à ses yeux la grande chance de demain à condition qu'elle s'accompagne d'une révolution dans les rapports sociaux. Il insiste sur l'exigence révolutionnaire que mettent dans leur foi un nombre de plus en plus grand de chrétiens qui sont « de la même famille » que les marxistes et qui peuvent et doivent avec eux préparer la société socialiste de demain. Enfin, il affirme que l'éducation esthétique doit faire de chacun de nous un « militant de la révolte » contre toutes les aliénations et un « poète de la création ».
Aujourd'hui, Garaudy ne renie pas l'idéal communiste qui a toujours été le sien, mais il pense aussi que « le communisme n'a jamais existé », c'est-à-dire que son idéal a été assez vite trahi par l'Union soviétique et les régimes mis en place dans les pays de l'Est.
      La critique de l'Occident et le dialogue des cultures
L'œuvre de Garaudy a été écrite sous le signe du « dialogue des civilisations » mais surtout des cultures non occidentales. Selon lui, du XVIe siècle à la fin du XXe siècle, le développement du monde occidental a reposé sur trois primautés : celle de l'action et du travail (« C'est en agissant sans relâche que l'homme déploie toute sa grandeur », dit le Faust de Goethe), celle de la raison (l'esprit étant réduit à la seule intelligence) et celle de la croissance vue en termes quantitatifs (production de besoins artificiels et des moyens de les assouvir). Pour Roger Garaudy, un tel modèle ne pouvait conduire qu'à la crise que nous connaissons aujourd'hui.
D'après lui, nous sommes en train d'assassiner nos petits-enfants : notre modèle de croissance dilapide en une génération des richesses accumulées dans les entrailles de la terre depuis des siècles. Cette politique tue déjà chaque année, par la faim, cinquante millions d'êtres humains dans le tiers monde  et accule ceux-ci  à l'extermination ou à la révolte. Et l'on propose, aux Etats-Unis et en France, des « forces d'intervention militaire »… Cette crise, par ses violences qui nous poussent au suicide nucléaire, à la désintégration de notre société et de ses idéologies, est la plus grave qu'ait jamais traversé une civilisation.
Pour la mesurer et la surmonter, Roger Garaudy prend le recul de cinq mille ans d'histoire et d'un dialogue universel avec les civilisations de l'Asie et de l'Afrique, de l'Amérique latine, de l'Islam. Il évoque aussi les plus belles visions prophétiques des hommes mais aussi le sens d'un socialisme islamique, indien, chinois, africain, et débouche, pour l'Occident, sur un projet politique concret : à partir d'un tableau économique rigoureux de nos gaspillages, mais aussi de nos ressources et de nos possibilités, et d'une rencontre inédite de la politique et de la foi, il trace le plan d'une nouvelle croissance, en rupture avec les politiques, les technocrates et les intégristes de tous bords.
Pour lui, la création d'un avenir heureux exige que soient retrouvées toutes les dimensions de l'homme développées dans les cultures non occidentales. Comprendre la vie, c'est d'abord la saisir dans son unité. Il développera cette thèse dans Pour un dialogue des civilisations (Denoël, 1977) et dans Appel aux vivants (Seuil, 1979) en témoignant de l'expérience planétaire qui l'a conduit à cette certitude et en présentant un projet politique concret.
Les religions de la Chine et du Japon ont enseigné à l'homme la fusion de tous les éléments avec le grand Tout. Le taoïsme exige l'insertion dans le principe universel qu'il saisit par une connaissance intuitive, par une contemplation au terme de laquelle se concrétise l'union de l'homme et de la nature. Le bouddhisme qui, de l'Inde, gagnera massivement l'ensemble de l'Asie, enseigne que l'homme ne mettra fin à ses souffrances qu'en renonçant au désir et au plaisir et en se fondant dans l'éternité comme une tasse d'eau versée dans la mer. L'école bouddhiste Tch'an (Zen, en japonais) met l'accent sur la nécessité de libérer l'esprit afin qu'il puisse accueillir l'illumination.
Pour les peintres chinois de l'époque Song (de 960 à 1279), la nature n'est pas une matière inerte dont on cherche à se rendre maïtre. L'univers forme un tout animé d'un même mouvement de vie, englobant aussi bien la rivière que les sommets des montagnes, l'arbre que les rochers, les nuages que l'oiseau, et l'homme n'est qu'un moment de ce cycle éternel.La peinture est un medium de l'expérience zen. Contrairement à nos tableaux de la Renaissance, l'artiste ne cherche pas à représenter un spectacle, mais à communiquer un état d'âme de la nature. IL saisit les lignes de force d'un paysage et en compose le yin et le yang, les contrastes et les tensions.
L'art africain tente, lui aussi, de « rendre visible l'invisible » (l'expression est de Paul Klee). Au contraire de l'art grec, qui part de l'individuel pour en extraire les lignes essentielles, le créateur africain part de son expérience vécue du grand Tout pour donner une forme concrète à ses talismans. Un masque, par exemple, doit être avant tout considéré comme un condensateur d'énergie. La force qu'il contient et qu'il dégage a pour sources la nature, les ancêtres et les dieux. Les oeuvres africaines n'ont pas été créées pour la contemplation. Ce sont des objets de participation destinés à l'accomplissement de cérémonies rituelles. Quand les Africains dansent avec leurs masques, ils y puisent une énergie qu'ils irradient dans toute la communauté.
L'art musulman appelle des remarques analogues à celles que Garaudy fait à propos des arts de la Chine, du Japon ou de l'Afrique : partir du sens pour déchiffrer le signe. La conception islamique du monde n'incite pas à la représentation réaliste. Pour elle, toute image détourne le croyant de la prière pure, l'amène à prendre conscience de l'unité de Dieu. Ainsi, la mosquée est-elle décorée des versets du Coran. Le développement de la calligraphie s'explique d'ailleurs par le caractère même de l'Islam, religion centrée sur un texte sacré, parole de Dieu dont Mohamed n'est que le messager.
      Garaudy est-il un antisémite ?
Garaudy témoigne de beaucoup de respect pour les trois religions du livre. Mais suite à la publication des Mythes fondateurs de la politique israélienne (1996), il a été taxé d'antisémitisme.
En fait, ce que Garaudy a voulu mettre en cause dans ce livre, c'est l'impérialisme israélien, le sionisme. Les Israéliens cherchent à justifier l'expulsion des Palestiniens de leurs terres et la domination qu'ils leur font subir. Pour cela, ils instrumentalisent la Bible où Dieu a choisi un peuple et une terre, « la terre promise ». En quelque sorte, les Israéliens ne feraient qu'accomplir cette promesse faite par Dieu dans l'Ancien Testament. En outre, ils instrumentalisent la shoah en jouant sur le sentiment de culpabilité des Occidentaux qui n'ont pu empêcher le massacre des juifs.
Garaudy a fait œuvre d'historien et met en doute le chiffre de 6 millions de juifs morts dans les camps de concentration. Mais au-delà des chiffres il reconnaît le génocide. Ce qui a suscité le scandale, c'est qu'il affirme n'avoir trouvé dans les nombreux documents qu'il a consultés aucune trace des chambres à gaz. Les juifs auraient été décimés par le travail forcé et le typhus et les crématoires servaient à brûler les cadavres des victimes. Il n'y aurait pas de témoins fiables. On peut penser  en effet que les nazis avaient effacé toutes traces de leur ignominie ! Des tortures auraient été infligées aux prisonniers nazis pour leur faire avouer leur génocide. On a donc fait de Garaudy un négationniste. L'antisionisme radical de Roger Garaudy l'avait déjà conduit, dès 1982, à placer sur le même plan sionisme et nazisme.
L' « affaire Garaudy » est d'abord révélée par le Canard enchaîné en janvier 1996, suivi par quelques quotidiens nationaux, entraînant contre lui le dépôt de plusieurs plaintes avec constitution de partie civile pour contestation de crime contre l'humanité, diffamation publique raciale et provocation à la haine raciale par des associations de résistants, de déportés et des organisations de défense des droits de l'homme. Puis, le scandale est médiatisé en avril :  Roger Garaudy est contraint de s'éloigner de la vie médiatique. Converti à l'Islam depuis le début des années 1980, il avait reçu pendant le procès le soutien d'intellectuels de pays arabes et musulmans au nom de la liberté d'expression.
Roger Garaudy a été condamné le 27 février 1998, au titre de la loi Gayssot (jugée négativement à l'époque de son adoption par de nombreux hommes politiques  et des spécialistes du droit et de l'histoire), pour contestation de crimes contre l'humanité et diffamation raciale. Depuis lors, ses ouvrages, si célèbres pendant les années 60 à 80,  sont introuvables dans les librairies occidentales. Cette affaire a suscité l'écriture d'un dernier ouvrage, son testament spirituel en quelque sorte,  Le terrorisme occidental (Al-Qalam, 2004).
Quoi qu'il en soit, Garaudy est un philosophe engagé dans son siècle , un des plus grands témoins de son temps.

(Article publié une première fois sur le blogue "Al'indépendant" en  2008 et sur ce blogue le août 2010)
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Un hommage est rendu à Roger Garaudy lundi 18 juin à 15h au crématorium, 480 avenue Maurice Thorez à Champigny-sur-Marne (entrée principale du cimetière Coeuilly).